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B Les Conséquences des Hésitations; Flous Furidiques

Dans le document Polynésie française, 30 ans d’autonomie (Page 42-47)

Tout d'abord, un certain effet de trompe-l'œil en ce qui concerne les particularismes admis dans notre ordre constitutionnel.

Car sur quelles bases sont constituées ces populations? L'anthropologue y verra un assemblage de groupes humains de différentes origines: autochtones, européens, asiatiques, etc.… Ce que traduisaient d'ailleurs les recensements à base ethnique, interdits depuis 1988 en Polynésie, mais pas en Nouvelle-Calédonie.

Car les distinctions fondées sur l'origine, fussent-elles positives, sont prohibées par la Constitution. Celle-ci ne dit rien de l'ethnie, qui a une composante plus culturelle.

Il reste que le terme ethnie a mauvaise presse, dans la mesure où on le soupçonne de n'être que le maquillage culturel de la discrimination raciale, ou le prétexte de l'intolérance identitaire, alors que les groupes autochtones revendiquent fortement une identité ethnique sur la scène internationale. L'ONU a d'ailleurs adopté en décembre 1992 une Déclaration des droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques.

En fait, il s'agit d'un signifiant flottant: qui veut y voir la race l'y trouve, qui ne veut considérer que la culture le peut aussi. En tout cas, en 1983, le Conseil constitutionnel a jugé qu'il était possible de tenir compte «… De la situation géographique et de la diversité ethnique de ce territoire» au sujet de l'extension à la Nouvelle-Calédonie de régime de représentation proportionnelle pour les élections municipales. Il reste que les populations ne peuvent être définies par le critère de la naissance, mais plutôt de la résidence.

En témoigne une décision du Conseil constitutionnel portant sur la propriété foncière en Polynésie. L'article 19 de la loi organique de 1999 aménage un droit de préemption au bénéfice du Conseil des ministres de la Polynésie.

Les transferts de propriété foncière entre vifs (à l'exception des donations en ligne directe ou collatérale jusqu'au quatrième degré) doivent être déclarés. Dans les deux mois suivant la déclaration, le Conseil des ministres peut exercer un droit de préemption, ce qui permet «… de préserver l'appartenance de la propriété foncière au patrimoine culturel de la population de la Polynésie française». Mais sont exemptées de cette déclaration les personnes appartenant à des populations locales.

Le Conseil constitutionnel a décidé que lesdites populations ne pouvaient être définies à partir de la naissance en Polynésie française, ou de la naissance de l'un des parents en Polynésie.

Ce critère de résidence a l'avantage d'unifier les populations en gommant les différences d'origine et même de culture3. L'outre-mer français voit en effet la

coexistence de plusieurs ethnies. En revanche, il inscrit la définition de ces

3 Et pourtant… En 1988, utilisant toujours la même technique du trompe-l'œil, la République a procédé à la partition du territoire de Nouvelle-Calédonie en trois provinces, dont deux sont indépendantistes et majoritairement kanak.

populations dans un contexte très différent de celui des peuples autochtones définis par la doctrine et dans le droit international.

Celles-ci sont à vrai dire foison. On en retiendra qu'elles postulent en général l'ascendance commune des populations présentes avec les premiers occupants des territoires, l'occupation par une puissance extérieure de terres ancestrales, diverses particularités culturelles (dont la langue).

Il reste que dans les faits, les différentes mesures de discrimination positive profitent à ce qu'il faut bien appeler les populations autochtones, surtout en Polynésie française, où les Polynésiens forment plus de 80% des habitants du territoire.

L'ambiguïté de ces positions apparait aussi quand on examine certains concepts, parmi lesquels celui d'autonomie.

De façon provocante, pourrait-on définir l'autonomie comme l'indépendance du pauvre ou du faible? On pensera à ce sujet aux revendications faites au gouvernement chinois par le dalaï-lama pour le peuple tibétain. Mais outre son caractère lapidaire, cette définition serait quelque peu succincte…

En fait, l'autonomie, comme l'autochtonie, peut revêtir bien des visages. Dès le début du XXe siècle, on assiste à la multiplication des revendications d'autonomie nationale juive, soit sur base territoriale, soit sur base personnelle, la seconde option étend celle de la plupart des juifs d'Europe centrale. Alors que la première a servi de base au courant des migrations vers la Palestine.

