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C La Polynésie Française: La Dissociation Entre Autochtonie et Autonomie

Dans le document Polynésie française, 30 ans d’autonomie (Page 53-58)

Ici encore, il faut revenir aux conditions historiques dans lesquelles s'est opérée la colonisation. L'affirmation française est progressive, et s'accentue en raison de la concurrence avec le colonisateur britannique.

Après quoi, nous nous intéresserons aux conditions dans lesquelles l'identité culturelle polynésienne s'exprime sur le plan juridique.

1 Les conditions de la colonisation

Dès 1815, les missionnaires vont chercher à limiter les pouvoirs du roi Pomaré II en publiant deux codes, dits Codes Pomaré. Comme les codes tribaux de Nouvelle-Calédonie, ils contiennent des dispositions censurant certaines pratiques jugées incompatibles avec l'ordre public et le christianisme, tels que les danses et chants censés inconvenants17.

Le protectorat, régime très rare dans la colonisation française, est proclamé en 1842. Théoriquement, il laisse un pouvoir d'administration à la monarchie locale. En 1877, Pomare V, en l'échange d'avantages personnels, consent à l'annexion par la France. Ici encore, sur le plan historique, on retrouve l'ambiguïté des traités passés par les puissances européennes avec les pays colonisés.

Pour certains, le traité d'annexion est contestable parce que les chefs traditionnels ne l'ont pas paraphé et en raison des réserves émises par le roi (maintien des juridictions indigènes pour les affaires foncières), qui n'ont d'ailleurs pas été respectées par l'État français.

Sur le plan juridique, Alain Moyrand fait remarquer que l'argument n'est pas pertinent18. Dans des arrêts récents, en 2008, le Conseil d'État s'est en effet exprimé

de la façon suivante:19

17 Cf. L.Wamytan, Peuple kanak et droit français-Du droit de la colonisation au droit de la décolonisation, l'égalité en question, Centre de documentation pédagogique de la Nouvelle- Calédonie, 2013,87.

18 Cf A. Moyrand, Institutions polynésiennes….

19 CE Mars 2008,Tauatomomairau,req. N0 255626, AJDA 22 septembre 2008,p.1715-1718, note Michel Verpeaux; et CE 16 Juillet 2008,René Hoffer,req.no. 308666. A.Moyrand souligne en outre qu'il ne sera pas possible de continuer la contestation de cette « annexion » en soulevant une question prioritaire de constitutionnalité à propos de la loi de ratification du 30 décembre 1880, le conseil d'État ayant jugé qu'une loi autorisant la ratification d'un traité, qui n'a pas d'autre objet que de permettre cette ratification, est par nature insusceptible de porter atteint aux autres droits et libertés au sens de l'article 61-1 (CE 14 mai 2010, Rujovic, n0 3121305, AJDA 2010, p.1048.

«Considérant que, par la ratification en vertu de la loi du 30 décembre 1880, les déclarations susmentionnées ont entraîné le transfert entier et définitif de la souveraineté des îles de la Société et dépendances à la France, qu'elles ont produit à cette date tout leur effet quant au gouvernement de la Polynésie; qu'au surplus, lors de l'entrée en vigueur de la Constitution du 4 octobre 1958, la Polynésie française a choisi le cadre institutionnel de territoire d'outre-mer au sein de la République française».

Force est de constater qu'à la différence de la Nouvelle-Calédonie, où paradoxalement les réserves, comme en Amérique du Nord, ont joué le rôle de conservatoires, l'acculturation fut si intense que peu d'institutions traditionnelles y ont survécu.

On cite toujours en exemple l'adoption coutumière20 Fa'a'amu, à l'origine mode

d'alliance entre groupes différents, à la manière de l'échange des conjoints cher à Lévi-Strauss.

Mais il semble que l'adoption réponde aussi à d'autres besoins à l'époque actuelle, davantage liés au divorce ou à la détérioration du statut économique, au moins dans les centres urbains.

La profondeur de cette acculturation suscite des réactions identitaires, avec leurs manifestations culturelles, comme la très grande diffusion des tatouages en Polynésie.

Il est intéressant de comparer la Polynésie et la Nouvelle-Calédonie à partir de considérations d'ordre démographique. En Polynésie, les Polynésiens sont largement majoritaires: environ 83% en 1988, selon le dernier recensement du Territoire incluant des statistiques ethniques.

