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Une politique de prévention globale et déterminée en matière de prise excessive d’alcool aurait un impact positif en termes de sécurité routière comme de santé

POLITIQUE DE SECURITE ROUTIERE ET POLITIQUE DE SANTE PUBLIQUE

3.3 Une politique de prévention globale et déterminée en matière de prise excessive d’alcool aurait un impact positif en termes de sécurité routière comme de santé

Cette politique déterminée de prévention pourrait concerner dans un premier temps les personnes ayant commis une infraction (notamment routière mais pas exclusivement27) du fait d’une consommation excessive d’alcool. Elle pourrait être étendue selon les préconisations internationales à l’ensemble de la population, via une véritable politique de prévention en matière de consommation d’alcool nocive pour la santé.

3.3.1 L’individualisation de la peine en matière d’alcoolémie supposerait un diagnostic préalable à l’orientation pénale

L’individualisation de la poursuite pénale est une réalité

Pour les condamnations pour conduite en état alcoolique (CEA) ou conduite en ayant fait usage de stupéfiants, l’existence d’antécédents judiciaires inscrits au casier judiciaire influence de manière importante le mode de réponse pénale retenu par les parquets.

27 Alcool, dommages sociaux, abus et dépendance, INSERM 2003 - expertise collective.

180 Ainsi la plupart des personnes mises en cause ne comparaitront pas devant un tribunal correctionnel si elles n’ont pas d’antécédent (90% - voir annexe optimisation du traitement des infractions). En revanche, cette poursuite concerne près de la moitié des personnes ayant un antécédent de conduite en état alcoolique (49%). L’existence d’un antécédent d’une autre nature n’est pas neutre non plus et fait, par exemple, nettement baisser le recours à la composition pénale et à l’ordonnance pénale.

Modalités de poursuite pénale selon les antécédents judiciaires Répartition par type de jugement

Source DACG - condamnations inscrites au casier judiciaire en 2011

CP : composition pénale ; CRPC : comparution devant le tribunal correctionnel sur reconnaissance préalable de culpabilité ; OP : ordonnance pénale.

Au niveau de la condamnation, la réitération à l’identique se révèle un facteur majeur de prononcé d’une peine d’emprisonnement ; le taux de condamnation à une peine ferme de prison est de 17% pour les réitérants. Cette proportion augmente en cas de récidive légale.

Etude de l’individualisation des peines en cas de récidives Groupe

Source DACG - condamnations inscrites au casier judiciaire en 2011

Mais la récidive reste importante et l’efficacité de la réponse pénale est aussi fonction d’une évaluation médicale du prévenu

Selon le ministère de la Justice, parmi les conducteurs condamnés en 2011 pour conduite sous l’empire d’un état alcoolique ou en ayant fait usage de stupéfiants, 30% ont fait l’objet d’une précédente condamnation dans les cinq dernières années pour conduite sous l’empire d’un état alcoolique ou en ayant fait usage de stupéfiants. 19% sont en état de récidive légale28.

Les spécialistes rencontrés par la mission s’accordent pour considérer qu’il convient d’adapter la réponse apportée aux personnes ayant conduit avec de l’alcool dans le sang en fonction de leur rapport avec l’alcool, qui ne peut être déduit uniquement de leur taux d’alcoolémie.

Ceci suppose que le parquet et le juge puissent disposer d’une expertise d’un spécialiste en ce sens. La mission a ainsi été convaincue par l’utilité d’un dispositif favorisant ce type d’évaluation préalable pour toute infraction liée à l’alcool. Il arrive que cela puisse se faire sur la bonne volonté locale et grâce à beaucoup d’énergie déployée coté santé comme coté justice. Il arrive aussi que cela ne puisse pas aboutir, faute d’orientation nationale volontariste.

28 Ces données sont intéressantes à croiser avec les observations ci-dessus relatives à la fréquence des contrôles et à leur ciblage. Malgré le fait qu’une proportion importante de la population n’est jamais contrôlée, une part non négligeable des personnes condamnées sont en état de réitération ou de récidive légale.

181 Exemple du protocole Santé-Justice en Seine-Maritime

Le magistrat du parquet en charge de l'affaire peut décider que la situation de l’auteur de l’infraction nécessite une orientation vers un Centre de soins d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) en vue d’une évaluation de sa situation.

