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I LES NORMES METROPOLITAINES INADAPTEES A La Loi Simple

Dans le document Polynésie française, 30 ans d’autonomie (Page 167-169)

Pour ne pas surcharger nos travaux d'une fastidieuse énumération qui mettrait notre moral au plus bas, je me contenterai d'évoquer l'inadaptation législative au regard de la question foncière et à travers un exemple bien concret, le projet de loi de modernisation de la justice.

Je m'excuse par avance de vous obliger à entrer dans un domaine qui généralement provoque une certaine aversion chez les juristes de droit public, mais qui peut s'avérer passionnant pour ceux qui s'intéressent à l'histoire de l'introduction des normes métropolitaines en Polynésie française.

L'inadaptation législative en matière foncière est un fait dont il serait indécent de ne pas reconnaître le caractère colonial.

L'appropriation des terres polynésienne par l'administration française constitue d'ailleurs la première pierre de l'"œuvre coloniale".

On pourra objecter qu'elle vient en second après la religion. Néanmoins, il sera rappelé que la conversion au christianisme s'est effectuée dans le cadre des royaumes indépendants et au bénéfice d'une confession baptiste anglaise, sur fond de rivalité franco-britannique.

La prise de possession des terres maohi constitue le premier fait colonial français en Polynésie française.

En pratique, l'administration française a fait application peu après le traité d'annexion du principe colonial du domaine éminent bien connu en droit international public, qui justifie qu'un Etat souverain qui en annexe un autre, s'en approprie les terres.

Selon le cas et les époques, cette procédure peut éventuellement s'accompagner d'une redistribution des terres aux populations autochtones.

C'est exactement ce que va faire la France à l'égard de sujets du roi nouvellement nationalisés.

Elle va utiliser pour ce faire une procédure comprenant la faculté pour les indigènes de réclamer leur terre par une déclaration (tomite) net de les faire enregistrer, après les avoir identifiées et quantifiées.

Cette révolution juridique dans un pays qui ne connaissait pas la notion de propriété individuelle en matière foncière, marque le point de départ formelle d'une inadaptation législative. Cette dernière est à l'origine, avec les pratiques locales d'une indivision successorale chronique de la propriété foncière et sur plusieurs générations, elle-même facteur d'insécurité juridique.

Le projet de loi sur la modernisation de la justice a été l'occasion de mettre en exergue le caractère particulièrement inadapté de certaines règles du code civil, à la particularité géographique de la Polynésie française et à la spécificité de la culture de ses habitants s'agissant de la question foncière.

Il a également été le révélateur de ce que les erreurs du législateur ne pouvaient être réparées autrement que par cette procédure. En effet la procédure de déclassement par le Conseil constitutionnel ne protège que les empiètements de compétence.

C'est ainsi que l'attention du législateur a pu être alertée sur le caractère inadapté et inapplicable des dispositions relatives au testament insulaire, ce qui peut paraître un comble.

Le texte de l'article 986 du code civil prévoyant le cas des «testaments faits dans une île du territoire métropolitain ou d'un département d'outre-mer», excluant de facto les îles polynésiennes alors que le législateur y avait étendu son application dès 2006.

Certes il s'agit d'une inadaptation mineure issue de l'inattention des services du ministère de la justice ou des sections administratives du Conseil d'Etat, il n'empêche qu'elle n'est pas isolée, loin de là.

Il en est de même de la question du droit de retour des biens des ancêtres prévus à l'article 757-3 du code civil.

Cette notion au terme de laquelle les biens des personnes décédées sans postérité, provenant de ses ascendants retournent dans le patrimoine de la famille de laquelle ils proviennent est bien connue du droit coutumier polynésien et notamment celui des îles sous le vent dont je suis issu.

Cet usage a d'ailleurs été codifié par le législateur colonial après l'annexion militaire de Raiatea (oui la colonisation ne s'est pas faite que dans la paix ici).

Il figure à l'article 31 des lois codifiées (applicables jusqu'en 1945 en lieu et place du code civil), sous l'appellation «biens qui proviennent des ancêtres».

Or la rédaction retenue par le code civil prévoit que seule la moitié de ces biens retournent dans le patrimoine familial d'où ils proviennent. C'est dire que l'autre moitié va se retrouver dans le patrimoine du conjoint survivant et se transmettre ainsi à sa famille, ce qui engendre les difficultés que l'on peut imaginer.

Certes une fois de plus, il s'agit d'une inadaptation mineure, mais elle peut avoir des conséquences majeures dans les familles et source d'incessantes querelles.

Il faut souhaiter que le législateur, dont l'attention a été alertée par les forces vives polynésiennes relayées par les représentants de la nation élus dans nos circonscriptions, rectifie le tir et adapte le droit aux spécificités polynésiennes.

Il faut également souhaiter que l'engagement pris par madame le garde des sceaux de faire évoluer le droit foncier, notamment en donnant une forme juridique à la jurisprudence Calinaud, véritable coutume juridique, relative au partage par souche dans le cadre d'une représentation utile puisse être tenu.

Peut-être que tout ceci ne serait pas arrivé si nous avions conservé notre bon vieux principe de spécialité législative, au lieu de procéder à une extension massive et aveugle de textes depuis l'abandon, sur les vœux du Conseil d'Etat, de ce principe de bon sens.

Mais peut-être que ceci n'aurait pas eu lieu si l'autonomie polynésienne était éelle.

Dans le document Polynésie française, 30 ans d’autonomie (Page 167-169)