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La polysémie du terme « réécriture »

Le terme « réécriture » recouvre plusieurs types d’actions ayant en commun de marquer un retour sur un état d’écriture antérieurement produit ou de renouveler un même geste scriptural. La préfixation réunit ces actions autour des notions de récursivité et de duplication, sans pour autant parvenir à réduire la distance qui les sépare. Une écriture seconde peut présenter des écarts extrêmes par rapport à un état textuel antérieur sur lequel elle s’appuie : soit la réécriture est reproduction à l’identique d’un état antérieur, soit elle constitue une transformation complète de ce même état antérieur. Entre ces deux pôles, une infinie variation de degrés dans la transformation du texte existe, de la simple opération de modification locale d’un fait de langue au réaménagement de la macro-structure de l’énoncé.

Activité purement graphique de copie d’un texte, activité communicationnelle du scripteur qui écrit une deuxième fois à un destinataire, activité de reprise d’une pratique scripturale interrompue, activité de transformation d’un texte déjà écrit par autrui ou par soi, autant de processus récursifs qui n’ont ni la même puissance, ni la même signification et qui imposent nécessairement des clarifications en situation d’apprentissage scolaire. Comme le fait remarquer Daniel Bessonnat, la réécriture évoquera plutôt chez l’élève la répétition et la reprise alors que chez l’enseignant, la notion renverra d’abord aux questions d’intertextualité et de travail sur le texte (2000a, p. 7). Définir la réécriture, c’est aussi la situer par rapport à des notions voisines (la correction, la reformulation), fréquemment sollicitées dans l’acte d’écrire et dont il convient de préciser les caractéristiques afin d’écarter certains malentendus.

2.2.1. La correction

Dans les situations les plus courantes des apprentissages scolaires, la correction intervient après une évaluation de la production. Il y a retour sur le texte ou plutôt sur des segments textuels, avec un attachement tout particulier au traitement du mot, de la phrase et du paragraphe appréhendé comme une combinaison phrastique limitée. En tout premier lieu, la correction est motivée par une mise en conformité des faits de langue avec une norme langagière ou par la recherche d’un ajustement sémantique afin de s’assurer d’une meilleure cohérence textuelle. Elle se préoccupe de la recevabilité du texte au regard du respect des règles orthographiques, morpho-syntaxiques et des principes de cohésion et de cohérence discursives. En ce sens, elle « fait appel à des connaissances déclaratives, à

des règles pour juger de l’adéquation à la norme du segment mis en cause » (Bessonnat,

2000a, p. 7).

La correction se distingue de la réécriture du point de vue de l’objectivation de son action : en référence aux codes et fonctionnements langagiers en vigueur, il est possible de fixer le degré de réussite du texte produit et de déterminer qualitativement et quantitativement les zones nécessitant une correction. Le retour sur le texte est justifiable d’un point de vue externe, dans le cadre de l’application de la règle. La correction n’invite pas à une négociation entre l’expert et l’apprenant, lequel ne dispose que de faibles latitudes pour engager une révision de son texte. On se situe dans une logique de réduction de l’erreur au plan plus strictement formel de la réalisation scripturale. Cela

signifie en outre que la correction ne vise pas en priorité la signification proprement dite du discours. Et quand cela se produit, cela relève encore de l’appréciation de ce qui est admissible ou non du point de vue de l’expression ou de l’opinion que développe le texte. Enfin, dans la mesure où la correction se réfère à un ensemble de normes langagières, esthético-stylistiques et morales, on comprend sans difficulté qu’elle n’ait pas d’exigence vis-à-vis de l’implication du sujet-scripteur, l’essentiel étant que ce dernier se conforme au discours prescriptif produit par l’enseignant, destiné à guider l’élève dans ce travail de rectification de la faute.

2.2.2. La reformulation

Le terme de « reformulation » recouvre un large champ d’opérations métalinguistiques et métadiscursives. Présentes à différents niveaux de la production écrite et orale, elles interviennent dans des proportions très variables sur un énoncé et sont identifiables à partir de marques textuelles, sémantiques et énonciatives plus ou moins manifestes et interprétables. Si l’on ajoute à ces caractères généraux le fait qu’elles remplissent des visées discursives multiples, ─ discours d’explicitation, d’éclaircissement, de conceptualisation, de commentaire paraphrastique ─ on admettra aisément que la reformulation ne peut être enfermée dans une définition univoque41.

