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Les clubs politiques dans l’orbite de la majorité

1 ère partie : Genèse

Section 1 : Le moment fondateur : les débuts de la Vème République

D. Les clubs politiques dans l’orbite de la majorité

La floraison des clubs de gauche après l’accession du général de Gaulle au pouvoir est liée au fait que les partis qu’ils entendent influencer sont dans l’opposition : ils concourent à une redéfinition d’une identité, d’un projet et d’un système d’alliances capables de réunir une majorité d’électeurs. Du côté de la majorité, on raille les divisions de la gauche mais aussi le travail des clubs, jugé trop intellectuel, technocratique. Le général de Gaulle n’a-t-il pas déclaré en septembre 1963, faisant sans doute allusion au Club Jean Moulin : « L’essentiel pour moi, ce n’est pas ce que peut penser le comité Gustave, le comité Théodule ou le comité Hippolyte, c’est ce que veut le pays » ? Les clubs ne sauraient être moins diviseurs que les partis tant décriés par le chef de l’Etat. Cependant, face à l’essoufflement de la majorité qui se traduit dès les élections législatives de 1967176, un besoin de renouveau idéologique se fait sentir et entraîne la création d’une série d’organisations.

La première structure d’envergure est celle des Clubs Perspectives et Réalités : créés dès 1965 sur l’idée de Miche Poniatowski, fidèle de Valéry Giscard d’Estaing, ils veulent jouer le rôle de « creuset d’une nouvelle génération », de « pôles d’attraction ouverts, de cellules de réflexion novatrice, de centres de formation et

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Ibid., p.320.

175

BLONDIAUX Loîc, article cité, p.31.

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d’information actifs »177. Pour Valéry Giscard d‘Estaing, « la vocation de la mission irremplaçable des Clubs est de porter le dialogue à un niveau de synthèse, c’est-à- dire de poser aux gouvernants des questions fondamentales de la finalité du pouvoir, des objectifs de civilisation à atteindre dans une vision de l’avenir et de proposer des modalités pratiques d’action en harmonie avec ces objectifs »178. Leur développement est rapide puisqu’à l’été 1970 on compte une cinquantaine de clubs locaux regroupant 5000 adhérents (dont 1500 à Paris), reliés entre eux par un bulletin ; des conventions nationales ont lieu chaque année pour approfondir des thèmes déterminés179. Les Clubs Perspectives et Réalités sont un élément important dans le dispositif de Valéry Giscard d’Estaing pour construire son statut de présidentiable : s’il appartient à la majorité gaulliste, il ne perd pas une occasion de s’en différencier quand cela est possible (soutien critique à la majorité résumé par le fameux « oui, mais… », dénonciation de « l’exercice solitaire du pouvoir »180, etc) ; il veut constituer un pôle centriste et européen, qui se structure avec la création de la Fédération nationale des Républicains indépendants en 1966. Les Club Perspectives et Réalités constituent souvent le soubassement de l’implantation du nouveau parti sur le territoire181. On reviendra plus longuement sur cette fonction des clubs comme ressources pour un leader (voir infra, 2ème partie), le parallélisme avec le rôle de soutien à François Mitterrand de la CIR étant assez remarquable. Il s’agit de la première création clubiste de la droite, le but étant d’ « enlever à la gauche le monopole de la pensée et de la réflexion »182.

La réaction à l’essor des clubs classé à gauche se poursuit en mars 1968 avec la création du club Nouvelle frontière à l’initiative de Paul-Marie de la Gorce et de Jean Charbonnel, qui estiment que l’UNR souffre d’un manque de réflexion en interne. Comptant environ 150 membres, Nouvelle frontière est pensé comme une imitation du Club Jean Moulin : Jean Charbonnel veut en faire « une vitrine ouverte

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COLLIARD Jean-Claude, Les Républicains indépendants, Valéry Giscard d’Estaing, Paris, PUF, 1971, p.304.

178

Cité in MAILHES Anne-Marie, Les clubs Perspectives et réalités : instrument de dialogue, mémoire de DES de science politique de l’université Paris 1, 1979, p.47.

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À la fin de l’année 1968 sont abordés les problèmes de la jeunesse, de l’urbanisme, des loisirs : il s’agit de mieux comprendre les évolutions sociétales et de se distinguer d’un gaullisme jugé trop conservateur.

