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Les limites des conventions sur la preuve

TITRE II LE FORMALISME DE SOURCE CONVENTIONNELLE

Section 2. La portée et les limites des conventions sur la preuve

B. Les limites des conventions sur la preuve

281. Le système probatoire civil, conçu comme étant d’intérêt privé, reste

encore actuellement gouverné par le principe de la liberté contractuelle. Ainsi, pour les droits dont les parties ont la libre disposition, les conventions relatives à la preuve sont licites. Elles sont valables, mais limitées. Dès lors que l’on veut connaître la portée de ces conventions il faut découvrir leurs limites, définies d’un côté par les principes généraux du droit civil et du système probatoire (§1) et de l’autre par les règles de la libre appréciation du juge (§2).

§1. Les principes généraux du droit civil et du système probatoire

282. Les conventions sur la preuve sont en principe valables, mais elles

doivent respecter certaines règles essentielles du droit civil. Quelques limites sont déduites des principes généraux du droit civil, et d’autres sont établies par les règles propres du système probatoire.

283. En premier lieu, pour ce qui concerne les limites déduites des règles

et des principes du droit des contrats, il faut rappeler que ces conventions sur la preuve sont gouvernées par le principe de la liberté contractuelle. Certes, elles doivent porter sur des droits dont les parties ont la libre disposition. Ainsi en matière de filiation par exemple, précisément parce que l’état des personnes est en question, les accords sur la preuve seraient illicites, soit qu’ils faciliteraient la preuve de la filiation recherchée soit au contraire qu’ils en rendraient l’établissement plus difficile.

284. Les conventions sur la preuve ne sont donc valables que sous réserve

d’être licites, c’est-à-dire de ne pas enfreindre l’ordre public. Les parties sont libres de convenir les règles de preuve de leur contrat dans la mesure où il s’agit des droits dont elles ont la libre disposition. Tel n’est pas le cas des droits ayant trait à l’état et à la capacité des personnes329.

Selon le Doyen François Terré : « Puisque les preuves, qui organisent leur sécurité, et le procès, qui est le lieu neutre de leurs disputes, sont affaire des

parties, ces dernières peuvent aussi aménager à leur guise les règles mises au point par le législateur. Le système probatoire n’est pas d’ordre public, sauf exception, notamment en matière d’état des personnes. Il relève du pouvoir de la liberté contractuelle. Dès lors, les parties peuvent tout aussi bien aménager les règles légales que renoncer à leur bénéfice »330.

285. De plus, de la nature contractuelle de conventions sur la preuve il

découle aussi que pour être valables, elles doivent être rédigées de manière claire et non équivoque. Ainsi, si les parties veulent, par convention particulière, renoncer aux règles de l’article 1341 du Code civil français, cette renonciation doit être suffisamment claire et non équivoque331.

286. En outre, les conventions sur la preuve, comme tout contrat, sont

gouvernées par le principe de l’effet relatif des contrats. Ainsi, les règles de preuve d’origine volontaire en droit français concernent seulement les parties à l’acte juridique et non les tiers. Les tiers peuvent donc éviter les effets de la convention sur la preuve conclue entre les parties, et en conséquence évoquer des procédés de preuve différents lors de la preuve du contrat, ou simplement se soumettre aux règles de preuve établies par le législateur.

287. En ce qui concerne les limites aux conventions sur la preuve établies

par les règles du système probatoire français, il faut souligner que les conventions sur la preuve doivent traiter strictement des règles de preuve. Par conséquent, sont interdits les accords qui vont jusqu’à établir une véritable règle de fond sous couvert d’une convention sur la preuve. La jurisprudence a été claire en interdisant l’établissement des règles de fond déguisées332.

288. En somme la volonté contractuelle est libre d’établir des règles

particulières de preuve du contrat, mais cette liberté n’est pas absolue. Il est plus qu’évident que les parties doivent respecter les principes fondamentaux du système juridique. Mais également, cette volonté est limitée dans la mesure où elle ne peut pas intervenir dans la libre appréciation probatoire qui appartient au juge.

330 F. TERRE, op. cit., Précis Dalloz, p. 398.

331 T.-D. NGUYEN, op. cit., p. 168.

§2. La libre appréciation du juge

289. Etant donné que les parties ont toute la liberté pour conclure des

conventions sur la preuve, celles-ci peuvent porter sur les procédés de preuve ou sur la charge de la preuve. Cependant cette liberté ne s’étend pas à la force probante, laquelle relève de l’ordre public et reste soumise à l’appréciation du juge333.

