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III CONCLUSION

Dans le document Polynésie française, 30 ans d’autonomie (Page 173-186)

Pour rester dans les considérations musicales je conclurai en rappelant à nos élus politiques de tous bords, à mes amis autonomistes et indépendantistes le début de l'avant-dernier refrain de La Marseillaise, celle que l'on n'entend chantée que par les chorales d'enfants: «Nous entrerons dans la carrière quand nos aînés ni seront plus; Nous y trouverons leur poussière et la trace de leur vertu».

La vertu de nos aînés a été de considérer l'autonomie comme un état dynamique d'évolution et de progrès, la nôtre sera d'accepter que la marche de ce progrès mène vers la pleine autonomie.

Maururu i te faaroo raa mai. Je vous remercie de votre attention.

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DEBAT

Mme Alix de La Marnierre: Bonjour, Philippe. Je suis Alix de La Marnierre, membre de l'AJPF, tout comme Philippe, qui est l'association des juristes de Polynésie française.

Donc, comme Philippe et beaucoup d'autres membres de l'AJPF qui sont présents ici, on travaille sur ce problème récurrent des juristes en Polynésie française qui rencontrent des difficultés dans l'application des textes, parce qu'il y a justement non seulement le partage des compétences, mais les spécificités locales à prendre en compte. À l'époque on avait fait un colloque sur l'adoption en montrant

qu'il était compliqué en Polynésie d'appliquer les textes sur l'adoption quand on connaît la tradition «fa'a'amu» qui existe en Polynésie, et qui va à l'encontre même de la réglementation métropolitaine qui est fondée sur l'abandon de l'enfant, alors que dans la tradition «fa'a'amu» c'est un don d'enfant.

Donc, Philippe, tu proposes à ces problèmes la pleine autonomie et tu conclus en nous disant – tu avais fait deux propositions qui m'ont étonnée, qui pour moi sont antinomiques, tu dis: «On peut demander aux sections administratives du Conseil d'État de nous aider à écrire nos lois et à former nos fonctionnaires, d'une part; et d'autre part, on peut rétrocéder des compétences si on considère qu'on n'arrive pas à les exercer». Alors, je ne comprends pas comment on peut proposer la pleine autonomie et ensuite aller demander au Conseil d'État, qui pour la plupart ne connaissent pas la Polynésie française, de nous aider à écrire nos textes alors qu'ils n'ont aucune idée de ce qu'on vit ici; et en plus rétrocéder des compétences qui pour moi est l'inverse de la pleine autonomie.

Merci.

M. Philippe Neuffer: Oui. Merci, Alix, pour cette excellente question. En fait, ce n'est qu'une contradiction apparente. Je m'explique: d'abord, certaines sections du Conseil d'État connaissent, contrairement à ce qu'on peut croire, bien la Polynésie, du moins le système juridictionnel, la particularité de l'Autonomie de la Polynésie française, ne serait-ce que la 10ème sous-section du contentieux par exemple ou encore la section de l'intérieur. Et la plupart des présidents qui président ces sections ont une connaissance assez poussée. Et d'ailleurs, il suffit de regarder le guide de légistique pour constater l'ensemble des développements qui sont consacrés à la Polynésie pour se convaincre finalement que le Conseil d'État n'est pas si éloigné que ça de la Polynésie française.

Rendre des compétences, ce n'est pas faire preuve d'incompétence. Au contraire, c'est faire preuve de réalisme. C'est un petit peu ce qui s'est passé pour le domaine pénitentiaire, puisqu'il s'agit d'un des cas, avec la question des mineurs sous protection judiciaire, où il y a eu une véritable rétrocession de la compétence vers l'État pour des motifs qui peuvent s'expliquer juridiquement et politiquement. Je ne reviendrai pas dessus, mais juste pour dire que ce n'est pas incompatible de rendre quand on ne peut pas, notamment, et j'insiste là-dessus, sur des matières non opérationnelles. C'est-à-dire, ce que j'appelle une matière non opérationnelle, ce sont des matières transversales, tel que le droit des assurances que tu connais bien qui concerne le droit des contrats, les obligations civiles et commerciales, etc., et qui ont un caractère transversal et qui impliquent une technicité telle qu'il faut accepter quand on ne peut pas. Donc ça, c'est faire preuve de bon sens que de se dire: Bon, eh bien, on ne peut pas, on ne peut pas. Ce n'est pas la peine. La preuve

qu'on ne peut pas, depuis 10 ans – heureusement, il n'y a pas eu d'intervention législative dans ce domaine.

S'agissant de l'aide des sections administratives, je crois que permettre aux sections administratives d'exercer leurs fonctions de conseil, ça permet aussi de squeezer le contentieux, c'est-à-dire d'éviter ensuite que les lois du pays, si elles venaient encore à être contrôlées par le Conseil d'État, puissent être sanctionnées par ce même Conseil, en tout cas les sections contentieux du Conseil d'État.

