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Le double statut textuel de l’écrit d’invention

L’ ECRITURE D ’ INVENTION DANS LES TEXTES OFFICIELS

2.3. Le double statut textuel de l’écrit d’invention

Les I.O. ont la particularité de restreindre la présentation des notions enseignables à l’énoncé de leurs principes généraux. Elles s’abstiennent volontairement de tout développement à caractère prescriptif qui les engagerait alors dans l’exposition d’orientations pédagogiques et didactiques, nécessairement partiales, contingentes et révisables. En outre, parce qu’elles ont une valeur informative et qu’elles s’adressent à l’ensemble des acteurs du système éducatif et plus particulièrement aux professeurs responsables de leur mise en œuvre, elles imposent à ses rédacteurs une objectivité qui se traduit notamment par un emploi d’énoncés généralisants et une neutralisation des modalités énonciatives11. Nous avons affaire, selon les termes d’A. Petitjean (1998a), à

« un curriculum formel qui configure virtuellement la discipline par l’intermédiaire de combinaisons plus ou moins solidarisées de finalités, d’objectifs, de savoirs à enseigner, d’activités et de démarches, de méthodes et de modes d’évaluation. » (p. 10).

Dans le cas particulier de l’É.I., on constate qu’il s’agit d’un exercice ou d’une activité dont le statut est pour le moins incertain. Qu’on en juge, l’écrit d’invention est pour une part opposé à d’autres types d’écrits, selon un principe de catégorisation, d’emblée problématique, et qui semble être plutôt d’ordre fonctionnel. On distingue :

« - des écrits d’argumentation, en relation avec les textes et les œuvres étudiés ;

- des écrits d’invention, en liaison avec les différents genres et registres étudiés ;

11

Dans son analyse du discours des Instructions Officielles, Marie-Anne Paveau observe qu’un des principes de fonctionnement discursif de ce type d’énoncé réside dans le fait que le « sujet communiquant

n’apparaît pas comme sujet énonciateur, ses marques énonciatives sont effacées car il s’agit d’un sujet collectif qui, (…) doit produire la parole dans une désincarnation qui assure son universalité. » (Paveau,

- des écrits fonctionnels, visant à fixer et restituer des connaissances. » (MÉN, 2001a).

On oppose ici les écrits selon qu’ils exposent une opinion, qu’ils relèvent de l’invention et que l’on serait tenté d’assimiler à la fiction, ou qu’ils transcrivent des savoirs (prise de notes, résumé documentaire etc.). Cette classification est source de confusion : un écrit d’invention peut présenter une visée ouvertement argumentative, que l’on pense, par exemple, au dialogue romanesque ou théâtral mettant en présence deux thèses opposées ou à une lettre développant une opinion. Cette éventualité est d’ailleurs introduite dans les I.O. de première :

« - écrits d’invention, en liaison notamment avec les différents genres et registres étudiés ; lecture et écriture sont associées dans les travaux de réécriture qui contribuent à une meilleure compréhension des textes ; on fait apparaître les liens entre invention et argumentation. » (MÉN, 2001a).

Ailleurs, c’est le critère des relations textuelles qui est convoqué pour justifier l’élargissement des formes discursives possibles de l’É.I. mais qui, du même coup, ne facilite pas la recherche d’une catégorisation opératoire. Dans un premier temps de sa conceptualisation, il semble bien que l’on ait mis l’accent sur sa qualité hypertextuelle. Les A.P. sont à ce propos explicites :

« Cette pratique se fait toujours à partir de textes lus. Elle contribue à une meilleure compréhension des textes lus parce qu’en imitant, transformant et transposant les modèles qu’ils y observent, les élèves se les approprient et peuvent être davantage sensibles aux particularités de style, de genre et de registres. Elle participe ainsi de l’étude littéraire. Elle appelle donc la présence d’une « bibliothèque » de textes à reprendre ou à imiter, ou desquels s’inspirer plus souplement. » (MÉN, 2001c, p. 92)

L’É.I. s’élabore sous le contrôle d’un texte-source, classé comme littéraire, lequel constitue le matériau qui fournira l’inventio du projet rédactionnel. Au cœur de l’activité de l’É.I. résiderait alors le travail de mise en mots qui appartient plus précisément au domaine de l’elocutio. Cette opération appelle l’interrogation suivante de B. Daunay (2005) :

« Il y a lieu de se demander si ce n’est pas de fait l’elocutio qui dominera dans les nouveaux exercices : cf. la tendance générale de la formation de l’élève selon Genette (1969, p. 26 sq.) qui montre que ce qui dominait au XIXe siècle est l’elocutio, non l’inventio. Cela serait une conséquence logique du fait que le travail d’invention ne porte que sur une imitation ou transformation de textes lus. » (p. 28).

L’observation vaut pour la configuration de l’É.I. en classe de seconde, et encore partiellement. En effet, à côté des exercices de réécriture, est signalée la possibilité

d’écrits en relation avec un genre littéraire étudié dans un corpus de textes d’auteurs ou une œuvre intégrale, pour la réalisation desquels l’élève dispose d’une autonomie accrue :

« La reprise d’un genre associé à un registre peut consister à écrire une saynète comique, ou à utiliser le registre épique ou le registre tragique pour évoquer un événement, voire aller jusqu’à faire écrire une nouvelle fantastique. L’écriture d’une nouvelle est accessible aux élèves de seconde, en relation avec l’étude des genres narratifs. » (MÉN,

2001c, p. 92).