En effet, la Polynésie n'a pas été une colonie de peuplement. Paradoxalement, les coutumes autochtones sont restées beaucoup plus fortes en Nouvelle-Calédonie. Sans doute justement parce que les Kanaks ont connu le régime des réserves, et que comme la plupart des minorités (dans un sens non juridique du terme de minorité),

Joinville Pomaré, descendant de la famille royale, tente depuis une quinzaine d'années de s'appuyer sur le registre de l'autochtonie politique à partir de revendication de droits coutumiers et royalistes , de la dénonciation du non-respect des traités signés au XIXe siècle entre la France et ses ascendants. Mais il est resté jusqu'ici en marge de la vie politique polynésienne.

20 Cf Gilda Nicolau, Le traitement juridique des transferts coutumiers d'enfants dans les collectivités et départements d'outre-mer français, entre pluralisme et acculturations réciproques, dans: L'adoption coutumière autochtone et les défis du pluralisme juridique (Ghislain Otis dir.), Presses de l'université Laval, 2013 , 199-201.

ils ont plus intensément ressenti leur condition de sujétion à une majorité venant d'ailleurs.

Tout ceci explique que l'identité culturelle polynésienne se développe largement en marge du registre de l'autochtonie du droit international.

2 L'expression juridique de l'identité culturelle polynésienne

La Polynésie dispose d'une large autonomie politique, en vertu de plusieurs statuts successifs (1984, 1996,2 1004). Elle dispose d'un hymne, d'un drapeau, d'un saut et d'un ordre de décorations propre

Parallèlement, on a pu parler en Polynésie du politique d'océanisation des cadres21: il faut justifier d'une résidence d'au moins cinq ans sur le territoire pour

pouvoir entrer dans la fonction publique locale. On avantage des autochtones sans le dire22, comme nous l'avons déjà remarqué…

En effet, ce régime peut bénéficier à des non- Polynésiens fixés sur le territoire depuis cette durée, mais, en fait, c'est bien les Polynésiens qu'il avantage.

Ce trompe-l'œil ne suffisait pas aux mouvements indépendantistes, qui réclamaient que ce régime de préférence s'applique aux descendants des populations qui habitaient le pays à l'époque de la colonisation, au sens de la Convention 169 de l'Organisation internationale du travail, c'est-à-dire de la catégorie juridique de l'autochtonie en droit international.

Sur le plan culturel, une loi organique du 27 février 2004 a reconnu les langues polynésiennes comme étant un «élément fondamental de l'identité culturelle», ce qui correspond à leur utilisation dans la vie quotidienne.

A la différence de la Nouvelle-Calédonie et de Wallis-et-Futuna, la Polynésie n'est pas soumise au régime du statut personnel de l'article 75 de la Constitution. Entre 1887 et 1945 (selon les archipels), le droit local a été remplacé par le Code civil français.

21 Cf N. Rouland, op.cit., 518.

22 En Nouvelle-Calédonie, une loi de 1984 a instauré un mode d'accès privilégié à la fonction publique au profit des populations originelles, en réponse aux troubles politiques du début de la décennie. Ici encore, la loi ne prévoyait pas explicitement que ces avantages seraient réservés aux seuls Canaques, afin de ne pas tomber sous le coup de la prohibition de l'article 2 de la Constitution (condamnation des discriminations fondées sur l'origin)e, mais en fait c'était bien eux qui étaient principalement visés.

Cependant, la grande majorité des terres (comme en Corse) obéit au régime de l'indivision. Le Président Gaston Flosse a été le principal architecte de l'autonomie polynésienne, et s'est toujours prononcé contre la revendication indépendantiste.

Pour autant, l'évitement du registre de l'autochtonie est différente des exemples fidjiens et hawaïens. Ici, on ne rencontre pas, au moins sur le plan institutionnel, de clivage racial entre colonisateur français et polynésien colonisé.

On voit donc en Polynésie l'autochtonie, incontestable sur le plan historique et anthropologique, n'est pas une catégorie juridique en raison des principes du droit français. De plus, sur le plan local, elle n'est pas utilisée par les partisans de l'autonomie à la française, dans la mesure où ceux-ci ne sont pas indépendantistes.