La plupart de la doctrine a refusé la validité des conventions sur la force probante, étant donné qu’elles ont un double objet et une double catégorie de destinataires. Pour ce qui concerne les destinataires de la convention sur la preuve, c’est-à-dire, les personnes qui se voient attachées par la volonté des parties, on voit comme premiers destinataires les parties, par l’effet de l’article 1134 du Code civil. Mais cette convention sur la preuve peut être destinée aussi au juge.

« En conséquence et conformément à l’article 1134 du Code civil, cet objet de la convention de preuve s’imposait aux parties, premiers destinataires, qui avaient validé par avance le procédé exclusif de preuve en cas de contestation. Mais cette précaution aurait été vaine si leur convention se limitait à cela. D’où son second objet et l’autre destinataire : le juge »334.

En particulier, dans l’arrêt Credicas, la Cour de cassation a reconnu la validité de la convention sur la preuve conclue entre les parties, et la possibilité pour celles-ci d’imposer conventionnellement au juge la valeur probante du procédé de preuve qu’elles ont retenu.

290. Cependant, les critiques à la validité de la convention sur la force

probante ont été abondantes. D’abord parce qu’elles privent le juge de son pouvoir d’appréciation, son rôle ne consistant plus qu’à vérifier l’existence ou à constater l’absence des conditions prévues par les parties. Ainsi, les parties peuvent licitement accorder les règles de preuve, mais si cette convention s’impose au juge son pouvoir d’appréciation s’en trouve écarté.

De telle sorte que pour la majorité de la doctrine valider une convention sur la preuve a pour objet ou pour conséquence d’évincer le juge de son rôle

333 J.-L- AUBERT, eod. loc., p. 933. 334 G. VIRASSAMY, eod. loc., no. 11.

traditionnel, ce qui paraît inopportun. « C’est en effet vider le débat judiciaire de son contenu et de son utilité réels par l’exclusion du regard neutre et modérateur du juge »335.

291. Pour d’autres auteurs, surtout dans la doctrine colombienne, les

conventions sur la force probante sont illicites et susceptibles d’être sanctionnées avec la nullité car elles impliquent une intervention dans l’activité du juge, et la conviction du juge ne peut être l’objet de l’accord des parties336.

En plus, la convention sur la force probante contredit le principe de la libre appréciation probatoire du juge, qui implique qu’il agisse en totale liberté au moment d’évaluer les preuves dans le procès. Ainsi, la volonté individuelle ne peut servir que comme élément pour construire la conviction du juge, mais en respectant sa liberté337.

292. En somme, le droit positif ne s’oppose pas aux effets des conventions

sur la preuve en relation avec les parties. C’est-à-dire que l’accord est parfaitement valable et applicable par rapport aux parties du contrat. Cependant, il est critiquable que cette convention ait des effets par rapport au juge. Autrement dit, la validité des conventions sur la force probante n’a pas été tout à fait acceptée.

293. Malgré cette position favorable de la doctrine, nous considérons qu’il

est compliqué d’envisager quels sont les vrais effets des conventions sur la preuve, car elles ne produisent des effets que sur les parties, mais pas par rapport au juge. Ce qui veut dire que si ces conventions n’ont pas d’effets par rapport au juge, elles manquent de toute force dans le système juridique, parce que c’est précisément dans le cadre d’un procès judiciaire, où le juge est le maître, que l’on veut vraiment faire valoir ce type de conventions. Et si ces conventions ne sont pas opposables au juge, il ne sert à rien de conclure un accord sur la preuve qu’il n’est pas obligé de respecter.

335 Ibid.

336 H. DEVIS ECHANDIA, Teoría general de la prueba judicial, ed. Biblioteca

Jurídica Dik, Bogotá, 1993, p. 512.

La seule manière de voir pleinement reconnue la validité sur les conventions sur la preuve dans le système probatoire, est de reconnaitre à ces conventions une pleine efficacité par rapport non seulement aux parties, mais également par rapport aux juges.

294. Enfin, à tout point de vue la liberté contractuelle gagne du terrain en

matière de formalisme. D’abord, parce qu’elle est l’objet de protection du formalisme de source légale qui augmente de plus en plus en droit contemporain. En ce sens, il est évident que la protection de la volonté contractuelle est la finalité la plus remarquable du formalisme contemporain de source légale.

De même que, comme nous le venons de l’étudier dans ce Titre, cette liberté contractuelle joue aussi un rôle prépondérant en ce qui concerne le formalisme de source volontaire. La volonté contractuelle s’érige comme un instrument décisif, disponible aux parties, pour protéger leur volonté contractuelle.

295. Alors, une fois étudié le rapport entre liberté contractuelle et

formalisme contemporain, il reste à aborder le cœur du développement du formalisme en droit contemporain des contrats : La poursuite de la justice contractuelle (SECONDE PARTIE).

SECONDE PARTIE : LE FORMALISME CONTEMPORAIN

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