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BERNSTEIN Serge, Histoire du gaullisme, Paris, Perrin, coll. »Tempus », 2001, p.324.

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Pour compléter le panorama de l’organisation des Républicains indépendants, il faut signaler la création de deux club spécialisés : le Club Tiers-Monde, ainsi que le Club Sigma, d’ailleurs présidé par le père de Michel Rocard.

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sur la société civile »183, capable d’être à la fois un lieu de rencontre pour les décideurs, un centre de réflexion et un instrument de propositions. Cependant, la crise de Mai 1968 l’amène à resserrer ses liens avec le gouvernement ; il reste peu autonome : le colloque qu’il organise en octobre 1968 à Gif sur Yvette traite du « mouvement subversif » qui semble menacer la pays. Il mène néanmoins des réflexions de fond sur la publicité à l’ORTF, la crise monétaire ; il publie des ouvrages, tels Le dossier du 27 avril184 pour mieux expliquer la réforme des régions, faisant écho au livre de Jean Moulin sur le sujet185. Nouvelle frontière veut être un club para-gouvernemental qui élabore des dossiers et des propositions : Vincent Oliver le classe dans la catégorie « clubs du secteur gouvernemental »186, à côté de clubs de moindre importance comme Prospective économique et sociale (1967), chargé d’imaginer de nouvelles réformes, ou encore Démocratie directe (1966), club de discussion gaulliste.

Nouvelle frontière n’est pas isolé dans son travail de rénovation du gaullisme, une véritable constellation de clubs, sur l’aile gauche de la majorité, l’a précédé. En mai 1964 a lieu la première convention nationale du Front du progrès (FP), animé par Jacques Dauer, qui se définit un peu comme les clubs des Assises de Vichy : « organisme d’intervention dans la vie publique, sans vocation électorale propre, il se donnerait pour tâche d’améliorer l’information et la formation du citoyen dans le sens du progrès, de l’élargissement de la démocratie et de l’intérêt général »187. Partageant le constat de l’inadéquation des structures traditionnelles aux attentes des citoyens, le club entend attirer ceux que rebutent l’adhésion à un parti, « dépoussiérer les idées et purifier le vocabulaire »188 de tout dogmatisme, il entend prouver qu’une activité politique différente est possible : le Front du progrès veut être un « laboratoire de politique expérimentale », « un réseau multiforme et dynamique »189. Il organise à cet effet des conventions sur des thèmes variés (Europe, immigration, coopération avec l’Afrique, éducation, planification…) ainsi

183

Cité in PACHOMOFF Karella, Les clubs gaullistes sous la Vème République, mémoire de maîtrise d’histoire, Paris I, 1994, p.113.

184

Paris, Grasset, 1969.

185

Quelle réforme ? Quelles régions ?, Paris, Seuil, 1969.

186

OLIVER Vincent, op.cit., p.272.

187

Natures et objectifs d’un « Front du progrès », archives Jacques Dauer du Centre d’histoire contemporaine de Sciences Po, JD2, 1964, p.1.

188

Qu’est-ce que le Front du progrès ?, exposé liminaire, archives Jacques Dauer, JD2, 21/05/1964, p.1.

que des tables rondes, dont une en 1969 qui porte sur les rapports entre l’Etat et le citoyen : là aussi, la volonté de ne pas laisser le terrain de la réflexion au Club Jean Moulin est manifeste. Il faut y ajouter des « cours de formation politique » à l’attention des adhérents du club190. Cependant, le Front du progrès a une vocation plus militante que les clubs de pédagogie civique, il souhaite « regrouper et unifier les gaullistes de la « frange » »191 pour peser sur l’orientation de la majorité dans un sens plus social192 ; il s’agit de lutter contre « la fraction réactionnaire de la famille gaulliste »193, dont fait d’ailleurs partie à ses yeux Valéry Giscard d’Estaing.