S'il en est ainsi décidé, il est enjoint à l'auteur de l'infraction de prendre rendez-vous dans un CSAPA.

A cet effet, sont remis à l’auteur de l’infraction en même temps que la convocation en justice ou la citation devant le tribunal correctionnel :

- un imprimé l’invitant à prendre rendez-vous dans un CSAPA dans un délai de 8 jours ; - la liste et les coordonnées des CSAPA de Haute-Normandie entrant dans le dispositif.

Le CSAPA est informé de l'identité et des coordonnées de la personne concernée par la demande d’évaluation émanant du parquet.

L’évaluation est réalisée par les professionnels du CSAPA dans les meilleurs délais et en toute hypothèse avant la date de l’audience.

A l'issue de cette évaluation, le CSAPA indique à la personne l'intérêt de s'inscrire dans un parcours de prévention et de soins, et complète l'imprimé en indiquant la date du prochain rendez-vous.

Dans le cas où un suivi médical est jugé nécessaire, la personne choisit, parmi la liste établie par l’ARS qui lui est soumise, la structure de soins ou le praticien auprès duquel elle s'engage à effectuer le suivi préconisé.

Dans le cas où la nécessité d'un suivi médical n'est pas retenue, le CSAPA en informe le parquet et dispense à la personne une sensibilisation aux dangers de la consommation excessive d'alcool.

Ce type de dispositif s’inscrit en cohérence avec le plan d’action gouvernemental 2013-2017 de lutte contre les drogues et les conduites addictives, avec la volonté d’adapter la politique pénale pour éviter les récidives et avec la nécessité de diminuer les consommations excessives d’alcool pour réduire le coût pour la santé des maladies liées à l’alcool.

Cette action déterminée de prévention, à financer sur des crédits de santé, serait d’autant plus profitable qu’on cible ici des personnes ayant a priori un comportement à risque avec l’alcool, à un moment où la nécessité de récupérer son droit à conduire peut constituer une motivation forte pour l’amorce d’un processus de soin ou la diminution raisonnée d’une consommation qui risquerait de s’aggraver sans intervention.

Cette opinion est confortée par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM)29 :

« une alcoolémie illégale indique très souvent aussi un problème lié à l’alcool. Chaque année, les 100 000 condamnations routières en France pourraient donc être considérées comme fournissant de nombreuses opportunités de traitement. Cette opportunité est surtout entre les mains du secteur judiciaire ; l’alcool au volant est en effet l’un des plus gros contentieux traité par l’institution judiciaire (24 % des condamnations sont des condamnations routières). L’accès aux soins par une incitation ou une obligation judiciaire semble amener des patients à s’engager dans un processus de cure volontaire. »

Elle aurait également un impact positif en matière de sécurité routière comme de prévention de la récidive.

29 Alccol, dommages sociaux, abus et dépendance, INSERM 2003 - expertise collective - www.inserm.fr

182 3.3.2 La mise en place d’un programme de dépistage et d’interventions brèves

entraînerait une baisse de la consommation d’alcool nocive, avec un bénéfice attendu très supérieur à son coût

Plus ambitieuse encore serait la mise en place d’un programme de prévention liée au risque des consommations excessives d’alcool. Selon un consensus international30, un programme de repérage et d’interventions brèves réalisé par les médecins généralistes sur la base d’un questionnement court. Ces interventions sont particulièrement efficaces dans les cas d’alcoolisation les moins graves et donc de nature à prévenir l’alcoolo-dépendance.

Une intervention brève peut inclure les éléments suivants :

- restituer au patient les résultats du test de repérage en lui indiquant que sa consommation correspond à la catégorie « consommation à risque »,

- l’informer sur les risques particuliers qu’il encourt s’il continue à consommer de l’alcool de cette manière, lui faire choisir un objectif de changement de comportement,

- le conseiller sur les limites à ne pas dépasser (moins de 210 g d’alcool par semaine pour les hommes et moins de 140 g d’alcool par semaine pour les femmes)

- l’encourager en lui expliquant que chez les personnes ayant une consommation d’alcool à risque, l’objectif est de retrouver un usage social de l’alcool.

Un programme de prévention particulièrement efficace et efficient en termes de santé publique On estime la mise en œuvre d’un programme de repérage et d’interventions brèves à 1 644 € par an en moyenne dans l’Union européenne pour 1 000 patients en médecine générale.

