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L’ ECRITURE D ’ INVENTION AU BACCALAUREAT

3 - A NALYSE STATISTIQUE DES SUJETS

3.1. La répartition des sujets dans les genres et types textuels

3.1.1. Les genres littéraires

Le théâtre est la forme littéraire la mieux représentée car elle permet opportunément de construire un discours de la délibération19, une confrontation de points de vue dans un

19 Nous montrons ci-après, en nous appuyant sur la rédaction d’un monologue théâtral dans le cadre de l’examen, que les problèmes d’évaluation ne sont pas pour autant résolus.

contexte de fiction censé réduire le caractère formel et artificiel de l’écrit d’invention20. L’écriture dans la veine biographique donne lieu à la rédaction d’extraits d’un journal de voyage (SES.7), d’un journal intime (STT.8) ou d’un fragment autobiographique (SES.14). L’apologue, étudié dans le cadre des formes littéraires de l’argumentation indirecte, est représenté trois fois : pour illustrer une morale (SES.6), pour livrer une perception personnelle du siècle commençant à travers une figure héroïque (L.20), pour rendre compte, par le biais de la fiction, de l’idée que se fait le candidat du pouvoir (STT.5). Signalons enfin le statut particulier du sujet d’amplification où il est demandé de poursuivre une lettre de fiction insérée dans un roman (L.4) et que nous rangeons de ce fait dans la catégorie des productions hypertextuelles.

La poésie, objet d’étude de la classe de 1ère, est absente des formes possibles de l’É.I. : évaluation jugée trop délicate, réalisation trop difficile, insuffisamment encadrée par des formes rhétoriques contraintes ou trop ambitieuses, risque de l’expression trop libre de la subjectivité ? Toujours est-il que le genre poétique fait très régulièrement l’objet de commentaires mais sa reproduction, son imitation sont soit réservées à l’atelier d’écriture, soit limitées à une pratique ludique occasionnelle.

Cela ne signifie pas que la réalisation d’écrits hypertextuels fondés sur les autres genres est exempte de critiques dans la forme actuelle de l’épreuve, surtout si l’on se place dans la perspective de son évaluation dans le cadre d’un examen. Nous nous proposons ici d’examiner brièvement et à titre d’illustration un écrit d’invention de la série littéraire, à la session 2005, dont la consigne est :

« Imaginez un personnage désenchanté, comme le sont ceux des extraits du corpus, en raison d’une désillusion d’ordre sentimental, professionnel, ou existentiel, à votre choix, et rédigez son monologue».

La consigne d’écriture délimite, sous une triple injonction, le format et le contenu de la rédaction : une référence à un genre du discours, un cadre communicationnel, un univers de référence. Comment le candidat croise-il dans la copie étudiée ces critères

20 Le dialogue théâtral : L.6, L.7, L.13, SES.1, SES.17, STT.1. Le monologue : L.17, L.18, SES.16, STT.3, STT.11.

rédactionnels ? De façon générale et prévisible, on observe l’influence dominante du contenu thématique et référentiel. Le candidat expose le désenchantement d’un personnage, ce qui n’a rien d’étonnant. Mais cela n’est pas sans provoquer une série de déséquilibres dans la composition de l’écrit.

Copie d’examen :

« Pourrais-je encore aimer. Aimer pourquoi faire, souffrir, encore, haïr et puis finir par mourir, non, cela je ne le peux plus. Tu m’as porté un tel coup au cœur qu’il s’est arrêté de battre. Pourtant je n’aurais jamais cru que tu me porterais un coup de poignard aussi fort du temps de tes promesses et de tes « je t’aime » qui allaient alors directement dans mon cœur, mais qui en réalité, et cela je le comprends aujourd’hui, s’envolaient à la guise du vent, à peine sortis de ta bouche pour aller dans les oreilles d’une autre.

Tu m’as trompée et ça je ne puis le pardonner, tu as joué avec moi comme un chat joue avec une souris, seulement moi je t’aimais, mais toi…

La vie est injuste, à chaque fois que l’on croit avoir trouvé le bonheur ou que l’on est heureux, elle vous enlève la plus belle chose qu’elle vous avait donnée. Pour moi, c’était toi. J’ai perdu ce qu’il y avait de plus cher à mes yeux, ton amour. Vous avez beau me dire que c’est la fatalité, que ce n’était pas mon âme sœur, je penserai toujours le contraire car sans lui je suis désormais perdue sur mon propre chemin. Avec lui tout était si simple, il n’y avait pas de problèmes auxquels je ne trouve aucune solution.