A la même époque, les penseurs austro-marxistes (Karl Renner) voient en l'autonomie le droit d'un peuple à ne pas devenir un État plutôt qu'une voie vers la sécession et l'indépendance. Plus près de nous, diverses constitutions ont mis en œuvre cette définition de l'autonomie dans un cadre interne: Constitution espagnole de 1978, dont l'article 2 édicte:

«La Constitution repose sur l'unité indissoluble de la nation espagnole, patrie commune et indivisible de tous les Espagnols, et reconnaît et garantit le droit à l'autonomie des nationalités et des régions qui en font partie, et la solidarité entre elles toutes».

L'article 20 de la Constitution hongroise, dans un contexte ethnique différent, édicte le même genre de principe: «Les minorités nationales et ethniques (…) fon partie du pouvoir du peuple; elles sont des facteurs constitutifs de l'État». Au sein de l'État danois, le Groenland jouit d'un très large statut d'autonomie. Il est majoritairement peuplé de Groenlandais, c'est-à-dire de personnes descendant d'Inuit et de Danois.

C'est dans cette acception ne postulant nullement l'accession à l'indépendance que se situe aussi l'autonomie déclinée sous sa forme polynésienne.

Les autorités polynésiennes peuvent adopter des règles générales, créer des impôts et autoriser une dépense, mais ne peuvent pas s'organiser elles-mêmes. Les «lois du pays», prévues par la loi organique du 27 février 2004, sont un vocable trompeur. À défaut d'habilitation constitutionnelle, elles ne sont pas considérées comme des actes législatifs. Dans une décision de 2004, le Conseil constitutionnel a jugé que soumises au contrôle du conseil d'État, elles restaient des actes administratifs, à la différence des lois du pays néo-calédoniennes. Une fois de plus, les grands principes se heurtent aux butoirs néo-calédonien, même si les lois du pays expriment en Nouvelle-Calédonie n'ont pas la volonté du seul peuple kanak, mais celle de la population de la Nouvelle-Calédonie.

De surcroît, l'autonomie façon polynésienne n'offre qu'un cadre restreint à l'expression des identités culturelles, comme le fait constater Marc Debéne4.

L'usage des langues polynésiennes est toujours facultatif; l'État conserve d'importantes compétences en droit civil( avec des incidences sur le régime de la propriété foncière), et en ce qui concerne l'organisation judiciaire.

En ce sens, l'autonomie n'est nullement en elle-même porteuse de l'autochtonie. Elle ne vise pas à restaurer ou adapter des institutions coutumières, mais opère un partage des pouvoirs en droit positif entre l'État et la collectivité ultra marines. Une loi constitutionnelle du 28 mars 2003 fait de la Polynésie une Collectivité d'outre- mer. L'autonomie ne fut jamais entendue par le Président Gaston Flosse comme le vecteur d'un processus d'autodétermination, ni celui d'une quelconque restriction du suffrage universel, malgré la reconnaissance d'une citoyenneté polynésienne. Cependant, elle n'est pas seulement administrative, mais également politique, comme le laissent entendre des décisions du Conseil d'État et du Conseil constitutionnel de 2006 et de 2007.

Plus largement, la Polynésie française répond aux cinq critères que pose Alain Moyrand pour définir l'autonomie politique dans le cadre d'un État unitaire comme la France: la collectivité infra étatique dispose d'un certain pouvoir d'auto organisation dans les limites fixées par la Constitution; les organes de la collectivité sont de nature politique (un gouvernement composé de ministres, et non pas un simple conseil exécutif, exerce le pouvoir exécutif; le Parlement y est composé de députés); la collectivité détient un pouvoir législatif, dont certains

4 Cf Marc Debéne, Préface à A.Moyrand, Droit institutionnel de la Polynésie française, Paris, l'harmattan, 2012,9.

actes peuvent être de nature seulement administrative; la collectivité dispose d'un pouvoir de décision excluant l'intervention de l'État dans les compétences qui lui ont été reconnues5.