Refusant pour la plupart d’adhérer à l’UNR, les organisations « gaullistes de gauche » entendent faire avancer les idées sociales, sinon socialisantes, auprès de la majorité ; mais ils seront toujours écartelées entre leur fidélité au général et la réalité de la politique économique et sociale menée par les gouvernements successifs, davantage encore après la crise de Mai 68. Dans le contexte de la présidence du général de Gaulle, ce conglomérat de clubs, mouvements et cercles de réflexion divers souhaite occuper un créneau se situant entre l’UNR et la gauche ; soutenir globalement la majorité gaulliste mais en essayant de tirer sa politique dans un sens plus social ; tout en critiquant les partis socialiste et communiste qui n’acceptent pas les nouvelles institutions pourtant sources d’efficacité et de stabilité gouvernementales. Une position politique subtile et non exempte de contradictions, ainsi Jacques Dauer (futur leader du FP) indique-t-il dès 1960 : « les trompettes de l’UNR et celles du Gouvernement font tout, depuis deux ans, pour annexer de Gaulle, pour faire croire que le Chef de l’Etat porte la responsabilité du conservatisme de la majorité. Il ne fait aucun doute que nous nous considérons comme en opposition avec le Gouvernement, nous travaillons au renversement de cette majorité »194. Le découplage entre un de Gaulle censé être favorable à une politique sociale généreuse et une majorité estimée conservatrice voire réactionnaire est une constante chez les gaullistes de gauche, qui vouent également une grande

189

L’intégration des « forces vives » à la Vème République, archives Jacques Dauer, JD2, non daté

(vraisemblablement 1964), p.4.

190

Portant sur les classes sociales en France, la planification et l’économie, le syndicalisme, la participation, etc.

191

MAUS Catherine, Du front du progrès à l’union travailliste, mémoire de DES de science politique de l’université Paris 2, 1973, p.37.

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Notamment pour mettre en place la participation des travailleurs dans les entreprises.

193

Natures et objectifs…, p.3.

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admiration à la politique d’indépendance de la France en matière de relations extérieures. Certains auteurs parlent d’un « univers mythique : ils portent une affection quasi religieuse pour tout ce qui est généreux et vouent un culte extraordinaire pour un homme ou pour l’image qu’ils se font de cet homme »195.

Par un phénomène de « mimétisme généré par le succès des clubs de la gauche socialiste »196, les clubs gaullistes se multiplient dans les années 1960, sur lesquels on dispose souvent d’assez peu de données : c’est le cas du Cercle Jules Vallès (1962), des Clubs Vème République (1965) ou encore du Comité de Liaison, d’Etudes et d’Action Républicaine (1972), ce dernier fusionnant avec le club Nouvelle frontière en 1972. La crise de la gauche favorise la création de mouvements originaux, tels le Front travailliste (FT), animé en partie par d’ex-membres de la SFIO et regroupant, comme l’explique son secrétaire général, « des Résistants, des Socialistes, des Syndicalistes, des Membres des Clubs philosophiques »197. Le FT estime lui aussi que le général de Gaulle peut être un point d’appui pour faire avancer des réformes sociales, sa politique étrangère est nettement préférable à celle d’une SFIO jugée « atlantiste ». La dénonciation des errements de la IVème République est un point de convergence fort pour les gaullistes de gauche : « nous n’oublions pas que la gauche […] est aussi « sous la croix » des Mollet et des Billière, des Maurice Faure […], de Suez, de l’échec du « Front républicain », de celui du « Cartel des non », et…du contre-gouvernement »198. Soucieux de faire évoluer la majorité gaulliste, les clubs de cette mouvance n’excluent pas pour autant tout dialogue avec les forces de gauche : « le problème […] n’a pas été de faire des avances à l’opposition mais sans aucune volonté de scandale, dans le cadre de l’exercice d’une responsabilité fondamentale, d’inciter la majorité à aller de l’avant, non seulement pour durer, ce qui serait déjà une finalité mais pour satisfaire davantage et rallier des hommes que les oppositions ont définitivement déçus »199. Les gaullistes de gauche perçoivent leur entreprise politique comme un pont jeté en direction de la gauche200, un moyen de susciter le dialogue et la réflexion pour

195

COMBLES DE NAYVES (de) Dominique, VILLEMOT Dominique, Le gaullo-gauchisme, mémoire de l’IEP de Paris, 1975, p.78.

196

PACHOMOFF Karella, op.cit., p.19.

197

JUNILLON Lucien, « Le sens de notre Combat », Le travailliste, 1, mars 1966, p.1.