La position de l'autochtonie est plus ambiguë dans les mouvements indépendantistes. Dans son acception du droit international, elle peut constituer un argument utilisable politiquement23. Mais si on l'envisage comme seulement un

corollaire de l'autonomie interne, elle ne peut évidemment satisfaire la revendication indépendantiste. Comme l'écrivent fort justement Stéphanie Guyon et Benoît Trépied24:

«On peut avoir été indigène hier sans devenir autochtone aujourd'hui: en témoignent les stratégies mahoraises wallisiennes-et-futuniennes contemporaines d'intégration à la France-à des degrés divers, allant de la conservation du statu quo institutionnel du droit civil particulier à Wallis-et-Futuna25 jusqu'à la départementalisation et la

disparition progressive du droit coranique à Mayotte. En témoignent aussi les trajectoires des militants «indigènes» des grands partis anti indépendantistes de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie, qui revendiquent une forte autonomie politique à l'intérieur de la République, en dehors de l'indépendance ou des droits autochtones. En témoignent enfin les mouvements indépendantistes kanak et maoris, qui

23 Par exemple, en 1990, le parti indépendantiste Tavini d'Oscar Temaru célébrait le trentiéme anniversaire de la Résolution 1514 de l'ONU sur les conditions de l'accession à l'indépendance des peuples colonisés en des termes largement fondés sur l'autochtonie en droit international: « Vu que nous existons, nous les Maoris, en tant que peuple, avec nos traditions et nos coutumes, notre langue et notre identité spécifiques, dans notre territoire national, Que, de plus, nous ne sommes ni ne voulons être français, et que notre patrie, la terre de nos ancêtres, n'est pas non plus un morceau de sol français remorqué au travers des océans… », cit. par Jean-Marc Regnault, L'ONU, la France et les décolonisations tardives-L'exemple des terres françaises d'Océanie, Presses universitaires d'Aix-Marseille, 2013,174.

24 S. Guyon et B. Trepied, Les autochtones de la République: Amérindiens, Tahitiens et Kanak face au legs colonial français, dans: Peuples autochtones dans le monde (op. cit.), 99.

25 Cf par exemple: Florence Faberon, La République et la coutume à Wallis-et-Futuna, AJDA, 9/2014, 10 mars 2014, 518-520.

demandent une sortie du colonialisme français par l'indépendance, plutôt que par l'autochtonie».

Si globalement la Polynésie représente un cas d'autonomie sans autochtonie, la Guyane française illustrerait au contraire la configuration de l'autochtonie sans l'autonomie26.

A la différence des Polynésiens, les Amérindiens ne représentent que 4% de la population guyanaise (10 000 individus pour une population totale de 225 000 habitants), ce qui les met évidemment en position de faiblesse. Les Noirs marrons sont plus nombreux (environ 50 000), mais n'ont jamais revendiqué de droit en tant que peuplest autochtones.

Les Amérindiens ne disposent que de très peu d'institutions politiques qui leur soient reconnues comme spécifiques. La France a malgré tout pris de mesures symboliques. Le décret du 14 avril 1987 a accordé aux «communautés d'habitants tirant traditionnellement leurs moyens de subsistance de la forêt» la possibilité de se voir attribuer des «zones de droit d'usage» et concéder ou céder collectivement des terres domaniales. D'autre part, en 1989, a été créé la commune d'Awala- Yalimapo, majoritairement peuplée par des Amérindiens.

Le mouvement amérindien apparaît en Guyane au début des années 1980, d'une manière qui n'est qu'apparemment paradoxale, puisque ses animateurs appartiennent à une nouvelle génération qui parle français et connaît les mœurs françaises. En fait, c'est justement en raison de cette connaissance de la culture française qu'ils ont pu formuler des revendications qui empruntent le langage de l'autochtonie. En effet, en 1981 est créée l'Association des Amérindiens de Guyane française, qui organise en 1984 le premier rassemblement des Amérindiens de Guyane.

Ses dirigeants s'affirment comme les descendants des «premiers habitants» et demandent la reconnaissance des «peuples amérindiens» et de leur «souveraineté» sur leurs territoires.

En 1992, le leader Félix Tiouka porte les revendications amérindiennes de Guyane à l'ONU. L'État français a satisfait partiellement certaines de ces revendications en élaborant un dspositif foncier spécifique aux Amérindiens et aux Noirs marrons.

26 Cf. S. Guyon et B. Trepied, op.cit., 97-105; N.Rouland, Être amérindien en Guyane française: de quel droit? Revue française de droit constitutionnel, 27 (1996), 493-522.

Dans le document Polynésie française, 30 ans d’autonomie (Page 53-58)