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L’Union des clubs pour la rénovation de la gauche (UCRG)

1 ère partie : Genèse

Section 1 : Le moment fondateur : les débuts de la Vème République

B. Les clubs militants

2. L’Union des clubs pour la rénovation de la gauche (UCRG)

La CIR est suspectée de vouloir établir un monopole sur la représentation des clubs au sein de la FGDS, souhaitant peut-être représenter à elle seule la troisième « famille » à côté des radicaux et des socialistes. Le Cercle Tocqueville s’en agace :

« Alors, hors de la Convention, pas de salut ? […] On voit bien qu’il y a clubs et

clubs, que le même nom est donné à des choses fort différentes : d’une part à des groupements généralement anciens, parfois parallèle aux partis politiques, parfois satellites de certains d’entre eux […] et d’autre part aux clubs des Assises de Vichy, dont la démarche et la nature sont toutes autres ».

Si les clubs rejoignent la Fédération, « ce n’est pas pour renoncer à leur originalité […], ce n’est pas pour se faire coiffer par la Convention des institutions républicaines »150. Louis Mermaz lui répond pour la CIR :

« La Convention se garde de toute forme d’impérialisme, mais ses dirigeants

pensent qu’au moment où nous recherchons les voies d’un regroupement de la gauche, il serait dangereux de consentir à un éparpillement des clubs et à des concurrences artificielles. Tout ce qui ira dans le sens de la simplification et de l’unité servira le socialisme »151.

L’argument suprême de l’unité ne sera pas utilisé pour la dernière fois ici, les différentes forces en présence s’accusant les unes et les autres d’être des facteurs de division.

Une nouvelle opportunité de regroupement des clubs se dégage, d’autant plus que le groupe des Assises est en pleine décomposition dès la fin de l’année 1965 : le comité permanent végète, on assiste au départ de Rencontres, Positions, de l’ADELS et de Citoyens 60, en désaccord avec Démocratie nouvelle et le Cercle Tocqueville sur l’engagement en politique. Les divisions sont accentuées par le problème de l’adhésion à la FGDS : Jean Moulin négocie seul son entrée sous conditions, ce que déplorent les clubs proches, dont Démocratie nouvelle qui souligne les risques de dispersion : « Nous avons été très déçus que Jean Moulin ait donné l’impression d’agir en cavalier seul ; nous regrettons que son action n’ait pas été mieux coordonnée avec celle des Clubs amis qui avaient décidé auparavant d’engager des

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Bulletin « En bref », mars 1966, cité in SCHWARTZENBERG Roger-Gérard, La campagne

présidentielle de 1965, Paris, PUF, 1967, p.167.

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négociations avec la Fédération »152 ; Citoyens 60 n’adhère pas en tant que groupe mais encourage ses adhérents à le faire individuellement ; enfin, ceux qui se sont clairement engagés vont constituer l’UCRG.

Quelles sont les composantes de cette nouvelle union, créée le 2 février 1966 ? Il s’agit principalement de :

• La Convention Socialisme et Démocratie dirigée par Alain Savary, qui va devenir le leader de l’UCRG ;

• L’Association Jeunes Cadres (AJC) : créée sur une base professionnelle par d’anciens membres de la Jeunesse étudiante catholique (JEC) et de l’UNEF pour contrer l’influence de la Confédération générale des cadres (CGC), elle veut susciter l’éveil politique des cadres et dialoguer avec les syndicats et partis ouvriers.

• Le Cercle Tocqueville • Démocratie nouvelle

Ces clubs mettent au point une déclaration commune pour préciser leurs objectifs :

« L’UCRG insistera, tout d’abord, sur la nécessité de répudier certains des

principes et des habitudes qui ont été longtemps à l’honneur dans les partis socialistes. Dans le monde actuel, la vie d’un parti démocratique ne peut plus être soumise à une discipline quasi militaire : la nécessaire cohésion de l’action doit s’accompagner d’une totale liberté de l’expression des idées ; aucun « secret de parti » ne doit imposer le silence aux opposants. En outre, l’organisation du parti doit être assez souple pour faire place à des types d’adhérents différents par leurs origines, leurs préoccupations et la nature des contributions qu’ils peuvent lui apporter ; elle doit maintenir des liens avec les formations qui, sans adhérer au parti, collaborent à son action »153.