En clair, une fois de plus, c'est faire preuve de réalisme de reconnaître que nos connaissances, nos compétences pour élaborer, rédiger les lois, sont limitées; parce que tout simplement, nul n'est formé pour faire ce travail. Quand on sort de l'université, on n'est pas formé à faire ça. On le devient, c'est difficile, mais on n'est pas formé pour rédiger des lois, pour les comprendre très certainement, mais pour les rédiger et pour les adapter aux spécificités polynésiennes. On n'est pas formé pour ça.

Et j'en viens ici à répondre à la remarque – j'espère que j'ai répondu à ta question – de Monsieur le professeur Rouland. Effectivement, c'est là qu'on est véritablement dans la question de savoir si l'autonomie est réelle ou virtuelle. Je vais vous donner un exemple particulier, deux. Le premier c'est que généralement, quand on prend une réglementation, la première question qu'on se pose c'est: comment on fait en France? C'est quand même un peu curieux de systématiquement se poser cette question alors qu'en réalité on devrait se poser la question: comment on fait dans les autres États du Pacifique, comment on fait dans le monde pour encadrer le fait social que le législateur a envie d'encadrer?

Deuxième élément de réflexion que je livre: dans le code de procédure civile de la Polynésie française, en tout cas en 2001 sous l'impulsion de Madame Merceron, il y a eu une disposition qui, sans la rappeler, figure à la fin du code et précise que toutes les dispositions, pour toutes les questions qui ne seraient pas contenues dans le code de procédure civile local, on peut faire référence au code de procédure civile métropolitain.

Donc, par ce texte qui n'existe plus, l'Autonomie, finalement, ou le législateur Autonomie se permet de renvoyer au législateur métropolitain le soin de fixer sa propre compétence. Je ne dirai pas que c'est une forme d'incompétence négative, mais, voilà… Pour un praticien, c'est extrêmement pratique, alors, là, c'est vraiment bien. Et ça, je sais que mes amis juristes, et notamment, le plus éminent n'est pas d'accord avec moi, mais c'est quand même pratique d'avoir cette disposition, quand bien même elle pourrait paraître curieuse au regard de l'exercice de l'Autonomie. Voilà.

Ensuite, pour rebondir aussi, Monsieur le professeur Verpeaux, la question de l'Autonomie pose la question du titulaire du pouvoir ou de l'intérêt à agir, la personne qui pourrait avoir qualité pour agir et demander à ce que l'Autonomie soit protégée, puisque l'Autonomie est attachée à une collectivité, en tout cas, c'est le texte de l'article 74. Et la question qui se posait, effectivement, c'est si cette collectivité serait recevable à introduire une telle question prioritaire de constitutionnalité, alors qu'elle est destinée aux citoyens qui sont recevables. Et au- delà de cette question, ça pose véritablement le point de savoir, il me semble, si chacun d'entre nous peut utiliser l'Autonomie et la défendre dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité. Vous voyez, il y a encore beaucoup de questions juridiques qui se posent.

Mme Sandra Manutahi-Levy-Agami: 'Ia ora na Bonjour. Tout d'abord, je voudrais te remercier pour ton intervention parce qu'elle appelle à la réflexion. Après, selon sa sensibilité, on peut le prendre bien ou pas. Mais, en tout cas, sur le fond, la réflexion est intéressante.

Moi, ce qui m'a interpellé dans ton analyse, c'est que, finalement, tu nous poses la question de la définition de l'Autonomie. Et selon le courant auquel on appartient, on a une définition qui n'est pas forcément la même. Et tu dis, à un moment: «Si l'Autonomie polynésienne était réelle…»; tu parles de «véritable autonomie», pour finalement dire: «puisqu'il n'y a pas une véritable autonomie, puisque l'autonomie polynésienne n'est pas si réelle que ça, pourquoi ne pas aller vers la pleine autonomie?» Donc, ma première question: est-ce que la pleine autonomie, c'est le nouveau nom de l'indépendance? Ça, c'est la première question.