On voit que la relation hypertextuelle s’estompe au profit d’une relation architextuelle ; l’É.I. doit ici respecter un certain nombre de critères d’identification génériques, tout en disposant d’une liberté élargie dans la gestion du matériau idéel et verbal. Dans un cas comme dans l’autre, que la production soit contrainte par le texte dont elle s’inspire directement ou qu’elle soit libérée du cadre de la transposition, on peut reconnaître que nous ne sommes pas dans la perspective d’ « un texte qui en glose, commente, discute un

autre » (MÉN, 2001c, p. 89). Dans cette dernière hypothèse, nous serions dans le cadre

d’une production métatextuelle, dont il est dit, à plusieurs reprises, qu’elle représente l’exact opposé de l’É.I..

On croyait tenir là un mode de classification clair de l’É.I., mais il n’en est rien. En effet, la possible qualité argumentative de l’écrit d’invention déjoue cette catégorisation et empêche de voir dans la notion d’hypertexte un mode définitoire stable et satisfaisant. C’est que l’É.I. se spécialise, particulièrement en classe de première, dans l’apprentissage de genres de discours (lettre, dialogue, discours oratoire, article) qui ont vocation à restituer, discuter, commenter des savoirs littéraires qu’un corpus de textes aura, dans une phase d’analyse, permis de construire. C’est ainsi qu’en évoquant les visées du théâtre de Molière, au service du divertissement ou d’une morale, A. Viala justifie la possibilité d’un recours soit au dialogue qui verrait s’affronter deux thèses, forme relevant de l’É.I., dans le cas où l’élève ferait le choix de maintenir en équilibre les deux lectures ; soit à la dissertation dans l’hypothèse où l’élève se sentirait en mesure de trancher (2001b, p. 18). La porosité des frontières entre dissertation et É.I. est d’ailleurs soulignée par les A.P. :

« la dissertation et l’écriture d’invention ne sont pas dans un rapport d’opposition ou d’exclusion mais de liaison et de complémentarité. La dissertation littéraire, quand elle porte sur un ensemble d’œuvres, se rapproche du débat d’idées qui peut donner matière à un essai, voire à un dialogue. (…) Aussi convient-il de faire percevoir aux élèves que l’une et l’autre formes d’écriture participent au même travail de construction d’une façon d’exprimer son point de vue, par une argumentation de conviction dans un cas (la dissertation), par une argumentation de persuasion ou une mise en images dans l’autre »

Dans l’esprit des concepteurs du programme, on comprend alors que la notion très ouverte et souple de l’essai peut prendre la forme de la dissertation ou de l’écrit d’invention. On verra, au cours de la présentation des sujets des É.A.F., combien cette filiation de l’É.I. devenant la règle majoritaire des propositions d’écriture exclut tout écrit hypertextuel, et dans une moindre mesure les genres non spécifiquement argumentatifs. Le concept d’É.I. résiste à l’établissement d’une définition homogène, capable de rendre compte de l’ensemble de ses réalités discursives. À la dimension hypertextuelle relevée par Y. Reuter, affirmant qu’« il s’agit d’une production d’écrits, sollicitée par

l’enseignant, via des consignes explicites, transformant des textes littéraires et devant manifester la compréhension qu’ont les élèves de ces textes. » (2005a, p. 10), il convient

d’ajouter les deux autres modalités possibles : d’une part, l’écriture sous contraintes de textes typologiquement variés (narration, description, dialogue…) et situés dans un genre littéraire ; d’autre part, des écrits critiques exposant des savoirs sur une question d’ordre littéraire et développant explicitement un point de vue. Compte tenu de ces palinodies définitionnelles successives, on rejoint B. Daunay quand il parle « d’une véritable

indécision sur le statut exact de la notion d’écriture d’invention. » (2005, p. 29).

En fait, dans un souci de clarification, sans doute eût-il été préférable de marquer plus nettement les identités distinctes de l’É.I., dont certaines formes entretiennent finalement plus de liens avec les écritures de la glose qu’avec une pratique du texte littéraire. En alignant l’É.I. sur le schéma général de l’écriture d’imitation et d’imagination, comme nous y invite une première désignation de l’É.I., on pose la singularité de cette nouvelle pratique engagée soit dans une activité de transformation ou de reprise textuelle – la parodie et la pastiche en sont des exemples connus – soit dans un projet d’écriture de discours de genres littéraires plus libres, impulsés par des consignes précises de réalisation.

Quant à l’exercice rhétorique de l’É.I., il convient de lui reconnaître un statut d’argumentation, possédant cependant son originalité puisqu’elle s’inspire de discours sociaux de référence, contrairement aux pratiques scolaires de la dissertation ou du commentaire.

3 - L’

ECRITURE D

INVENTION

:

UN DEVELOPPEMENT DES