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Les modalités d’exécution de la réécriture

La réécriture appelle une redéfinition de l’activité scripturale sous l’angle de la temporalité. Il convient de différencier la réécriture « spontanée » de celle qui est programmée, notamment par un tiers acteur de l’apprentissage, l’enseignant en l’occurrence. La réécriture n’aura effectivement pas la même résonance ni peut-être la même puissance de modification, selon qu’elle est conduite librement par le scripteur ou qu’elle est encadrée par un contrat de modification scripturale dont l’impulsion est donnée par un tiers, groupe-élèves ou professeur. Ajoutons que l’instauration d’une séquentialisation de l’écriture a pour effet non seulement de modifier la qualité des modèles d’apprentissage mais aussi la réception par l’enseignant des productions de ses élèves.

2.3.1. La réécriture spontanée

Dans le procès d’une écriture, le scripteur est conduit à intervenir sur sa production, à l’évaluer, à en modifier le cours, à procéder à des ajustements. Le geste de réécriture est en cela consubstantiel au geste d’écriture. Nous avons vu que la présentation juxtalinéaire des processus modulaires (l’invention, la planification, la textualisation, la révision) exposés par J.-R. Hayes et L. Flower peut installer l’idée d’un ordre immuable par lequel passerait tout scripteur. Or il apparaît clairement, à examiner notamment les productions qui précèdent la mise au net d’un écrit, que ces étapes varient en fonction des événements que le scripteur rencontre dans son projet. Sylvie Plane souligne à juste titre que l’on fait une erreur d’appréciation en établissant un parallèle entre ces étapes et celles de la rhétorique connues sous les termes d’inventio, de dispositio et d’elocutio (Plane, 1996, p. 51). La commodité d’exposition qui conduit à présenter ces processus cognitifs dans une succession ne rend pas compte de leurs caractères nécessairement récursifs et interdépendants. Il faut avoir à l’esprit que « la production d’écrits est une situation de

résolution de problèmes qui exige constamment des opérations complexes destinées à évaluer la pertinence des formes et structures employées ou à employer » (ibid., p. 44).

À des moments différents de l’activité scripturale, des phases de réécriture « spontanée » peuvent ainsi intervenir. Elles sont « le résultat de ce que Piaget nomme des "connaissances préconscientes", liées à une conscience pré-réfléchie et qui existent seulement en acte. Les sujets ont des savoir-faire correspondants à des savoirs préconscients. » (Oriol-Boyer, 2000, p. 219). Nous sommes alors en présence de ce que

les linguistes appellent les activités épilinguistiques (Culioli, 1990). C. Oriol-Boyer poursuit en faisant le lien entre cette disposition préconsciente du sujet-scripteur et l’apprentissage. Selon elle, un des ressorts de l’apprentissage est d’assurer un passage progressif de la compétence épilinguistique à sa conscientisation intellective et à sa verbalisation métalinguistique (2000, p. 219). Il y a un lien étroit entre une performance accrue de la réécriture et le développement d’un discours d’explicitation métaprocédurale qui s’efforce de mettre en mots les opérations scripturales effectuées. En se référant notamment à la technique d’entretien d’explicitation inspirée des travaux de Pierre Vermersch (1994), C. Oriol-Boyer conçoit la possibilité d’une « réécriture

accompagnée » (ibid.), présente aussi chez C. Fabre-Cols. Pour ces didacticiennes, la

de production et de réception, que la production d’écrits fasse l’objet d’interactions entre pairs et que des échanges réflexifs, contribuant à la construction d’une conscience métalinguistique, soient provoqués (C. Fabre-Cols, 2000).

Nous verrons comment une pratique de retour réflexif du scripteur sur son écrit peut aussi figurer dans une mise en place d’un apprentissage de l’É.I..

2.3.2. La réécriture différée

L’autre modalité de la réécriture consiste à déplier le temps de l’écriture, à l’étendre à plusieurs séquences dont le nombre, la fréquence et l’intensité sont déterminés en fonction du projet d’écriture. Cette réécriture a vocation à entretenir un autre rapport à l’écriture. La dilatation temporelle peut distraire le scripteur de sa production initiale, l’en détacher de telle façon qu’il rencontrera à nouveau son texte dans le temps de la réécriture dans une distance, une extériorité favorable à un retour sur le texte, à un niveau plus global.

À l’intérieur de la notion de réécriture différée, Marie-Christine Vinson et Jean-Marie Privat (2000) repèrent une diversité de situations pédagogiques qui varient en fonction de critères liés au contexte, aux acteurs, aux supports, aux types de discours investis par la réécriture. Les auteurs estiment intéressant de confronter les élèves à des productions qui privilégient ou exhibent l’exercice de la réécriture, à travers l’examen de dossiers génétiques ou de façon plus inédite à travers un projet de transposition d’un entretien oral comme en proposent les récits ethnosociologiques.

À cette « réécriture observée », s’ajoutent « la réécriture différée » qui consiste à reprendre une écriture d’une année antérieure et à mesurer les progrès après un apprentissage de la réécriture ; « la réécriture partagée », c'est-à-dire « la réécriture par

chacun d’un même fragment de texte pour éprouver par comparaison la possibilité des différentes solutions scripturales » ; « la réécriture multipliée » qui désigne un principe

de production de plusieurs variantes à partir d’un même état originel en faisant varier, par exemple, les enjeux pragmatiques ; « la réécriture différenciée » qui consiste à passer d’un type de texte à un autre en changeant « la fonction communicationnelle » de l’écrit. Les auteurs achèvent la liste de leurs propositions en évoquant un autre type de travail

ambitieux et certainement formateur : celui de la « désécriture délibérée », allusion faite au commentaire de Flaubert qui confie dans sa correspondance : « Puis il faudra récrire

le tout car c’est un peu gâché comme style. Plusieurs passages auront besoin d’être reécrits, et d’autres désécrits » (cité par Privat et Vinson, 2000, p. 230). Il convient alors

de proposer, selon J.-M. Privat et M.-C. Vinson,

« des textes d’auteurs dont les caractéristiques stylistiques sont extrêmement marquées. Ainsi, un texte au lyrisme exacerbé (une page romantique par exemple) se verra délibérément dépouillé de ces marques de subjectivité pour obtenir un écrit plus neutre (…) ; une prose naturaliste sera désécrite pour aboutir à un récit qui gomme la violente expressivité des corps. » (ibid. pp. 230-231).

Sans doute, une telle consigne suppose que « l’institution scolaire du scripteur l’aide à se

départir des mythes de l’immaculée conception rédactionnelle » (ibid., p. 231). Mais cela

exige aussi des compétences élevées de lecture pour que soit menée à bien une investigation du texte qui discrimine les tours stylistiques d’un auteur avant d’engager une opération de « désécriture ».