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A L'arc-en-ciel du Pacifique Sud: L'autochtonie en Débat

Dans le document Polynésie française, 30 ans d’autonomie (Page 48-52)

Cette zone correspond à un des caucus régionaux formés par les délégués autochtones dans les instances internationales. Les délégués des archipels de Polynésie y sont minoritaires, face aux Aborigènes , Insulaires du détroit de Torres, Maori, Hawaïens et habitants de Rapa Nui (Île de Pâques).

Nous allons voir que l'autochtonie n'est pas forcément le cadre jugé le plus approprié par les populations originelles pour fonder leurs revendications.

Pour un peuple autochtone, ou qualifié tel, une option se présente: soit la revendication d'une autonomie, qui ne débouche pas nécessairement sur le droit à l'indépendance, et donc à former un État distinct; soit un droit à la décolonisation, qui même progressive, aboutit logiquement à l'indépendance.

Le cas de Fidji, récemment illustré par un bel article de Florence Faberon10, est

particulièrement intéressant, par les variations que l'histoire récente y a organisées autour du concept d'ethnie. Cet archipel de Mélanésie, située à l'est de la Nouvelle- Calédonie, a été colonisé par les Britanniques en 1874. Ceux-ci ont garanti aux autochtones mélanésiens la propriété de leurs terres, en tant que communauté originelle. Ces derniers étaient évidemment largement majoritaires.

En 1881, sur une population totale de 127 000 habitants, ils étaient 114 000. Mais 60 ans plus tard, la situation se présentera tout autrement, en raison de l'importation massive par les Britanniques de travailleurs indiens.

En 1946, les autochtones mélanésiens étaient 118 000; ceux qu'il convient maintenant d'appeler les Indo Fidjiens, 120 000, cela sur une population totale de 259 000 habitants.

Ce déséquilibre en défaveur des autochtones va encore s'accentuer: en 1966, à la veille de l'indépendance proclamée en 1970, les autochtones sont 202 000, les Indo- fidjiens, 241 000.

Comme le souligne Florence Faberon, le cas de Fidji est sui generis. À la différence des États-Unis ou de l'Australie, il ne s'agit pas d'une colonie de peuplement, puisque les Britanniques n'y ont jamais été majoritaires; ni de celui où le peuplement européen a laissé subsister une majorité d'autochtones, comme dans le cas de la colonie française d'Algérie, devenue département (on rappellera que

9 Cf. M.Preaud, Peuples autochtones dans le Pacifique-Héritages coloniaux et gouvernance autochtone, dans: Peuples autochtones dans le monde (I.Bellier dir.)-Les enjeux de la reconnaissance (Paris, L'Harmattan, 2013),113-130.

10 Cf Florence Faberon, Représentation ethnique et droit constitutionnel à Fidji, Revue du droit public et de la science politique en France et à l'étranger, 1er mars 2014, numéro 2, pp. 513 sq.

c'est en faveur de la population d'origine musulmane qu'avait été instauré l'article 75 de la Constitution de 1958 garantissant un statut personnel plus tard en vigueur dans les outre-mer français).

A Fidji, la population majoritaire est devenue celle issue d'une autre colonie du colonisateur: l'Inde. À partir de l'indépendance, l'ethnie connaît des sorts divers au gré des constitutions et des coups d'Etat.

Jusqu'en 2013, les autochtones( les Mélanésiens) et les Indo Fidjiens sont distincts et rivaux.

La Constitution du 25 Juillet 1990 favorise les premiers, alors que les seconds sont majoritaires. La Constitution de 1997 établit une représentation égalitaire des deux ethnies. Un coup d'État de 2000 désavantage les Indo-Fidjiens. Quelques années plus tard, les autochtones sont devenus minoritaires: en 2007, ils représentent 57,3% de population, les Indo-Fidjiens seulement 37,6% (beaucoup de ces derniers ont préféré émigrer).

La Constitution fidjienne du 6 septembre 2013 inaugure une nouvelle ère en mettant fin à la représentation ethnique, quelle qu'elle soit. Mais avec des bémols. Son préambule mentionne explicitement des peuples autochtones de Fidji:

«Nous, peuple fidjien, reconnaissant le peuple autochtone des I Taukei11, le fait que

ceux-ci jouissent de la propriété des terres I Taukei, ainsi que leur culture, coutumes, traditions et langue unique, reconnaissant le peuple autochtone des Rotumans de l'île de Rotuma, le fait qu'ils jouissent de la propriété des terres Rotuman, leur culture, coutumes, traditions et langue unique (…) Déclarons que nous sommes tous Fidjiens unis par une nationalité commune où tous sont égaux».

L'autochtonie et la coutume s'inscrivent donc maintenant dans un espace pluraliste au sein d'un État unitaire. La Constitution institue le monocamérisme, et supprime le Sénat. C'est incontestablement un revers pour la population autochtone, dans la mesure où sa présence dans tous les régimes successifs de Fidji constituait une référence aux traditions mélanésiennes. Il comportait notamment un certain nombre de représentants du Grand Conseil des Chefs. Ceux-ci élisaient le Président et le Vice Président de la République, disposaient d'un droit de veto à l'égard des propositions de la Chambre des représentants impliquant les spécificités des Fidjiens autochtones. Ce Grand Conseil n'existe plus sur le plan constitutionnel.