Au fond c’est amusant, le sentiment le plus fort que l’on ressent est le sentiment amoureux, il est si dur à trouver que certains abandonnent les recherches. C’est incroyable de voir qu’un sentiment si fort est aussi facile à briser. Finalement peut-être que l’amour est un sentiment comme un autre et que moi non plus je ne t’aimais pas. Que dis-je ! Bien sûr que oui je t’aimais.

Tu m’as laissé tomber et quelque chose en moi est parti avec toi, sûrement ma confiance et mon amour, mais pas ma tristesse.

Tu étais le soleil qui éclairait ma vie et maintenant que tu n’es plus là mes jours sont aussi noirs que mes nuits.

On me dit d’aller de l’avant, de t’oublier, comme si c’était facile et que je n’avais jamais essayé. Je préférerais t’oublier car quand je te vois avec elle, cela donne envie à mon cœur d’arrêter de battre définitivement.

En me trompant ce n’est pas dans le dos qu’il m’a poignardée, mais directement dans le cœur. »

On relève tout d’abord un relatif oubli de l’aspect générique alors même que la contrainte du genre est censée constituer un marqueur central de l’évaluation. En écrivant le désenchantement d’un personnage, les candidats négligent le fait qu’ils sont évalués sur la

capacité à construire un monologue théâtral, dont le corpus leur offre des situations exploitables, dans une procédure assumée d’imitation. On est alors en présence de copies qui s’affranchissent peu ou prou de cette donnée : le discours pourrait relever du journal intime ou de toute autre forme d’expression de la confession. Parfois, de façon aléatoire, un repentir ponctuel est inséré dans le discours sous la forme d’une didascalie, comme un faible rappel qu’il s’agit d’un monologue théâtral. Placé dans un interstice de la parole du personnage, il signale une inflexion de la voix, un mouvement du corps, un geste mais ne fait pas sens avec la globalité du monologue. L’évaluation est délicate en l’absence de marques significatives du monologue, mais n’est pas non plus facilitée quand il s’agit d’estimer l’exploitation du genre littéraire au nombre d’indices théâtraux marginaux, sans impact sur le cours du monologue. On pourra aussi objecter qu’il est de très beaux monologues sans didascalie. Effectivement. Et on pourrait poursuivre l’investigation littéraire en se demandant ce que devient un monologue décontextualisé, qui ne porte en lui aucune trace d’une relation à l’intrigue en cours, à ce que vient de vivre le personnage et aux résolutions pour les actions à venir. Pourtant, la commande est bien de produire un monologue théâtral.

Rédiger un écrit d’invention ne consiste pas seulement à déployer les ressources du genre ou à signaler une aptitude à manipuler les procédés rhétoriques d’une communication réussie. C’est du moins ce que l’on veut croire. Dans le même ordre d’idée, sa lecture évaluative ne se réduit pas à l’exercice comptable des indices de réinvestissements rhétoriques. Ce serait admettre une conception atomisée du texte, assimilable à une compilation de procédés classifiables. Le correcteur s’intéresse aussi à ce qui se dit ; c’est là sa pente naturelle. Or que soumettent les candidats à la lecture ?

Dans le sujet examiné, il convient de mettre en mots le désenchantement. Au correcteur d’évaluer la qualité de son expression, l’effusion lyrique du personnage. Un présupposé émerge : est attendue l’activation de procédés et modes de discours relevant des registres pathétique voire tragique. Or que lit-on ? De façon récurrente, les copies disent la désillusion suite à une rupture amoureuse, la douleur de la victime adolescente, la trahison, l’absurdité de la vie. Le sujet en étant très ouvert conduit le candidat à convoquer un savoir d’expérience et à risquer la confusion des genres. Nouveau malentendu. Une forte implication de l’énonciateur fait sauter les verrous et assimile le monologue à un strict épanchement sentimental, efface la distance entre la personne élève

et le candidat. En outre, il faut ajouter au désenchantement du personnage le désappointement du correcteur, mis en présence de tout ce que le discours de la rupture peut avoir de stéréotypé. Il devient difficile dans ces conditions d’évaluer l’originalité d’un propos pris dans une rhétorique du cliché qui a pour effet d’araser les productions. Jean-Louis Dufays (1994) a bien montré l’intérêt que représente le travail sur le stéréotype dans l’enseignement du français ; s’étonner ou s’indigner de sa présence massive, c’est faire peu de cas d’un processus normal dans les acquisitions langagières. En revanche, ce qui devient plus discutable, c’est lorsqu’un sujet d’examen ne prévient pas une exploitation exclusive de ce type de parole et multiplie les occasions de ce « malentendu communicationnel » (Halté, 1981, p. 30) qui consiste en une dissonance entre ce que croit devoir produire le candidat (un développement libre sur un thème donné) et ce sur quoi est censée porter l’évaluation.