198

DAUER Jacques, Rapport moral, 4ème Convention nationale du Front du progrès, 14-15/10/1967, p.23.

199

PISANI Edgar, discours à la Convention nationale du Front du progrès, 14-15/05/1966.

200

Les clubs de gauche observent néanmoins les gaullistes de gauche avec méfiance : Pour le Cercle Tocqueville, il s’agit d’ « une tactique de diversion », les clubs gaullistes témoignant

dissiper les malentendus et les antagonismes traditionnels : « l’affrontement gaullisme-antigaullisme n’est pas automatiquement résoluble en opposition droite- gauche »201. Sans nier complètement la pertinence du clivage gauche/droite, les gaullistes de gauche pensent qu’il ne correspond pas aux formations partisanes telles qu’elles existent, la ligne entre progressistes et conservateurs passerait plutôt à l’intérieur de chaque organisation.

Cependant, toutes les tentatives de regroupement des gaullistes de gauche, déchirés non seulement par des luttes intestines mais aussi par les conflits d’interprétation autour de l’action du général de Gaulle et par leur rapport au parti majoritaire, échoueront : la comparaison avec la CIR de François Mitterrand fait apparaître clairement les conséquences de l’absence d’un leader accepté par tous pour des clubs qui auraient sans doute intérêt à la coopération (sinon à la fusion) au vu de leur faible poids numérique (voir infra, 3ème partie).

Le FP est le mouvement qui se place le plus en rupture vis-à-vis de l’UNR- UDT, ses critiques répétées suscitent l’agacement dans la majorité, qui interdit à des personnalités comme le général Billotte ou Léo Hamon de participer à ses travaux. Les désaccords ne vont aller qu’en s’aggravant, notamment après la crise de mai 1968. Le FP, opposé à la guerre du Vietnam, plus au fait des évolutions sociétales, a identifié très tôt les racines du mal-être de la nouvelle génération : « les excès actuels de la jeunesse, nos aînés les ont mérité et si un jour cela tourne à l’insurrection, nous l’aurons bien cherché »202. Pour sa part « favorable à une extension révolutionnaire de la participation du personnel aux profits et à la gestion des entreprises »203, le FP ne réussit pas à infléchir la politique gouvernementale et la crise de Mai 68 éclate en dépit de ses avertissements. Les positions qu’il adopte au cours de ce mois agité montrent toutes les contradictions de son positionnement politique : il soutient les étudiants (ainsi que le Groupe des 29, le cercle Jules Vallès, le FT), tente de créer un mouvement de jeunesse (le Comité de la Démocratie combattante), lance un appel solennel au général de Gaulle lui indiquant que « ce

d’ « une espèce de « polycentrisme » gaulliste [qui] fait place au regroupement unitaire d’autrefois, qui ne tolérait sur ses flancs que des forces d’appoint, comme celle des Indépendants », En bref, 134, 10/06/1966, p.2.

201

DAUER Jacques, Rapport moral…, p.15.

202

DAUER Jacques, discours au 1er congrès du Front du progrès, 04-05/05/1964, cité in MAUS Catherine, op.cit., p.38.

203

qu’il faut maintenant, c’est LA RÉVOLUTION PAR LA LOI ET PAR LE PLAN 204 » pour restaurer le crédit du régime ; enfin, il tente d’accréditer l’idée que le gaullisme est lui aussi révolutionnaire :

« Oh oui, moi j’avais accroché un portrait de Fidel Castro en face d’un du général

dans une permanence UDR avec une citation de Fidel : « le général est un rebelle comme moi ! »205.

Cette prise de position originale ne rencontre que peu d’écho dans un contexte de radicalisation politique, mais le FP persiste à dissocier le chef de l’Etat du reste de la majorité : « tous les actes du gouvernement sont en contradiction avec les intentions novatrices exprimées par le chef de l’Etat »206. En effet, là où la politique étrangère pouvait être imposée par le seul général de Gaulle, une politique sociale novatrice aurait besoin de relais que le mouvement gaulliste ne peut fournir. La position du FP sur les élections législatives semble être un aveu d’échec :

« Compte tenu de tous ces facteurs négatifs, le Front du progrès est dans

l’impossibilité de donner à ses responsables et à ses militants des consignes globales de campagne et de vote. Il appartient à chacun de se déterminer en fonction des candidatures et des circonscriptions, pour savoir s’il convient de fournir un appui à tel ou tel candidat qui aurait donné des preuves de son esprit de progrès. Le Bureau exécutif du mouvement étudiera la possibilité de publier une liste des candidats qu’il recommande de soutenir »207.

