• Aucun résultat trouvé

L’insatisfaction vis-à-vis des partis de droite

1 ère partie : Genèse

Section 1 : Les effets de l’alternance à répétition

A. L’insatisfaction vis-à-vis des partis de droite

A l’instar du Club de l’Horloge, qui déplorait systématiquement la propension de la droite parlementaire à faire des concessions à ses adversaires de gauche, plusieurs organisations tentent de réhabiliter une pensée libérale « orthodoxe »,

préconise un assouplissement du contrôle de l’Etat sur la création et le fonctionnement quotidien des fondations, mais il ne semble pas avoir eu de suite législative immédiate.

414

Tels le Conseil d’analyse économique, initié par Lionel Jospin et maintenu par ses successeurs, qui dresse des projections en lien avec Matignon, ou encore le Cercle des économistes, qui regroupe une partie de la discipline ; les deux n’ont pas à proprement parler de vocation politique.

faisant peu de cas des nécessaires compromis à la formation d’une coalition majoritaire. C’est le cas de l’Association pour la liberté économique et le progrès social (ALEPS) : créée dès 1969, elle n’acquiert une véritable visibilité qu’à partir de 1981, date du lancement de La Nouvelle lettre, sa publication mensuelle. Jacques Garello, professeur émérite à l’université d’Aix-Marseille 3, en devient le président et imprime sa marque à l’association, qui se veut résolument offensive sur le terrain des idées :

« Nous bénéficions, à l’ALEPS, d’un privilège peu commun : nous avons toujours défendu, avec fidélité et en toute indépendance politique, les principes d’une société libérale. Nous ne pouvons être soupçonnés d’allégeance à quelque parti ou à quelque groupe de pression que ce soit. Nous n’avons jamais sacrifié aux idées à la mode, ni à l’opportunisme. Voilà ce qui nous donne le droit […] de parler haut et clair »416.

Cette rhétorique de la pureté et de la fidélité à la doctrine est l’une des caractéristiques de l’ALEPS, qui, comme le CDH, s’inquiète du manque de radicalité du programme de la droite, bien que la plate-forme électorale de l’alliance RPR-UDF pour les législatives de 1986 reprenne un certain nombre de propositions d’inspiration libérale.

Jacques Garello, reprenant le mot de Louis Pauwels, déplore en 1985 : « Je pense

fort, ils traduisent mou. […] La classe politique pense-t-elle que qu’elle s’en sortira mieux en cultivant l’ambiguïté des projets, la prudence des réformes, l’empirisme des mesures ? Avec les dossiers qu’elle aura sur les bras, aucune demi-teinte ne suffira. Faut-il attendre que les socialistes fassent eux-mêmes le travail, et se prépare-on à les voir réapparaître, comme en Suède, quelques mois après leur défaite électorale ? »417.

Le gouvernement de Jacques Chirac, qui connaît plusieurs échecs, dont le retrait du projet sur la réforme des universités, déçoit les milieux libéraux, qui avaient en tête une rupture économique et sociale rapide, sur le modèle des expériences américaine et britannique. L’évolution postérieure de la droite conforte cette analyse : après le

415

MOOG Pierre-Emmanuel, Les clubs de réflexion et d’influence. 2006-2007, Paris, L’Expansion, 2006, p.34. Il s’agit d’un travail journalistique mais qui comporte des pistes de réflexion stimulantes.

416

La Nouvelle lettre, 45, décembre 1982, p.6.

417

La Nouvelle Lettre, 53, mars 1985. On note la reprise de l’exemple suédois déjà développé par le CDH.

second échec de Jacques Chirac à l’élection présidentielle de 1988, celui-ci opère un recentrage politique, illustré par l’adoption du thème de la « fracture sociale » pour l’élection de 1995, recentrage qui lui permet de défaire Edouard Balladur, tenant d’une ligne libérale plus classique. L’analyse effectuée par Jacques Chirac des causes de son échec de 1988 l’amène à se distancier d’un libéralisme trop agressif ; du côté de l’ALEPS, Jacques Garello développe une interprétation exactement inverse :

« L’erreur commise en 1986 par l’opposition a consisté à annoncer une rupture

avec le socialisme et de ne l’avoir même pas amorcée ; ce qui a permis aux commentateurs de présenter 1986-1988 comme la période de l’échec du libéralisme alors qu’il s’agissait de l’échec d’un socialisme indûment prolongé – parce qu’on attendait toujours les présidentielles ! »418.