Ici encore, on peut noter un certain effet de trompe-l'œil: la collectivité autonome ressemble à un État, mais elle n'en est pas un. Elle ne dispose pas de son propre système juridictionnel; ses institutions politiques sont déterminées non par une Constitution, mais par une loi.

On voit donc que l'autonomie ne constitue nullement de façon obligatoire la préservation des coutumes, chère à l'autochtonie. Encore faut-il dire rapidement que la coutume ne correspond pas forcément à un héritage immémorial qu'il faudrait à tout prix préserver, même si les ethnologues ont coutume d'entendre que telle coutume est justifiée parce qu'elle est héritée des ancêtres.

Déjà au Moyen Âge, un adage juridique disait: «Coutume se remue». En fait, chaque peuple interprète son propre passé en fonction des nécessités du présent et de sa volonté de construire son avenir. En ce sens, la coutume est beaucoup moins un contenu qu'un contenant: un mode de production du droit, reposant sur la volonté de la communauté qui l'engendre.

En 1985, Jean-Marie Tjibaou affirmait: «Le retour à la tradition, c'est un mythe. Nul peuple ne l'a jamais vécu. La recherche d'identité, le modèle, pour moi, il est devant soi, jamais en arrière. C'est une reformulation permanente. Je dirais que notre lutte actuelle, c'est de pouvoir mettre le plus d'éléments appartenant à notre passé, notre culture, dans la construction du modèle d'homme et de société que nous voulons pour l'édification de la cité. Notre identité, elle est devant nous»6.

En Polynésie, Bruno Saura a montré qu'on pouvait même qualifier de coutumières des institutions… Qui n'ont jamais existé dans le passé autochtone. Ainsi en fut-il desToohitu, tribunaux autochtones que la plupart des Polynésiens croient dater des temps pré européens. En fait, ils étaient des tribunaux jouant à la fois le rôle de cour d'assises et de juridictions d'appel, créés en 1824, qui seront le principal point d'appui des missionnaires.

Ils disparaissent au début du XXe siècle. Du Mais dans la foulée des revendications identitaires, ils réapparaissent entre 1980 et 1990 dans certaines

5 Cf A. Moyrand, op.cit., 46-47.

villes, autorisés ou non par la loi française. Dans l'esprit de leurs promoteurs, ces tribunaux devaient œuvrer en matière foncière et assurer le respect des coutumes7.

La Nouvelle-Calédonie, où l'acculturation a été moins profonde qu'en Polynésie, constitue un terrain privilégié pour l'appel à la coutume… et le recours à ses manipulations.

Il y a une vingtaine d'années, des Kanaks ont utilisé les conceptions européennes du clan et de la parenté, arbitrairement plaquées sur leur société par le colonisateur pour pouvoir acquérir des espaces et immeubles urbains sans bourse délier, arguant de procès-verbaux de palabres tenus entre les membres du seul clan du mari (alors que le principe kanak est ambibilinéaire) pour soutenir des revendications de biens situés en zone urbaine à plusieurs centaines de kilomètres du lieu de conduction (alors que la culture kanak est hostile à toute propriété absentéiste).

Tout cela au nom d'une tradition consciemment inventée, et présentée comme authentique. Comme l'écrit l'anthropologue Jean Viard:8

«On renvoie aux Blancs les idées mêmes qu'ils ont élaborées pour traiter, d'une manière parfaitement, et exclusivement, occidentale, des interrogations historiquement variables posées par l'existence d'une société autochtone encore bien vivante-la fameuse «coutume» et pourtant officiellement considérée en fait comme juridiquement secondaire, comme une survivance malheureuse contraire aux progrès-et l'on exige ainsi des protagonistes européens de ces idées qu'ils acceptent les implications logiques de leur propre création juridique».

PARTIE II: AUTONOMIE ET AUTOCHTONIE DANS LE PACIFIQUE

Dans le document Polynésie française, 30 ans d’autonomie (Page 42-47)