La deuxième réflexion que j'ai, à un moment, tu parles de «véritable outil», et je t'avoue que nous avons tous deux connu les mêmes bancs scolaires, tu es allé certainement beaucoup plus loin que moi au niveau du droit, mais je compte sur ton analyse peut-être pour venir combler mes lacunes. Mais, je pense en effet que ce statut d'Autonomie que nous avons, c'est un outil avant tout. Et un outil, ça sert à faire évoluer les choses, ça nous permet d'avoir une organisation institutionnelle qu'on peut critiquer, qu'on peut améliorer, qu'on peut rendre peut-être plus efficace, et en tout cas, c'est ce que je souhaite, plus efficiente. Et on le voit, tous les jours, dans notre pratique en tant que législateurs polynésiens, les limites de cette Autonomie, les confrontations par rapport à des règlementations métropolitaines, les interprétations diverses et variées. Mais, ce qui me gêne dans la façon dont tu abordes la question de cet outil qui est le statut d'Autonomie, à un moment, tu nous parles de présidentialisation du régime, du comportement de Gaston Flosse, des mauvais investissements réalisés; j'ai quand même l'impression qu'on part dans du factuel là. On n'est plus dans de l'institutionnel. Donc, tu es en train de nous dire que, parce que, peut-être qu'une personne aurait dû mieux gérer le pays avec cet

outil; cet outil doit être remis en question. C'est comme si tu me disais, aujourd'hui que parce que Monsieur Hollande est au plus bas des sondages en métropole, il faut remettre en question la Constitution française et l'organisation institutionnelle de la France. Je trouve que c'est un peu réducteur, et ça me gêne, sur ça.

Après, encore une fois, moi, je pense que – et tu l'as dit un moment, quand tu disais: «finalement, on fait un peu du copié/collé de ce qui se passe en métropole», et c'est Sémir Al wardi qui le dit régulièrement – l'on manque d'imagination en Polynésie française. Et quelque part, j'aurais une question à te poser: est-ce que, finalement, ce n'est pas la résurgence de la colonisation des mentalités, plutôt que de parler de colonisation institutionnelle ou de confrontation avec la Constitution française? Parce que, ça renvoie un peu à ce que disait Maina précédemment. Est- ce que finalement c'est peut-être ici que se pose le problème? C'est de prendre conscience de l'outil que nous avons, de dépasser les clivages politiques. Gaston Flosse est le père de l'Autonomie, certes, tout comme le Général de Gaulle a été le père de la Vème République, mais ce n'est pas forcément le Général de Gaulle qui a fait vivre la Vème République, ce sont les personnes qui sont arrivées derrière.

Moi, j'ai envie de faire passer ce message en disant: on a un outil, maintenant, rejoins-nous pour faire fonctionner au mieux possible cet outil parce que nous avons besoin de tes compétences! Et justement, tu sais que mon dada, comme le tien, c'est le foncier. On a trois élus, là; moi, je vais les harceler! Il faudrait qu'on travaille ensemble pour monter les dossiers qui conviennent pour qu'il y ait une synergie entre notre travail parlementaire au niveau local et le travail parlementaire au niveau national. Parce qu'on sait très bien qu'à un moment donné, il y a un décrochage entre ce que nous faisons localement et ce qui se pratique au niveau national; puisqu'il y a quand même une bonne partie du Code civil qui ne s'applique pas forcément directement ou, en tout cas, pour laquelle on n'a pas les mêmes dispositions. Donc, voilà le message que je voudrais te passer, Philippe: travaille avec nous! On a besoin de toi! Māuruuru Merci.

M. Marc Debène: Ce colloque a un grand intérêt dans la mesure où il nous permet d'avoir un certain nombre d'échanges et de réflexions au fond après 10 ans de pratique de cette loi statutaire.

J'ai eu une intervention, tout à l'heure, qui avait regretté la dérive un peu technocratique constatée à partir de 2007, bon, ça rejoint un peu ce que j'ai dit à propos des questions financières et fiscales, vendredi dernier. Mais je voudrais aller au-delà et revenir sur les thèmes que, Philippe, tu as abordés.

J'ai l'impression, quand on regarde la loi de 2004, quand on va peut-être au-delà de sa stricte application, mais un peu de la philosophie, qu'il y a peut-être des

domaines dans lesquels elle ne va pas assez loin; et je pense notamment à ceux qu'on pourrait qualifier de droits organiques au sens où on reconnaît des droits constitutionnels. Il y a des droits constitutionnels, mais là, il y a des droits, disons, spécifiques à la Polynésie française. Alors, je pense notamment à la protection de l'emploi – c'est un peu compliqué, je n'y reviendrai pas, ou au droit d'établissement, mais je pense aussi à ces deux questions qui sont véritablement au cœur de l'identité polynésienne comme de l'identité d'un certain nombre de populations, c'est la question foncière que tu as abordée, et c'est aussi la question linguistique. Et c'est vrai que, dans ces deux domaines, moi j'ai vraiment l'impression que le texte ne va pas assez loin. On devrait pouvoir trouver des solutions locales en matière foncière et sur le plan linguistique.