Mais comme le remarque Florence Faberon: «Ce silence constitutionnel ne sera sans doute pas le silence ni des chefs coutumiers, ni de la coutume». D'autant plus que la Constitution laisse subsister une exception de taille au bénéfice des autochtones.

Seuls les autochtones, les Rotumans et les Benabans jouissent de la propriété des terres, qu'ils ne peuvent aliéner, à l'exclusion des Indo-Fidjiens, cela en dépit du principe d'égalité.

À Hawaii, l'utilisation de la notion de peuples autochtones du droit international s'inscrit dans le cadre d'un débat stratégique. Certains milieux hawaïens entendent contester l'annexion américaine de 1893 et donc affirmer un droit à l'indépendance. D'autres, au contraire, s'inscrivent dans la perspective classique, consistant à revendiquer des droits en tant que peuples autochtones englobés dans un ensemble plus vaste, celui de l'État devenu dominant, dans le prolongement de la doctrine Marshall du XIXe siècle aux États-Unis. L'inconvénient est alors qu'on s'inscrit dans un autre contexte que le droit à l'indépendance.

12

A Rapa Nui, devenue chilienne, le peuplement originel est polynésien. Ici encore, les revendications sont fondées davantage sur le droit à la décolonisation et à l'indépendance que sur l'autochtonie. Le mouvement polynésien indépendantiste refuse de voir les Polynésiens réduits au rang d'une ethnie parmi d'autres dans le cadre multiculturel instauré par l'État chilien, en dépit que ce dernier ait ratifié la Convention 169 de l'organisation internationale du travail qui s'aligne sur la conception de l'autochtonie du droit international.

On voit donc que l'autochtonie, bannie par le droit français, est illustrée par bien des exemples dans le Pacifique.

L'origine et implicitement son corollaire, l'ethnie, sont prohibées par l'article premier de la Constitution de 1958, qui «assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion». Sans compter la mise en infamie du communautarisme, accusé de toutes les dérives13.

Il y a une quinzaine d'années, j'écrivais ces quelques lignes que je peux encore signer:

«L'identification ethnique ne conduit pas fatalement au conflit. Le drame yougoslave ne doit pas faire oublier des exemples positifs de coexistence ethnique tels que la

12 Cf Norbert Rouland (dir.), Droit des minorités et des peuples autochtones, (Paris, Presses Universitaires de France, 1996) 371-373.

13 Et il y aurait beaucoup à dire sur l'acharnement médiatique et de certains groupes politiques sur la « théorie du genre », si mal présentée…et comprise..

vivent des États comme la Suisse14, la Belgique, les Pays-Bas, les États scandinaves,

l'île Maurice, la Polynésie française, etc.

De même, on remarquera que le communautarisme n'est pas nécessairement l'antithèse de l'intégration: une communauté n'est pas toujours fermée par rapport à la société englobant et peut au contraire faire office d'instrument médiateur (comme le montre l'exemple des Asiatiques en France).

L'appartenance communautaire n'opère pas non plus obligatoirement l'incarcération de l'individu en son sein. Au contraire, les théories de la «nouvelle ethnicité», comme celles du pluralisme juridique insistent sur le fait que tout individu possède des appartenances multiples et les combine de façon changeante ou en fonction de ses intérêts. Ces quelques remarques ont pour but de montrer le caractère exclusivement négatif de l'ethnie dans la culture française, à la fois intellectuelle et populaire: l'ethnie, c'est les autres.

On ne dissimulera pas pour autant qu'elle peut aussi conduire au pire, comme en témoigne l'accroissement des conflits ethniques dans notre monde (ils auraient fait 20 millions de victimes depuis le second conflit mondial et concerneraient la moitié des États; 10% des États seulement seraient ethniquement homogènes».

Véritable Janus, l'ethnie ne peut contribuer à la pacification sociale et à l'enrichissement culturel qu'à certaines conditions. Un régime politique démocratique, juste régulateur des différences; la réduction des inégalités sociales et économiques, dont l'ampleur peut conduire au repliement identitaire et à la haine de l'Autre; la croyance que, si des valeurs universalisables à des valeurs de pacte entre groupes culturellement différents sont envisageables, celles-ci ne tomberont pas du ciel et ne pourront résulter que d'un travail commun de reconstruction opérée à partir des différences culturelles et non de leur négation.

On conclura donc à la nécessité de se tenir à distance des positions extrêmes. Car l'ethnicité peut servir de référence à des situations et politiques très différentes. Soit elle consiste dans une stigmatisation négative imposée de l'extérieur à des individus ou à des (législations antisémites).

Contraire aux droits de l'homme comme aux principes républicains d'égalité civique, cette perversion doit être sans hésitation condamnée. Soit elle consiste dans une légitime auto affirmation du sujet qui demande que soit protégé son droit

14 L'exemple de la Suisse est la preuve contraire de l'idée reçue suivant laquelle la démocratie directe ne peut exister que dans les micro- sociétés des anthropologues. On sait combien les votations sont fréquentes dans la Confédération helvétique: chaque citoyen peut faire connaître son suffrage par voie électronique. Un simple clic suffit donc… .

à des spécificités culturelles, dans le cadre des droits de l'Homme et des libertés fondamentales».15

Dans le document Polynésie française, 30 ans d’autonomie (Page 48-52)