Malgré tout, le renforcement de la majorité consécutive aux élections serait « un coup porté aux vieilles structures partisanes »208 et une chance de renouveau : « le Front du progrès entend rendre au gaullisme son vrai visage, celui de la Sécurité sociale et de la décolonisation, celui du vote des femmes et des comités d’entreprise, celui des nationalisations et de la monnaie solide »209.

Cette référence à une période du gaullisme bien particulière, celle de la Libération, explique l’attitude de plus en plus réservée du FP vis-à-vis de la majorité. Le départ de de Gaulle suite à l’échec du référendum d’avril 1969 l’inquiète fortement et l’amène à lancer un appel :

204

Notes d’information, 38, 22/05/1968. On a conservé la typographie telle quelle.

205

Entretien avec Jacques Dauer, 16/07/2007.

206

Déclaration politique, archives Jacques Dauer, JD2, non datée (vraisemblablement juin 1968).

207

Ibid.

208

Déclaration, archives Jacques Dauer, JD2, 06/07/1968.

209

« À tous ceux qui, conscients de ce péril, sont résolus à préserver le gaullisme des

déviations et des abandons [souligné par l’auteur] qui le menacent. Il leur demande de rallier ses rangs – sans pour autant rompre les liens qui les attachent à l’UDR ou à toute autre formation – en vue de constituer au sein du gaullisme le noyau dynamique et progressiste, grâce auquel sera maintenu l’esprit qui fut et qui reste celui du général de Gaulle, toujours vivant au présent bien qu’éloigné du pouvoir »210.

Soutenant Georges Pompidou davantage par hostilité à Alain Poher que par adhésion aux orientations du premier, le FP indique qu’il n’est pas condamnable pour autant de choisir la candidature de Jacques Duclos (PCF) ou celle de Michel Rocard : « le PSU poursuit un combat original, où nous avons vu maintes fois des correspondances avec le nôtre. Le mérite de la candidature de M. Michel Rocard sera encore une fois de compter, dans l’opposition, les partisans éclairés d’une solution socialiste sincère »211. Le compliment, sans doute très peu partagé par la plupart des membres de la majorité, montre que la position du FP et des gaullistes de gauche en général devient de plus en plus difficile à définir et qu’un intérêt pour la gauche commence à se manifester : « le Front du progrès n’est ni à l’intérieur ni en dehors de la majorité actuelle – il faudrait d’abord que celle-ci se définisse ou qu’elle fasse des preuves devant des événements graves »212. Le gouvernement de Jacques Chaban-Delmas recueille certes le soutien des gaullistes de gauche (le Premier ministre les rencontre souvent, cherchant des appuis au-delà d’une majorité parlementaire qui est loin de lui être acquise), mais l’échec de ce dernier les place dans l’expectative, seule l’hostilité à Valéry Giscard d’Estaing (qualifié de « technocrate sans âme », d’« aristocrate ») constitue un repère stable. La campagne présidentielle de 1974, qui voit l’éviction de Jacques Chaban-Delmas au 1er tour, achève de diviser la mouvance gaulliste, un certain nombre d’entre eux choisissent François Mitterrand au second tour : c’est le cas du FP mais aussi d’une partie des adhérents de Nouvelle frontière. Jacques Chaban-Delmas lance de son côté le CEREL (Centre d'Etudes et de Recherches Egalité et Liberté) en juin de la même année.

210

Communiqué, JD2, 02/05/1969. L’admiration portée au général de Gaulle se mue parfois en un quasi-mysticisme.

211

Notes d’information, 68, 14/05/1969. Jacques Dauer a également rentré Pierre Mendès France en 1966, actant d’une série de points de convergence.

212

La période consécutive à 1974 voit la marginalisation de plus en plus prononcée de la mouvance gaulliste, certains espèrent désormais se réconcilier avec la famille socialiste, mais rallier l’autre camp n’est pas chose aisée, le FP est hésitant : « nous sommes à gauche car nous ne pouvons être de droite. […] Etre de gauche, ce n’est