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Les défis du droit de la consommation

TITRE I LA NOTION DU FORMALISME INFORMATIF

Section 1. Les raisons objectives : Le besoin de combattre les déséquilibres contractuels

A. Les défis du droit de la consommation

305. L’objet de protection du formalisme informatif a été déterminé par les

défis propres aux contrats conclus entre professionnels et consommateurs et aussi par la dynamique contractuelle contemporaine. Dans ce sens, on peut affirmer que les principaux défis du droit de la consommation sont la recherche de l’équilibre contractuel (§1), et la transformation du droit des contrats (§2).

§1. La recherche de l’équilibre contractuel

306. Suivant les postulats libéraux du XIXème siècle, le contrat librement

formé est nécessairement juste346. Selon le doyen Carbonnier, le contrat doit être juste « parce qu’il est raisonnable de penser qu’un individu capable est sensible à ses intérêts et en a une suffisante intelligence »347.

307. Malgré la lucidité de cette analyse, il faut préciser qu’elle n’est

strictement applicable que dans les hypothèses où les parties sont situées dans des positions égalitaires, en situation d’équilibre indispensable pour qu’elles soient libres de déterminer leur consentement avec autonomie et indépendance.

346 En concordance avec la doctrine économique libérale qui affirme que « ce sont les

conventions elles-mêmes, par le libre jeu de l’offre et la demande qui créent le juste ». V. J. GHESTIN, op. cit., no. 40.

De fait, l’évolution de la société et la fluidité du marché actuel ont révélé les caractéristiques propres des nouveaux rapports contractuels où l’égalité n’est pas précisément présente. L’inégalité des contractants, l’asymétrie des positions contractuelles par rapport au marché, l’inégalité de leur puissance économique et les différences de leur savoir technique, entre autres, menacent le contrat de ne pas être librement formé et équilibré.

Ainsi, « parfois le rapport contractuel est le fruit de l’inégalité des contractants, laquelle se traduit par la liberté unilatérale du cocontractant dominant lors de la conclusion du contrat et dans la détermination de son contenu »348

308. Ce déséquilibre est précisément dominant en matière du droit de la

consommation349. Lorsqu’on est en présence de deux contractants, un professionnel d’une part et un consommateur de l’autre, la situation de déséquilibre contractuel entre eux est évidente. Le professionnel est un spécialiste, un technicien, un expert dans son métier. Par contre, de l’autre côté on a un simple consommateur, un profane, quelqu’un qui, par rapport au professionnel, méconnaît presque totalement la dynamique et le fonctionnement de l’activité professionnelle dont il veut tirer bénéfice. On trouve alors, en matière du droit de la consommation, un exemple idéal de déséquilibre contractuel.

Par conséquent, en raison de la constatation de ce déséquilibre, lorsqu’on est en présence d’une relation professionnel-consommateur lors de la conclusion d’un contrat, le droit de la consommation, contrairement au droit commun des contrats, est fondé sur l’inégalité présumée.

348 D. MAZEAUD, Droit commun du contrat et droit de la consommation. Nouvelles

frontières ? in Liber Amicorum Jean Calais-Auloy, Dalloz 2004, p. 697.

349 Il faut préciser que, lorsque le sujet d’étude est le formalisme dans la formation du

contrat, le déséquilibre étudié dans ces pages est le déséquilibre liminaire, originaire, celui qui caractérise la situation des parties au moment de la formation du contrat. Cela permet de distinguer cette situation du déséquilibre survenu, ce qui arrive après la conclusion du contrat dans les cas où a lieu un changement des conditions initiales du contrat. Dans le dernier cas, il est pertinent aussi de revoir l’impératif de justice contractuelle. Cependant il ne s’agit plus de situations concomitantes à la formation du contrat, mais à son exécution. On peut penser, par exemple au cas de la révision judiciaire des contrats : Affaire du Canal de Craponne, Cass. civ. 6 mars 1876, Les

Ainsi, « plutôt que de considérer que l’égalité et la liberté sont les terreaux du lien contractuel et le ferment de son équilibre, le droit de la consommation est fondé sur l’inégalité présumée qui préside aux relations contractuelles entre les professionnels et les consommateurs, sur l’impossibilité corrélative qui en découle pour le consommateur, en situation de faiblesse, de négocier le contrat, sur la liberté exclusive du professionnel dans la détermination du contenu du contrat et, par conséquent, sur les déséquilibres contractuels structurels, potentiels ou réels, qui innervent le contrat de consommation »350.

Dans ce sens, la relation professionnel-consommateur est caractérisée à l’évidence par la présence d’un contractant dominant et d’un contractant dépendant, relation qui peut être ainsi définie par la fixation unilatérale du contrat par celui qui possède la position dominante351, et par conséquent par le déséquilibre excessif entre les positions contractuelles des parties.

