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2.2 Approche sociolinguistique des contacts des langues

2.2.4 Pluriglossie et plurilinguisme des établissements scolaires francophones en Égypte

Les locuteurs de notre corpus, arabisants et en situation d’apprentissage du français, de l’arabe dit « standard moderne » et de l’anglais, font face tout à la fois aux phénomènes de pluriglossie et le plurilinguisme. Ils suivent des cours de mathématiques et de sciences (et uniquement ceux-là) dans un français comportant différents registres discursifs (registre des mathématiques et des sciences scolaires, etc.). Les établissements scolaires participent donc à la construction du répertoire langagier de leurs élèves comme le présente le tableau ci-dessous :

Disciplines de sciences humaines : littérature, philosophie, religion, histoire, géographie

Disciplines scientifiques :

mathématiques et sciences Disciplines linguistiques : cours de langues

Oral Arabe dit « standard

moderne » scolaire Mathématiques en français Sciences en français Arabe dialectal égyptien

Français Anglais

Arabe dit « dialectal

égyptien » Arabe scolaire dit moderne Arabe dit « dialectal égyptien »

Autres langues étrangères Écrit Arabe dit « standard

moderne » scolaire Français Français Anglais

Arabe dit « standard moderne »

Autres langues étrangères Tableau n°3. Situation des langues en contact dans les établissements confessionnels francophones

Les écoles confessionnelles francophones ont recours à plusieurs langues de scolarisation, offrant ainsi un espace de variation :

La langue majeure de scolarisation est à considérer dans cette même perspective : elle sélectionne et privilégie certaines variétés, genres et normes, et en développe d’autres (notamment pour la mise en place des connaissances disciplinaires). Toute langue de scolarisation est plurielle, la langue commune n’est

pas une. […] - d’un côté, il existe un continuum de diversité linguistique et discursive interne à la langue de scolarisation, y compris dans ses usages scolaires effectifs : la langue de scolarisation se

caractérise comme un espace de variation ; régulée certes, mais variation d’abord ; - d’un autre côté,

dans son fonctionnement sociologique et didactique, cette variation interne se trouve comme oblitérée, on dirait presque refoulée, au profit d’une représentation unifiante et singulière, patiemment mise en place par un appareil métalinguistique et pédagogique qui tend à canoniser, notamment à l’écrit, cette langue de scolarisation.(Castellotti, Coste et Duverger, 2007 : 14)

Ces variétés sont évolutives en fonction de l’âge et du niveau des élèves. En ayant adopté le français comme langue d’enseignement pour les mathématiques et les sciences, ces établissements affichent un plurilinguisme fonctionnel et institutionnel. Ainsi en termes de répartition fonctionnelle, on relève deux, voire trois variétés pour l’écrit (français, anglais et arabe littéraire) aux côtés de l’arabe dit « dialectal » qui apparait pour des interactions orales, et qui est présent ponctuellement mais de manière régulière dans tous les cours en L2.

2.2.4.1 Sociolecte scolaire

Comme nous l’avons mentionné dans la première partie de ce travail, la variété qui émerge des écoles de congrégations peut être nommée « sociolecte ». Nous utilisons ce terme car il correspond en tous points aux particularités de la L2 acquises dans ces établissements56

(Mounin, 1974), propres à la communauté des francophones égyptiens. Ce sociolecte est identifié comme signe d’une scolarisation dans ces écoles, constituant ainsi un indice de reconnaissance communautaire pour les familles francophones et le symbole d’une promotion sociale pour les familles plus modestes. Le sociolecte, notion issue de la sociolinguistique, est

56 Article du Dictionnaire de linguistique, Mounin (1974). Sociolecte : Variété de langue propre à un groupe social, dite aussi « dialecte social » par ceux qui emploient dialecte au sens large.

à une communauté sociale ce que la notion de communauté discursive proposée dans le cadre d’une réflexion sur la place du langage dans la formation des enseignants est à la communauté scolaire (Bucheton, et al., 2005).