L’UCRG partage avec de nombreux autres clubs la préoccupation de rénovation des modes de fonctionnement partisan et se prononce également pour le regroupement de la gauche non communiste : elle manifeste la volonté d’une partie du groupe des Assises de Vichy de s’engager plus franchement en politique, tout en

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Lettre de Démocratie nouvelle à la FGDS, 3CJM5, Dr 1, 15/03/1966.

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continuant à produire des dossiers, à réfléchir aux nécessaires évolutions du fonds doctrinal de la gauche. La structuration de l’Union reste assez lâche, chaque club poursuivant ses activités locales. La commission exécutive préconise à la fin de l’année 1966 la désignation de responsables chargés de la liaison avec l’UCRG pour chaque organisation et l’inscription sur chaque publication de la mention « club membre de l’UCRG »154. Critique à l’égard du Club Jean Moulin, qui lui semble élitiste, et assez hostile à la CIR, trop proche d’un parti à ses yeux, l’UCRG tente de s’affirmer sur la scène politique.

Elle sera renforcée au cours de l’année 1967 par la crise du PSU. Celui-ci, resté très méfiant par rapport à la FGDS, a organisé en avril 1966 la rencontre socialiste de Grenoble, visant à débattre du programme de la gauche, initiative perçue comme concurrente de la Fédération : une délégation y est désignée pour prendre contact avec le FGDS et le PCF et des accords électoraux sont conclus pour les législatives de 1967 ; mais la perspective d’une fusion entre le PSU et la FGDS est définitivement close après le congrès de juin 1967 qui voit les mendésistes et Gilles Martinet, les plus favorables au rapprochement, éliminés de la direction. Michel Rocard, désormais à la tête du PSU, pose une série de conditions au rapprochement, à commencer par la radicalité du programme politique ; les relations avec la Fédération se détériorent. Les minoritaires déplorent cette attitude, jugée sectaire, et créent un Comité de liaison pour l’unité et le renouveau socialiste, qui n’est que le prélude d’une série de départs qui affaiblissent le PSU : Robert Verdier lance l’Association pour le Renouveau socialiste (ARS), Pierre Bérégovoy crée le club Socialisme moderne, Jean Poperen prend la tête de l’Union des groupes et clubs socialistes (UGCS, voir infra). Robert Verdier et Pierre Bérégovoy, tous deux cofondateurs du PSU, vont rejoindre l’UCRG de Savary, ainsi que le groupe Etude et action socialiste, formé cette fois-ci par d’ex adhérents du PSU et des Jeunesses socialistes. On le voit, la généalogie de chaque regroupement n’est pas simple, les trajectoires des minoritaires et des exclus de toutes sortes se combinant au gré des opportunités.

L’UCRG regroupe ainsi des « morceaux » des tendances « modernistes » ou modérées du PSU, hostiles au dogmatisme et à l’isolement de ce parti, et des clubistes assez modérés politiquement également. Pour Gilles Pudlowski,

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« idéologiquement peu homogène, car de formation diverse, l’UCRG est unie autour de la personne d’Alain Savary […]. Peu doctrinaire mais rigoureux dans son action, il donne au socialisme une dimension morale et se méfie de tous les ultras »155. Il est en tout cas évident que les clubs profitent d’une profonde fragmentation du système partisan, les questions d’alliances mais aussi de fonctionnement interne déchirant toutes les familles politiques. Peu de clubs tentent l’aventure politique de manière isolée, seul Jean Moulin s’y risque : l’UCRG répond au souci de faire contrepoids à la fois à la CIR et aux partis politiques traditionnels. Pour Janine Mossuz, l’UCRG a joué un rôle de structure de passage, permettant de rejoindre la Fédération, de s’y raccrocher : elle parle de « clubs-wagons »156, délibérément inscrits dans la mouvance des partis et non contre eux. Si elle ne dispose que d’un siège au comité exécutif de la Fédération, l’UCRG y fait entendre sa voix. A l’initiative lors de la création du Nouveau parti socialiste (NPS) en 1969, elle est récompensée de son action par la promotion de son leader, Alain Savary, à la tête de la nouvelle formation. Mais l’histoire de la rénovation socialiste est loin d’être terminée à ce stade : l’UCRG continuera à batailler avec la CIR mais également avec l’UGCS.