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La multiplication des organisations libérales

1 ère partie : Genèse

Section 1 : Les effets de l’alternance à répétition

B. La multiplication des organisations libérales

On évoquera ici certaines organisations dont la date de création est parfois ancienne, mais qui n’ont déployé pleinement leurs activités et participé à la constitution d’un « réseau » libéral que dans la période la plus récente. C’est le cas de :

• L’Institut de l’entreprise : créé en 1975 à l’initiative notamment de François Ceyrac (alors président du Comité national du patronat français, CNPF427), il est depuis 2005 présidé par Michel Pébereau (ex-président du Crédit commercial de France, de la Banque nationale de Paris et de BNP Paribas). Il se veut « à la fois lieu d’élaboration d’une pensée managériale moderne et un centre de réflexion sur les sujets de société ». Afin d’alimenter la réflexion des chefs d’entreprise, il développe à la fois des activités de réflexion (avec deux commissions permanentes, l’Observatoire de la dépense publique et la Commission de modernisation de la fiscalité, et des commissions ad hoc) et de formation (il a créé en son sein l’Institut des Hautes Etudes de l’Entreprise, qui reçoit des auditeurs lors d’une session, sur le modèle de l’Institut des hautes études de défense nationale). A côté des traditionnels colloques et séminaires, il publie également des notes (les « Notes de benchmarking international » et les « Notes de l’Institut »). Il revendique son indépendance et une stratégie d’influence de l’opinion publique.

• L’Institut français pour la recherche sur les administrations publiques (IFRAP) : créé en 1985 par Bernard Zimmern, chef d’une petite entreprise, l’IFRAP milite pour une profonde réforme de l’administration et une meilleure utilisation de l’argent public. Se déclarant apolitique, l’IFRAP n’en est pas moins fortement idéologisé et s’est prononcé contre les 35 heures ou le pouvoir des syndicats428. Il publie la revue Société civile et organise des colloques, en 2004 par exemple il invite des députés pour aborder le thème « Hôpital public : quel avenir ? ».

• La Fondation Concorde : créée en 1997 par Michel Rousseau, économiste, elle est une réaction à la victoire du PS aux élections législatives. Parrainée par Jérôme Monod, elle est plus proche des milieux politiques et a pris la défense du bilan des

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L’Institut se situe dans la filiation du Centre de recherches et d’études des chefs d’entreprise créé en 1953 par le président du CNPF, Georges Villiers.

mandats de Jacques Chirac. Très active à ses débuts, elle élabore des projets de réforme concrets et reçoit régulièrement des députés de la droite parlementaire et revendique plus de 2000 membres. Elle s’est dotée par la suite d’un groupe regroupant les étudiants et les jeunes actifs, Impulsion Concorde. Se définissant comme « think tank populaire », elle publie des fascicules à destination du grand public429, organise des colloques mais aussi deux grandes rencontres nationales, pouvant réunir jusqu’à un millier de personnes. Les thèmes abordés concernent souvent la réforme du service public et l’amélioration de la compétitivité de la France.

• L’Institut Montaigne : initié en 2000 par le président d’AXA, Claude Bébéar, il s’agit sans doute de l’organisation la plus proche du modèle anglo-saxon du think tank, disposant du plus important budget parmi les cercles de réflexion français (environ trois millions d’euros). Il produit de nombreux rapports et études et entend mener une véritable action de lobbying, à distance de partis qu’il ne se prive pas de critiquer430. Les débats et rencontres s’accompagnent de la publication du Rapport, ensemble de textes issus des groupes de travail thématiques, de La Note produite par un chercheur sur un sujet d’actualité et de L’Amicus Curiae, note rédigée en réaction à une actualité plus immédiate.

On ne dressera pas ici une liste exhaustive des organisations libérales431. On observe une croissance exponentielle de ces mouvements dédiés à la défense du libéralisme économique dans les années 1990 et 2000, sur la base d’un mécontentement quant à la place accordée à la réflexion doctrinale au sein des partis, notamment ceux de la droite parlementaire. Ceux-ci sont accusés, à des degrés divers, de nourrir une culture étatiste, interventionniste ; l’héritage gaulliste, si lointain soit-il, est considéré comme encombrant et retardant la nécessaire

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ZIMMERN Bernard, La dictature des syndicats, Paris, Albin Michel, 2003.