Or, celui-ci se caractérise par de nombreux phénomènes d’interférences avec la L1 et l’anglais. Ainsi des cas d’emprunt et de calque avec la langue arabe sont présents à l’oral et à l’écrit. Rappelons que l’anglais est langue d’enseignement universitaire pour les enseignants de DdNL. Afin d’illustrer notre constat, nous citerons deux exemples. Dans une fiche pédagogique de chimie à destination des élèves, rédigée par l’enseignant de sciences de l’un des établissements du corpus, on peut lire :

Vous avez appris déjà le symbole et la valence des différents éléments et des radicaux, ça va nous servir à quoi dans le domaine pratique ou dans le concret de la vie pour tous ceux qui travaillent dans le domaine de la fabrication des composés chimiques.

Du point de vue syntaxique, on relève un phénomène d’emprunt à la langue arabe : le positionnement du syntagme « composés chimiques ». La construction syntaxique en arabe écrit est plus flexible qu’en français, les compléments du verbe possèdent une certaine mobilité dans la phrase sans en altérer la compréhension. De plus, le positionnement dans la phrase de l’adverbe « déjà » renvoie au fait qu’aucun terme équivalent n’existe pas en arabe, la notion se construisant par périphrase. La syntaxe de cet énoncé, oscillant entre interrogation et affirmation manifeste une autre caractéristique de ce sociolecte : la porosité du style oral et écrit. Ainsi, dans cette même fiche, on peut lire :

Objectifs : 4. Réaliser si c’est possible et s’il y a le temps avec le lap-top de la chimie certains composés même tout seul après le cours.

Ici l’absence de ponctuation donne un caractère oral à cet énoncé pourtant écrit. Un peu plus loin, dans la partie évaluative de la fiche pédagogique, il est écrit :

Continuer la fiche à la maison car surement il n’y aura pas le temps pour tout résoudre et faire les corrections la prochaine séance.

La modalisation avec l’adverbe « surement » marque ici encore une dimension orale dont l’écrit scolaire est peu coutumier.

2.2.4.2 Communauté discursive disciplinaire

Héritière du concept de « communauté linguistique » de Hymes (1982) comme « organisation de la diversité », la proposition de communauté discursive offre un cadre conceptuel aux locuteurs des établissements de notre terrain. La notion de communauté discursive : « […] soulign[e] le lien constitutif entre le langage, ce qu’il exprime et l’espace épistémologique et

social dans lequel il s’inscrit » (Bucheton, et al., 2005 : 1). Les chercheurs identifient le rôle du langage comme « décisif », « pour s’inscrire dans ces communautés de pratiques qui, dans les disciplines enseignées à l’école, sont en même temps des communautés discursives » (Bucheton, al. 2005 : 2). Il s’agit pour les enseignants des écoles de notre étude de « participer à la constitution de la communauté discursive en modélisant (formatant) les formes de pensée et de langage épistémologiquement attendues (Bernié, 2001) » (cité par Bucheton et al., 2008 : 39). La communauté discursive prolonge et spécifie la communauté linguistique. Le registre discursif en DdNL participe à constituer alors une communauté discursive qui s’identifie selon la discipline, le niveau de la classe et les langues en présence.

En effet, un registre est contextualisé et contextualisant. Un énoncé très marqué d’un point de vue du registre discursif permet la structuration de l’espace social. Et de ce point de vue, l’espace/temps scolaire est exemplaire. Il est structuré spatialement, techniquement et discursivement par de nombreux paramètres : emploi du temps des élèves, présence de l’enseignant de discipline, matériel pédagogique employé et espace-classe. Du point de vue de l’élève, entrer en classe de DdNL, signifie entrer dans un espace et un registre discursif particulier pour une période donnée, oscillant entre 45 minutes et 50 minutes. Cette démarche peut s’apparenter au fait de se situer dans une zone géographique propre à une variété dite « dialectale », une glosse relevant d’un parler régional. Ainsi, l’espace/temps scolaire impose ses registres : il est structuré par eux en même temps qu’il les structure. L’espace/temps scolaire est donc lui aussi « pluriglossique » et plurilingue.

Pluriglossie et monolinguisme institutionnel d'Égypte

Pluriglossie et plurilinguisme des écoles confessionnelles

francophones d'Égypte (sociolecte)

Communauté discursive via registres discursifs des sciences et des

Les élèves opèrent au quotidien trois types d’alternance : l’alternance codique, l’alternance glossique et l’alternance des registres discursifs. Ces établissements scolaires induisent à la fois l’élaboration d’un sociolecte dans la société égyptienne et celle d’une communauté discursive dans les établissements.