309. Cela justifie le dessein du droit de contrôler les inégalités entre les

contractants et celui de rétablir, par l’emploi de diverses mesures, la justice contractuelle, principe supérieur du droit des contrats.

Le contrat de la consommation devient alors l’une des situations particulières où est indispensable l’intervention du droit pour rétablir la justice contractuelle dans la formation du contrat. Cette conjoncture explique le désir du droit de contrôler la situation d’inégalité présente dans les contrats de la consommation et conséquemment l’emploi de mesures pour restaurer l’équilibre contractuel.

En effet, le législateur et la Cour de cassation, en vue de restaurer l’équilibre contractuel, ont depuis un quart de siècle « substitué un principe de réalité aux mythes fondateurs de la liberté et de l’égalité contractuelles »352.

310. Ainsi, avec la pleine conscience que l’inégalité dans l’information

peut être la cause directe de la formation de liens contractuels déséquilibrés et impliquer le possible triomphe de la disproportion économique dans le contenu

350 D. MAZEAUD, eod. loc., p. 698.

351 « L’inégalité des contractants est mère de l’injustice contractuelle, concrètement

des déséquilibres contractuels, qu’il faut donc prévenir et combattre ». Ibid.

du contrat, le législateur et la jurisprudence ont progressivement imposé à certains contractants l’obligation d’informer leur partenaire353.

Plus particulièrement, le législateur a pris pour tâche d’envisager les diverses hypothèses où l’inégalité entre les parties peut causer de graves déséquilibres et des injustices contractuels. Partant de la réalité, c’est-à-dire de la présomption d’inégalité, le législateur impose au professionnel l’obligation de fournir au consommateur toute l’information pertinente pour le prévenir contre les possibles abus dont il pourrait être l’objet.

Le législateur impose au professionnel l’obligation d’information pour corriger « les déséquilibres excessifs entre les stipulations, la prestation et les pouvoirs qui entachent la sphère contractuelle d’une injustice inadmissible »354.

311. Ainsi, selon cette perspective consumériste, on peut constater le

changement catégorique du fondement sur lequel avait été traditionnellement construite la théorie classique du droit des contrats, ce qui nous oblige à étudier la transformation du droit des contrats.

§2. La transformation du droit des contrats

312. A la différence d’une théorie fondée sur l’hypothèse de contractants

égaux et autonomes, le droit de la consommation change cette base et met en place une construction beaucoup plus sage et raisonnable : partir de l’hypothèse où les contractants ne sont pas égaux. Dans cet ordre d’idées, on peut envisager la façon dont le droit contemporain des contrats a contribué à la naissance des idéologies plus réalistes qu’idéalistes.

Autrement dit, « les idées de liberté et d’égalité contractuelles, sur lesquelles s’est élaboré et déployé, pendant près de deux siècles, le droit

353 F. TERRE, Ph. SIMLER et Y. LEQUETTE, op. cit., p. 256.

commun des contrats, cède la place à une vision autrement plus réaliste et pragmatique du lien contractuel »355.

313. Cependant il faut préciser que, bien que la transformation du droit des

contrats soit certaine, cette évolution émerge comme résultat d’un changement progressif de la vision qui caractérisait traditionnellement le droit des contrats, et non pas d’un changement abrupt de la réalité qu’il prétend réguler. Ce qui a vraiment changé en droit des contrats, est donc la philosophie contractuelle, le regard porté sur la relation contractuelle. De fait l’être humain a toujours été le même : individualiste, cherchant la possibilité de profiter des relations et des circonstances en sa faveur.

Cela ne nie pas l’idée que ce qui a effectivement causé ce changement de vision du droit des contrats est l’accélération du commerce en droit contemporain. Un commerce plus rapide et impersonnel ainsi que de nouveaux rapports où domine l’inégalité, comme dans le cas des contrats entre un contractant dominant et un contractant dépendant en matière du droit de la consommation, ont motivé cette réaction du droit, qui a abouti à construire un fondement beaucoup plus réaliste de la théorie des contrats, basé sur la présomption d’inégalité.

Néanmoins, ce qui s’est vraiment transformé est, heureusement, la vision du contrat. On a changé une vision idéaliste, propre aux idéaux volontaristes, pour une vision réaliste et pratique du contrat.

314. En ce sens, le droit de la consommation est un indéniable moteur de

changement en matière de droit des contrats. Les nouveaux défis qui préoccupent le droit de la consommation ont été les raisons de l’apparition de concepts innovants et par conséquent, de la forte influence qu’il a exercé sur le droit commun des contrats.

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