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Par exemple La Mondialisation, notre nouveau monde ; Nous ne paierons pas vos dettes, comment

s’en sortir, parus respectivement en novembre et en mai 2006.

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Une des publications de l’Institut Montaigne, Comment améliorer le travail parlementaire, parue en 2002, dresse un constat sévère du manque de représentativité du Parlement, dominée par une fonction publique qui s’apparente à une « endogamie sclérosante » (p.38) ; on assisterait à un « détournement de la démocratie, c’est-à-dire, au fond, sous la forme de la démocratie, la captation

du pouvoir par une oligarchie politicienne et partisane » (p.66). Il faudrait selon les auteurs ouvrir

la représentation nationale à la diversité de la société française, notamment au secteur privé ; d’autre part, rehausser un Parlement trop soumis à l’exécutif.

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On peut signaler l’Institut Choiseul, l’Institut Molinari, l’Institut Charles Coquelin, l’Institut Turgot ou encore l’Institut de formation politique.

adaptation de la France à la modernisation économique et sociale432. Cependant, la mouvance libérale n’aspire pas à des recompositions politiques d’ampleur : elle espère, par un combat intellectuel qui se veut infatigable, irriguer l’opinion publique d’idées qui vont parfois à contre-courant, influencer le personnel politique en l’invitant à mener des débats de fond ; elle souhaite imiter les célèbres think tanks anglo-saxons qui ont réussi à peser sur l’agenda politique, sans en avoir toutefois les moyens (voir infra). Les structures non-partisanes libérales sont nombreuses à se faire concurrence sur le même créneau idéologique, cependant on note qu’elles n’hésitent pas à mutualiser leurs ressources, les séminaires et colloques étant l’occasion d’inviter et de dialoguer avec les autres organisations433.

En partie en réaction face à cette mobilisation des intellectuels libéraux, on assiste au réveil de la gauche radicale, qui, de manière symétrique, entend combattre les concessions de la gauche gouvernementale à l’idéologie libérale.

§2 : Les structures d’expertise de la gauche radicale

On utilise ici l’expression de « gauche radicale » par facilité, pour décrire une mouvance assez hétérogène qui se situe à la gauche du PS : il serait sans doute plus juste de parler « des » gauches radicales, tant les références idéologiques sont variées à l’intérieur de cette partie du champ politique. On a jusqu’ ici peu parlé de structures non-partisanes qui se situeraient sur des positions politiques de ce type : représentée pendant longtemps par un PCF hégémonique et plus modestement par l’extrême-gauche militante, la gauche radicale ne secrète pas, jusqu’à la période des années 1990, de clubs politiques tels qu’on a pu les rencontrer dans l’orbite des partis de gouvernement. Cela s’explique certainement par la grande place accordée au débat idéologique au sein de ces formations : il n’y a alors pas de « divorce » entre la réflexion et l’action politique. Ce constat devient de moins en moins valable au fur et à mesure du déclin du PCF, où les dissidences se multiplient à partir des années 1980, dissidences débouchant sur la création de multiples petits mouvements soucieux d’œuvrer à de nouvelles recompositions à la gauche de la gauche (voir infra, 2ème partie).

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Philippe Séguin, représentant du courant gaulliste social, est souvent pris pour cible, particulièrement dans les publications de l’ALEPS : « Séguin est socialiste » affirme Jacques Garello, La Nouvelle Lettre, 346, 19/06/1993, p.2.

Relativement atone dans la première moitié des années 1990, la gauche radicale semble revitalisée par les mouvements sociaux de 1995, plusieurs structures non- partisanes se créant dans leur sillage (1). Le mouvement s’accélère avec l’apparition d’ATTAC, association militante qui est apparue comme le fer de lance du mouvement altermondialiste (2).

A. Les effets des mouvements sociaux de 1995 : du Club Merleau-Ponty à la