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Le poids des nouvelles institutions

1 ère partie : Genèse

Section 1 : Le moment fondateur : les débuts de la Vème République

B. Le poids des nouvelles institutions

Une autre source de divisions de la gauche et de féroces critiques à l’encontre de Guy Mollet réside dans l’attitude pour le moins ambiguë adoptée par la SFIO vis- à-vis du général de Gaulle. Guy Mollet a en effet entretenu des relations épistolaires avec le général, suivies de rencontres à Colombey, qui font penser au premier secrétaire de la SFIO que l’homme du 18 juin 1940 est le meilleur (ou le moins pire) des recours face à la menace d’un putsch militaire et – autre hypothèse – au risque d’un nouveau Front populaire cette fois ci dominé par les communistes. Les socialistes se révèlent très divisés lors du vote d’investiture de de Gaulle (49 voix contre, 42 pour) et la SFIO réalise son plus mauvais score en 1962 avec seulement 12,65% des voix. On ne peut pas dire qu’elle aborde la décennie des années soixante en position de force, après avoir pourtant joué un rôle moteur sous la IVème République.

Ce régime se caractérisait par une instabilité gouvernementale chronique, par le jeu des partis à l’assemblée, fait de tractations et de combinaisons systématiques, qui n’amélioraient pas l’image du personnel politique aux yeux de l’opinion. Pris entre gaullistes et communistes, les gouvernements dits de « troisième force », regroupant le centre-gauche et le centre-droit, avaient contribué à dévaloriser l’image de la SFIO, offrant trop souvent le spectacle, d’après Charles Hernu, de « la contradiction entre les paroles et les actes », « ce défaut historique : parler à gauche, agir à droite ; se faire élire à gauche, s’allier à droite pour gouverner »79.

Les nouvelles institutions établies en 1958 donnent la primauté au pouvoir exécutif, évolution parachevée par la réforme de 1962 qui introduit l’élection du président de la République au suffrage universel direct. Habitués à donner la priorité aux élections législatives, les partis contestent cette évolution, se regroupant dans le disparate « cartel des non » en 1962 afin de contrer la réforme, en vain. Ce n’est que très progressivement que les partis, et en particulier ceux de gauche, vont s’accoutumer à un régime où le président joue un rôle prépondérant, la dénonciation

du pouvoir personnel restant un thème central dans les discours80. Les clubs joueront d’ailleurs un rôle d’acclimatation de l’idée d’un exécutif fort, le Club Jean Moulin en tête, les constitutionnalistes Georges Lavau, Georges Vedel et Maurice Duverger bataillant pour la promotion d’un vrai régime présidentiel à l’américaine81, en restant réservés par rapport au projet du général de Gaulle, puisqu’ils se prononcent aussi pour la suppression du Premier ministre, la fin du droit de dissolution de l’Assemblée, la limitation du nombre de mandats présidentiels à deux, la création d’un poste de vice-président, l’extension des prérogatives du Conseil constitutionnel aux actes présidentiels82. L’élection présidentielle, jointe à l’adoption du mode de scrutin majoritaire à deux tours pour les élections législatives, va devenir le pivot de la vie politique et forcer les partis à nouer des alliances.

Le Mouvement des républicains populaires (MRP) n’est pas lui non plus épargné par le déclin : il est traversé par des contradictions fortes, certains souhaitant l’alliance avec la gauche non-communiste, d’autres lui préférant la mouvance gaulliste, certes concurrente mais plus proche des valeurs du MRP83. Là aussi, des militants partiront pour créer des clubs, tels Robert Buron, ancien ministre, qui lance Objectif 72 en 1965. Le centrisme, ballotté entre plusieurs projets de recomposition politique, va souffrir de plusieurs divisions, des personnalités aussi diverses que Jean Lecanuet, Jean-Jaques Servan-Schreiber et Valéry Giscard d’Estaing lançant successivement leur propre mouvement. Le cas de Valéry Giscard d’Estaing est sans doute le plus intéressant, sa participation à la majorité en tant que ministre de l’Economie et des Finances ne l’empêchant pas de construire patiemment son avenir politique et son statut de présidentiable, appuyé sur le réseau des Club Perspectives et Réalités créé en 1965.

Cette première période dans laquelle vont se développer les structures non- partisanes est marquée par d’importantes mutations, devant lesquelles les partis semblent dépassés. Le laps de temps nécessaire à leur adaptation aux nouvelles

79

HERNU Charles, Priorité à gauche, Paris, Seuil, 1969, p.32.

80

Un parallèle étant fait avec l’expérience de Louis-Napoléon Bonaparte, qui mit fin à la IIème République Sur le rapport de la gauche aux institutions de la Vème République, voir DUHAMEL Olivier, La Gauche et la Vème République, Paris, PUF, 1993.

81

Bulletin du Club Jean Moulin, « Le régime présidentiel », 21, mars-avril 1961.

82

Bulletin du Club Jean Moulin, « L’heure du Parlement », 33, juin-juillet 1962.

83

Un sondage IFOP réalisé en mai 1964 indique que son électorat préfère de Gaulle (50% d’opinions favorables) à Gaston Defferre (12%).

règles du jeu politique et à la réalité d’une France en pleine transformation socio- économique dégage un espace pour de nouvelles organisations : ce sera l’heure de gloire des clubs politiques. Bénéficiant de l’attrait de la nouveauté et de l’enthousiasme d’une nouvelle génération politique, ils se heurteront néanmoins aux pesanteurs partisanes et aux stratégies des états-majors pour ne pas se laisser déposséder de leur monopole électoral. La question fondamentale va bien être celle des alliances : la gauche non-communiste rejoindra-t-elle le centre ou bien se tournera-t-elle vers le PCF ? Les clubs vont tenter de jouer un rôle dans ce ballet, avançant successivement des projets assez différents.

§2 : L’essor des clubs politiques

Le nombre d’organisations créées à cette époque en marge des partis est impressionnant, témoignant d’un bouillonnement politico-intellectuel : « il ne se passe pas de mois sans que l’on apprenne l’existence, d’un cercle d’étude, d’une société de pensée, d’une association pédagogique ou d’un club civique »84. Par souci de clarté et parce que l’appellation « club » recouvre des réalités très disparates, on distinguera plusieurs étapes : les clubs « d’éducation civique » ou axés sur la réflexion, autour de la figure centrale du Club Jean Moulin et du groupe dit des Assises de Vichy (A) ; les clubs plus orientés vers l’action politique et regroupant des militants expérimentés ensuite, à l’image du club des Jacobins ou de la Convention des institutions républicaines (B) ; des mouvements proches des clubs militants mais agissant de manière plus autonome et davantage « à la base », tels les groupes d’action municipale (GAM) (C) ; enfin, un certain nombre d’organisations situées dans l’orbite de la majorité gaulliste (D).