Dans leur Dictionnaire d’analyse du discours, Patrick Charaudeau et Dominique Maingueneau la considèrent comme une « relation de paraphrase. Elle consiste à

reprendre une donnée en utilisant une expression linguistique différente de celle employée pour la référenciation antérieure » (2002, p. 490). Cette acception range la

reformulation du côté des opérations intratextuelles et désigne notamment les phénomènes d’anaphore et de chaîne de référence. À l’intérieur d’un même énoncé, il est aussi possible d’isoler d’autres types de reformulation fréquemment employés pour reprendre sous une forme différente un propos antérieur, chacune des deux parties du discours étant reliée par un marqueur de reformulation tel que « autrement dit », « en

d’autres termes », « par exemple » (Kara, 2004). La teneur paraphrastique de cette

procédure est régulièrement rappelée à travers deux traits majeurs : la reconnaissance

41 Dans une approche anthropologique, Jack Goody démontre que toute nouvelle formulation engendre de nouveaux contenus, tant dans la relation oral/écrit que dans la réécriture (1979, pp. 197-221).

d’une identité sémantique entre les deux énoncés et l’adoption d’un cadre énonciatif identique42. Dans le cadre du brouillon, entendu comme activité sémiotique de mise en texte, la reformulation constitue aussi une opération de première importance. Présente sous la forme d’activités métalinguistiques de reprises dont le brouillon conserve la trace sous la forme d’indices -méta - tels que les ratures (J. Rey-Debove, 1982 ; C. Fabre, 1990), elle peut aussi s’appliquer à une activité de production de variantes en vue de trouver la formulation la plus satisfaisante d’une intention de signification ou de générer des significations encore inexprimées (Fuchs, 1982b).

La reformulation est, en outre, examinée sous ses manifestations hétéro-textuelles et désigne alors « la production d’un texte nouveau référé à un texte antérieur : un résumé,

un compte-rendu, un commentaire, une traduction, la reprise d’un communiqué d’agence de presse dans un article » (de Gaulmyn, 1987, p. 167). Comme le montre Catherine Boré

(2000), on peut joindre à cette liste le cas du brouillon qui se caractérise par la production d’un nouvel état reconfigurant partiellement ou totalement la version antérieure : le brouillon dans sa version originelle acquiert alors le statut d’intertexte ou de texte-source. Avec la reformulation qui se manifeste par la production d’un nouveau texte, on se situe dans le champ de la paraphrase dont l’exercice remonte à l’Antiquité et relève de la tradition rhétorique (Fuchs, 1982a, Daunay 2002). Attestée aussi bien dans la sphère profane comme pratique scolaire que dans la sphère du religieux à travers la pratique de l’exégèse biblique, sa valeur pédagogique ne se dément pas au long des siècles. Même si la rupture introduite à la fin du XIXe siècle (Jey, 1998, Houdart-Merot, 1998) signe en apparence le retrait de la rhétorique au profit d’une approche de la littérature par la lecture, la reformulation paraphrastique perdure. Comme le constate B. Daunay, « il est

vrai aussi de dire que si l’on ne lit plus (en les paraphrasant) les auteurs pour apprendre à écrire, il n’en reste pas moins que pour apprendre à mieux lire, on continue à écrire en paraphrasant les auteurs… Le résumé de texte illustre ce principe, dans la mesure où la paraphrase sert la lecture et la compréhension. » (2004d, p. 28).

42 M. Kara fait apparaître toutefois les différences entre reformulation paraphrastique et non paraphrastique, cette dernière mettant en cause justement cette équivalence sémantique et instaurant une hiérarchie entre les énoncés. (2004, p. 27-54).

En dépit des rejets et des stigmatisations dont elle est l’objet, la paraphrase collabore à l’exercice du commentaire de texte et peut être admise comme un outil pédagogique efficace facilitant « les apprentissages qui concourent à la maîtrise de la lecture scolaire

des textes et du discours métatextuel selon les exigences propres à chaque discipline. »

(Daunay, 2002b, p. 215).

Si la pratique métatextuelle nous vient spontanément à l’esprit pour situer l’usage courant de la reformulation, on ne saurait négliger la part active qu’elle joue dans un grand nombre de productions littéraires qui ont en commun de se référer à un hypotexte (Genette, 1982). Elle devient un mode de relation intertextuelle entre un texte-source et un texte cible. Pour P. Charaudeau et D. Maingueneau, elle « se situe au niveau du

signifiant, dont elle cherche à reproduire les caractéristiques saillantes. En procèdent des genres comme le pastiche (où l’emprunt est affiché, contrairement au plagiat), la satire, la parodie (où la reformulation a une fonction purement ludique) » (2002, p. 490). Nous

retrouvons ici des formes possibles de l’É.I. lorsqu’il s’agit de composer à partir d’un texte-source. À travers l’exercice de la reformulation, l’É.I. renoue avec la tradition rhétorique à tel point que B. Daunay (2004d) note, à juste titre, une collusion entre production métatextuelle et production hypertextuelle, chacune se réclamant d’une forme de paraphrase, explicative dans le premier cas, imitative dans le second.