Alors, Michel Verpeaux, tout à l'heure, citait le Conseil constitutionnel, mais dans ce domaine, le Conseil constitutionnel, en fait, il ne fait que lire la Constitution. On ne peut même pas dire qu'il a une interprétation rigide; il peut difficilement faire autrement. J'ai l'impression, en effet, qu'on n'est pas exactement dans la même situation qu'en métropole où on a reconnu du bout des lèvres, les langues régionales, qu'on pourrait, par exemple, avoir une modification de l'article 74 qui reconnaîtrait un autre statut linguistique pour la Polynésie ou pour d'autres collectivités. Bon. Ça, c'est l'aspect, disons, identitaire.

Par contre, lorsque l'assemblée adopte des lois du pays – vous parliez tout à l'heure des problèmes de propriété intellectuelle ou de la biodiversité – c'est vrai qu'on a parfois un certain nombre de questions techniques qui doivent être tranchées et qui doivent peut-être être tranchées assez rapidement, parce que les citoyens polynésiens, les acteurs de la vie économique ont besoin de règles adaptées à la situation du moment.

Je reprends l'exemple que tu as indiqué, bon, ce n'est pas un exemple polémique du tout, qui est celui du droit des assurances. C'est vrai qu'autrefois, avant 2004, si je ne me trompe pas, l'État avait gardé la compétence pour le crédit, donc pour la banque et pour l'assurance; puis, en 2004, il ne garde plus que le crédit, il ne garde plus que la banque. Ce qui n'est pas très très logique dans la mesure où, dans ce domaine-là, entre la banque et l'assurance, on parle de banque-assurance, on est quand même devant des questions très proches. Et c'est vrai que, depuis 10 ans, le droit de l'assurance n'a pas évolué ici à la même vitesse qu'il a pu évoluer en France, en Europe et dans le monde. Ça pose tout le problème de la relation entre la norme locale, de la relation entre la loi du pays, et de la norme nationale, la loi nationale. Et c'est vrai que, pour traiter ce type de problème, on est parfois tenté de regarder comment ça se passe dans les pays où il y a une superposition comme ça d'ordres juridiques, notamment dans les pays d'organisation fédérale. Alors, attention, même si parfois on fait rapidement une référence aux fédéralismes en

parlant de la Polynésie par rapport à la France, un État fédéral, ça n'a rien à voir avec l'organisation qui est, à l'heure actuelle, celle de la Polynésie. Regardez, comparez avec Hawaï. Hawaï a une constitution. Le fédéralisme, c'est de l'autonomie constitutionnelle. À Hawaï, il y a une justice. Le fédéralisme, c'est aussi le fait d'avoir un système étatique complet. Bon, on est dans un autre registre. On est dans un autre registre, mais se pose quand même ce problème de la juxtaposition ou de la comparaison qu'on peut faire entre la loi applicable ici et la loi applicable là-bas.

Alors, est-ce qu'on n'aurait pas pu réfléchir – alors, là, je tire les plans sur la comète – à d'autres systèmes? Est-ce qu'on n'aurait pas pu avoir, dans certains cas, des compétences partagées? Est-ce qu'on n'aurait pas pu, par exemple, raisonner un peu sur le modèle de la construction européenne? En Europe, vous avez ce qu'on appelle «les directives», c'est-à-dire qu'à Bruxelles on donne des objectifs, et ensuite, chaque État est libre d'adopter les normes pour atteindre ces objectifs. Est- ce qu'on n'aurait pas pu avoir une sorte de directive républicaine? Est-ce qu'on n'aurait pas pu avoir – c'est ce que tu viens de dire à propos de la procédure civile – un système qui permettrait de combler les lacunes en empruntant provisoirement des solutions à la législation nationale qui serait plus moderne que celle à laquelle on se réfère puisque, par exemple, pour le droit des assurances, c'est bloqué en 2004? Bon, c'est toute une série de questions qui me semblent être importantes pour l'avenir de l'ordre juridique polynésien.

Quand on parle d'Autonomie, ce n'est «l'auto-normie», ce n'est pas le fait de pouvoir, personnellement, de pouvoir, de façon autonome, adopter des normes. C'est de se doter d'un ordre juridique. Le nomos en grec, c'est l'ordre juridique et c'est beaucoup plus complexe que l'édiction des normes. Alors, est-ce qu'on ne devrait pas réfléchir justement à un système qui permettrait de combler les lacunes autrement? Réflexion, donc, qui, je le répète, devrait être parallèle à celle qui permettrait d'approfondir ce qui concerne véritablement l'identité, notamment la langue et le foncier.

M. Philippe Neuffer: Merci pour cet ensemble, je dirais, cette salve de questions. J'y répondrai en commençant par dire à Sandra Lévy-Agami que l'Autonomie – et je le dis à tout le monde, l'Autonomie c'est le partage des compétences. Et le mot «partage» veut dire deux choses. Ça veut dire avoir en commun ou faire des parts. Malheureusement, jusqu'à présent, on était plutôt dans

Dans le document Polynésie française, 30 ans d’autonomie (Page 173-186)