Déjà très réservée avant la victoire de la droite aux élections législatives de 1993419, l’ALEPS ne cesse d’ironiser sur la faiblesse doctrinale des partis, « conséquence du refus obstiné de ces politiciens d’avoir une couleur, ou de vouloir l’assumer. Surtout ne rien dire, surtout ne pas avoir de programme, surtout ne pas avoir d’idée ! Voilà pourquoi l’Arlequin est désarticulé, sans structure, sans orientation, sans foi. Le sort des Arlequins est bien connu : ils finissent en pantins »420. Désabusé, Jacques Garello ne donne tout simplement pas de consigne de vote en 1993, les partis plus extrémistes ne trouvant pas davantage grâce à ses yeux421. Devant l’apparente impossibilité de redresser les partis, l’ALEPS réfléchit à un changement de stratégie :

« Une fois de plus la droite aura mérité le jugement de Guy Mollet (« la plus bête du

monde »). Mais il ne faudrait pas que cela soit tant pis pour le libéralisme, qui n’a rien à faire dans cette galère, et qui doit très vite se démarquer de la classe politique majoritaire en voie de disparition. Je souhaite donc que dès le début de

418

La Nouvelle Lettre, 326, 09/01/1993, p.1.

419

Jacques Garello estime, à propos du programme du RPR, porté par Alain Madelin, Nicolas Sarkozy, François Bayrou et Alain Juppé : « quand quelques uns affichent une volonté de réforme

manifeste, le poids du plus grand nombre va au contraire vers une prudence extrême ou un conservatisme total », La Nouvelle Lettre, 327, 16/01/1993, p.5.

420

La Nouvelle Lettre, 330, 06/02/1993, p.2.

421

A la différence du CDH, l’ALEPS pose l’incompatibilité profonde du libéralisme et du nationalisme. Après avoir analysé les programmes du Front national et de Philippe de Villiers, elle estime que « l’ivraie nationaliste a progressivement étouffé le bon grain libéral », La Nouvelle

Lettre, 334, 13/03/1993. Elle réitère cette position à l’occasion d’un dîner-débat : « la question posée par Henry de Lesquin [sic] […] est toujours ouverte dans l’esprit de certains : peut-on concilier libéralisme et nationalisme ? A l’ALEPS nous répondons non. La nation est une communauté respectable et libre, mais l’Etat-nation est destructeur des libertés », La Nouvelle Lettre, 342,

cette année nous resserrions les rangs de la famille intellectuelle libérale sans nous laisser distraire par les spectacles de la Cour »422.

Déçus par le jeu politique, les libéraux de l’ALEPS vont néanmoins se rapprocher d’une personnalité politique assez marginale au sein de sa propre famille, Alain Madelin423, qui tente d’utiliser des organisations extrapartisanes pour élargir son audience : il a créé dès 1988 l’Institut Euro 92 (résultant de la transformation du Club des entrepreneurs créé en 1986), voué à l’étude de la pensée libérale ; le réseau Idées-Action en 1994, qui regroupe environ 2000 adhérents désireux de promouvoir les idées libérales. Doté d’une image d’intellectuel et de théoricien, Alain Madelin séduit l’ALEPS424, qui espère créer avec lui « le « lobby libéral » qui serait capable, le moment venu, de peser sur les présidentielles »425. Cependant, Alain Madelin hésitera à rompre avec la droite traditionnelle et participera – brièvement – au gouvernement d’Alain Juppé en 1995 ; il décevra à ce titre les espoirs placés en lui par l’ALEPS, qui rêve d’un pôle libéral autonome capable d’incarner à lui seul une alternative politique.

Ainsi, commentant une élection municipale à Gardanne opposant un candidat du PCF à un représentant du Front national (les autres partis appelant à voter pour le premier, formant ainsi un front), Jacques Garello affirme :

« En attente, ils [les électeurs abstentionnistes et protestataires, NDA] se

raccrochent à n’importe quelle utopie, pourvu qu’elle leur paraisse en rupture avec la pensée unique. C’est ici que nous devons, que nous allons intervenir […], il faut faire savoir aux Français qu’il existe bien une alternative politique […] : la politique de la liberté et de la responsabilité »426.

On reviendra sur les rapports changeants qu’entretiennent Alain Madelin et les libéraux de l’ALEPS, qui illustrent les différences tactiques et stratégiques entre les hommes politiques « traditionnels » et des cercles de réflexion qui rejettent toute forme d’attentisme ou de compromis (voir infra, 3ème partie). L’ALEPS est l’un des

422

La Nouvelle Lettre, 364, 08/01/1994, p.1.

423

Voir l’étude de MOUREAUD Valérie, Alain Madelin : une trajectoire politique, mémoire de DEA de science politique de l’université Paris II, 2001.

424

Un compte-rendu d’une réunion publique qui s’est tenue à l’espace Wagram à Paris avec Alain Madelin occasionne un éloge dithyrambique de la part de Jacques Garello. Sous le titre « Wagram, le

soleil d’Austerlitz », ce dernier décrit « un personnage dont on découvre tout à coup l’importance, la profondeur. Avec un langage clair, élégant, direct et puissant. Ces vingt premières minutes sont une pièce d’anthologie libérale », La Nouvelle Lettre, 373, 12/03/1994, p.5.

425

La Nouvelle Lettre, 372, 05/03/1994, p.8.

426

groupements les plus radicaux idéologiquement, mais elle n’est pas isolée et s’insère dans une véritable galaxie libérale.