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Norbert Rouland *

Dans le document Polynésie française, 30 ans d’autonomie (Page 36-39)

Dans une première partie, on s'efforcera de définir les concepts fondamentaux: autonomie, autochtonie, coutume. On précisera ensuite la difficile position française sur l'inexistence des peuples autochtones et des minorités. Plus longue, la seconde partie sera consacrée à l'autonomie et l'autochtonie dans le Pacifique sud, en privilégiant le cas de la Polynésie française. Dans un premier paragraphe, nous tenterons de dessiner «L'arc-en-ciel du Pacifique sud», entendant par là les situations de Fidji, Hawaï, Rapa Nui (île de Pâques). En contrepoint, on citera les cas des colonies de peuplement postulant l'extinction des spécificités autochtones: Australie, Nouvelle-Zélande, Nouvelle-Calédonie.

Le second paragraphe sera consacré à la Polynésie française, ou: La dissociation entre autonomie et autochtonie. On évoquera les conditions de la colonisation; les diverses formes de l'expression juridique des identités culturelles. On terminera par quelques bémols qui, au contraire, associent autochtonie et autonomie en Polynésie et en Guyane française. Une assez large Conclusion Générale, intitulée: «Les décolonisations tardives» évoquera le cas de la Nouvelle-Calédonie, placée sous le signe de ce qui nous semble être «L'autochtonie et l'autonomie: vers l'indépendance». Un premier paragraphe rappellera la novation d'un legs colonial: le statut particulier de l'article 75 de la Constitution de 1958. Un second paragraphe sera consacré à une exception majeure au droit français: l'existence d'un peuple kanak. Dans un second paragraphe, nous aborderons la notion de «décolonisation tardive» appliquée à la Polynésie française.

* Ancien Membre de l'Institut Universitaire de France (Chaire d'anthropologie juridique), Professeur de droit à l'Université d'Aix-Marseille. Je remercie le Professeur Michel Troper d'avoir bien voulu relire ce texte, et l'avoir fait bénéficier de ces remarques.

The paper first wrestles with the definition of the fundamental concepts: autonomy, autochthony, and custom. It deals particular with the difficult French position in relation to the non-existence of indigenous peoples and minorities. The second part deals with autonomy and autochthony in the South Pacific with special reference to French Polynesia. There in the first section is a sketch of "the South Pacific rainbow" reaching out to the situations in Fiji, Hawai'i, and Easter Island. By way of counterpoint, the cases of settler colonies leading to the elimination of specific indigenous peoples: Australia, New Zealand, and New Caledonia. The second section is dedicated to French Polynesia or The Delinking of Autonomy and Autochthony. The conditions of colonization are recalled – as well as the diverse forms of legal expression of cultural identities. By way of conclusion, there are some negative notes made which link autochthony and autonomy in French Polynesia and French Guyana. There is a broad conclusion, "Late Decolonisations", which deals with the case of New Caledonia which may be described as "Autochtony and autonomy: towards independence". There is first the colonial legacy: the special status of article 75 of the French Constitution. Then there is the major exception for French law: the existence of the Kanak people. Finally the paper addresses the idea of late decolonization in the context of French Polynesia.

I

INTRODUCTION

Malheur à celui qui est seul.

L'Ecclésiaste, chapitre IV, verset 10

L'exclusive fatalité, l'unique tare qui puisse affliger un groupe humain et l'empêcher de réaliser pleinement sa nature, c'est d'être seul.

C Lévi-Strauss, Race et histoire.

L'un des plus grands et peut-être le principal fondement des Républiques et d'accommoder l'estat au naturel des citoyens, et les édits et les ordonnances à la nature des lieux, des personnes et du temps (…) qui fait aussi qu'on doit diversifier l'estat de la République à la diversité des lieux, à l'exemple du bon architecte qui accommode son bâtiment à la matière qu'il trouve sur les lieux .

Il y a de certaines idées d'uniformité qui saisissent quelquefois les grands esprits (…) mais qui frappent infailliblement les petits (…) La grandeur du génie ne consisterait- elle pas à savoir dans quels cas il faut l'uniformité, et dans quels cas il faut des différences? (…) Lorsque les citoyens suivent les lois, qu'importe qu'ils suivent la même?

Montesquieu, L'Esprit des lois, XXXIX, 18.

Le législateur ne doit point perdre de vue que les lois sont faites pour les hommes, et non les hommes pour les lois; qu'elles doivent être adaptées au caractère, aux habitudes, à la situation du peuple pour lequel elles sont faites.

Portalis, Discours préliminaire prononcé lors de la présentation du projet de Code civil, An XI.

***

Porté par de grands projets, le législateur révolutionnaire a fait des choix différents, plus tard aménagés par la jurisprudence constitutionnelle du XXe siècle. Les sociétés dites traditionnelles, presque toutes acculturées par la modernité et le contact avec les Européens étaient soutenues par d'autres armatures: notamment la prééminence des groupes, rendant inconnue la solitude, ce fléau des sociétés modernes, mais qui pouvait aussi être oppressive pour les individus.

Dans ces mondes anciens, comme le rappelait Claude Lévi-Strauss, l'altérité commençait souvent très vite: aux limites d'une vallée, d'une baie, ou d'une montagne. Non moins souvent, la qualité d'homme était refusée à des populations géographiquement très proches. Face au risque d'implosion ou d'anéantissement guerrier, beaucoup de sociétés surent faire alterner les échanges de conjoints, de biens, de dieux (Qu'on pense au Panthéon des Romains, où une stèle était même dédiée au dieu ou à la déesse inconnus…).

Avec les voyages transocéaniques se produisent la première forme de mondialisation et la dilatation de l'altérité. Jusqu'à la fin du XXe siècle, on crut volontiers à la résultante de l'uniformisation, à la dissolution des particularismes culturels hérités du passé. Dans bien des domaines, contre une logique superficielle, le contraire se produisit.

Englobées dans des États plus vastes, certaines communautés humaines originelles disparurent quasiment tandis que d'autres survivaient, au prix de plus ou moins de souffrances. Les politiques suivies par les États furent très diverses, et aboutirent à des solutions différentes, suivant les rapports de force et les sentiments d'appartenance, parfois cristallisés dans la notion d'autochtonie. La décolonisation, l'autonomie sont certaines de ces solutions.

Les circonstances historiques, la volonté des législateurs ont combiné ces différentes couleurs et sont parvenues à des tableaux différents. Dans les lignes qui suivent, nous souhaitons tenter d'éclairer les rapports entre deux concepts: l'autonomie et l'autochtonie, que l'on doit apprécier par rapport à la qualification juridique des Polynésiens.

L'anthropologue cependant pourra considérer ce qui suit avec circonspection. En effet, les concepts et catégories utilisées sont ceux du dominant et de son droit. Que penserait un autochtone non acculturé de l'autochtonie ou de l'autonomie? Il trouverait certainement ces notions étranges. Mais leur manipulation est la condition de l'accès au discours du dominant. C'est pourquoi, la plupart du temps, les leaders autochtones sont ceux qui ont appris à les utiliser.

Dans une première partie, intitulée: «Les Polynésiens et la théorie du domino: des peuples aux populations», nous étudierons les heurs et malheurs de leurs qualifications juridiques et les implications de ces acceptions sur la nature de l'autonomie.

Dans une seconde partie, intitulée: «Autonomie et autochtonie dans le Pacifique sud», nous apprécierons ces deux notions dans le cadre plus large du Pacifique sud, tout en réservant la plus grande partie de notre attention au cas de la Polynésie française.

PARTIE I: LES POLYNÉSIENS ET LA THÉORIE DU DOMINO: DES

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