À ce jour, il n'y a pas de donnée disponible montrant que le repérage et les interventions brèves ont des effets indésirables, tels que de la gêne ou du mécontentement chez les patients. Au contraire, il semble qu’une discussion sur l’alcool avec les médecins généralistes soit généralement bien acceptée par les patients.

Les programmes de dépistage et d’interventions brèves entraînent une baisse de la consommation d’alcool à risque ou nocive, une baisse des dommages causés par l’alcool et une baisse de la mortalité. Selon une estimation très pessimiste, pour un patient adulte tirant avantage du programme, 385 patients doivent être dépistés, ce qui demeure bien plus efficace en termes de dépistage que pour l'hypertension (1 250 patients) ou le cancer colorectal (3 300 patients).

Huit patients ayant une consommation d’alcool à risque ou nocive doivent bénéficier d’un conseil pour qu’un patient tire avantage du programme, ce qui est deux fois plus efficace qu’avec le conseil minimal prodigué pour arrêter de fumer. Il faut proposer une intervention brève chez 282 patients pour prévenir un décès par an : c’est un bénéfice énorme. L’Organisation mondiale de la santé a estimé qu’une intervention brève réalisée par un médecin, chez 25 % de ses patients concernés par une consommation à risque, épargnerait quatre-vingt-onze années de morbidité et de mortalité prématurées pour une population de 100 000 personnes, c’est-à-dire 9 % de la morbidité et de la mortalité prématurées induites par l’alcool.

On estime qu’avec 1 960 euros pour une année de morbidité et de mortalité prématurée évitées, les interventions brèves en médecine générale pour lutter contre une consommation à risque et nocive font partie des interventions médicales les moins chères permettant une amélioration de la santé. En d’autres termes, si un médecin généraliste doit entreprendre une nouvelle activité, apporter un conseil bref aux patients ayant une consommation d’alcool à risque ou nocive sera bien plus bénéfique à la santé de cette population que de passer dix minutes à faire quoique ce soit d’autre.

Anderson P., Gual A., Colom J., INCa (trad.) Alcool et médecine générale. Recommandations cliniques pour le repérage précoce et les interventions brèves. Paris, 2008 ; 141 p. traduction INPES

30 Anderson P., Gual A., Colom J., INCa (trad.) Alcool et médecine générale. Recommandations cliniques pour le repérage précoce et les interventions brèves. Paris, 2008 ; 141 p. Ce document a été élaboré pour le compte et dans le cadre du projet Primary Health Care European Project on Alcohol (PHEPA). Le projet PHEPA a été co-financé par la Commission européenne et le département de la Santé du gouvernement catalan (Espagne). Des représentants de dix-sept états membres de l’Union européenne y participent.

L’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES) a adapté et mis en ligne la version française.

http://www.inpes.sante.fr/CFESBases/catalogue/pdf/1146.pdf

183 La mise en œuvre d’une telle action de prévention réside surtout dans la nécessité de l’accompagner d’une formation des médecins généralistes, cet entretien rapide nécessitant une formation adaptée et massive, la plupart des médecins n’ayant pas reçu au cours de leur formation initiale une formation transversale à la prévention des addictions.

La difficile mobilisation des médecins généralistes explique en partie que cette politique de prévention reste encore au stade expérimental dans la plupart des régions alors qu’une circulaire de 2006 en a validé l’utilité et les modes de mise en œuvre31.

Cette politique de prévention mériterait d’être relancée voire accompagnée d’une communication adaptée de nature à vaincre les blocages culturels liés à la prévention contre la consommation excessive d’alcool en France.

D’ores et déjà, la DSCR depuis septembre 2012 a modifié la formation initiale destinée aux médecins agréés pour l’aptitude médicale à la conduite (3000 médecins en France) et institué une formation continue obligatoire tous les 5 ans. La formation au dépistage précoce et à l’intervention brève est devenue obligatoire et est prioritaire. Au 1er juillet 2014, environ 1600 médecins, grâce à 95 sessions de formations initiales et continues auront été formés à ces techniques. Ces formations devraient avoir un impact positif sur leur travail en tant que médecin agréé mais aussi en tant que médecin généraliste.

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