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2.2 Approche sociolinguistique des contacts des langues

2.2.5 Alternance codique

2.2.5.3 Alternance codique en didactique

Les réflexions sur les activités métalangagières des locuteurs via les glosses et les registres, amène à prendre en considération les passages entre les langues et les codes, qu’illustre le mode bilingue. L’alternance codique est le passage d’une langue à l’autre, de deux systèmes linguistiques autonomes, au cours d’une interaction orale ou écrite. Habituellement et depuis de nombreuses années, c’est l’oral qui est étudié en priorité dans la tradition sociolinguistique de l’analyse du contact de langues. Soulignons enfin que l’alternance codique est sans doute le phénomène le plus distinctif du parler bilingue, lequel n’a pas pour origine de lacune langagière. En contexte éducatif, l’alternance codique permet notamment la distinction avec l’immersion qui la rejette (Coste, 2007). D’un point de vue didactique, trois niveaux apparaissent : la micro-alternance au niveau de l’énoncé monologal, la méso-micro-alternance dite aussi micro-alternance séquentielle au sein de la séquence pédagogique et la macro-alternance dans les curricula. Baker (2011) dresse la liste des différentes fonctions didactiques de l’alternance codique au niveau micro, il peut s’agir de : mettre l’accent sur une partie du message, substituer un terme ignoré en L2, introduire un concept nouveau inédit en L1, reformuler, renforcer une demande, clarifier un message, manifester une identité ou le changement d’une relation interpersonnelle, faire le lien avec une conversation antérieure. De même, elle peut exprimer l’interjection,

57 À l’extérieur de cette frontière (de l’école), cela signale à l’interlocuteur qu’on vient d’une école de langue anglaise, plutôt que gouvernementale ou française.

58 La dualité du langage n’est pas un problème mais une habileté innée, un reflet précis de la dualité qui existe en chacun de nous, une dualité entre notre vie mondaine et notre vie spirituelle.

l’humour, le prestige,le mimétisme, l’exclusion des non locuteurs, etc. D’après Gajo (2017), le recours à la L1 peut avoir une fonction de dépannage et correspond à une situation exolingue d’interaction avec une asymétrie de compétences en L2.

Coste propose de nommer « alternance d’apprentissage » l’alternance codique pour la classe, englobant ainsi différents types d’alternance : l’alternance de répétition ou de reformulation qu’il qualifie ici de « traduction » ou de « commentaire » (et qui s’associe souvent à une alternance par défaut – suite à des lacunes en L2) mais aussi l’alternance de distribution complémentaire :

L’alternance de répétition, c’est une alternance qui va reprendre d’une manière ou d’une autre dans une langue ce qui a été d’abord posé dans une autre; cela peut être une alternance simplement de traduction

dans certains cas, de reformulation, une alternance de commentaire ; l’alternance de distribution complémentaire renvoie plus à un schéma du type : il y a des choses qu’on fait dans une langue, il y en

a d’autres qu’on fait dans l’autre et il n’y a pas nécessairement reprise dans l’autre de ce qui a été fait dans l’une. (Coste, 1997 : 7)

Cette dernière forme rappelle l’alternance séquentielle (Duverger, 2007) qui est quant à elle formellement intégrée à la séquence pédagogique :

On appellera méso - alternance, ou alternance séquentielle, cette alternance de langues opérée par le professeur pendant le cours de manière raisonnée, réfléchie, volontaire, sous forme de séquences successives et ceci, dans la perspective de favoriser chez les élèves la mise en œuvre des processus d’apprentissage. (Duverger, 2007 : 4)

De même, Causa (1996) distingue quatre stratégies chez les enseignants adoptant l’alternance codique en classe : la stratégie de réduction, la stratégie d'amplification, la stratégie contrastive, et la stratégie d'appui. La stratégie contrastive se caractérise par l’usage de terme introducteur, la comparaison de deux codes et le recours au métalangage. La stratégie d’appui apparait plutôt du côté de l’élève qui y a recours afin de combler un déficit et d’éviter l’interruption de l’interaction. L’enseignant peut l’utiliser à son tour afin de prévenir ce problème. La stratégie d’appui se décline quant à elle sous diverses formes et fonctions : reformulation, répétition, hétéro-achèvement, auto-achèvement, exclamation, incises, alternance codique « pure ». L’alternance codique occupe donc une place importante dans l’agir enseignant en DdNL. C’est sans doute pour cette raison que le discours pédagogique actuel invite à didactiser l’alternance codique, une proposition issue de la recherche francophone, qui reste peu reprise dans les approches CLIL. Des déclinaisons pédagogiques ont ainsi été formulées comme la pédagogie de projet par exemple, de Duverger (2000) et Braz (2007). Les chercheurs (Duverger, Causa, Gajo, Serra, Steffen) s’accordent à souligner l’intérêt du niveau méso pour la didactisation de l’intégration entre langue(s) et contenu. Effectivement, Steffen et Serra considèrent que l’alternance codique joue un rôle majeur dans la construction des savoirs disciplinaires :

L’alternance des langues n’est pas interprétée comme un symptôme de défaillance mais comme une ressource qui contribue à rendre les étapes de la construction de savoir reconnaissables et mutuellement intelligibles. Ces observations modifient radicalement le rôle qui est généralement attribué à la L1 : d’obstacles potentiels au développement à la L2, la L1 devient partie d’un répertoire en construction. Considérer le bilinguisme de manière réaliste mais appropriée au contexte, à la fois comme processus intégrant les compétences langagières en L1 et en L2 et comme un outil pour la médiation des savoirs, est […] profitable aux disciplines non linguistiques convoquées dans l’enseignement bilingue. (Serra et Steffen, 2010 : 167)

De même, Coste poursuit sa réflexion sur l’alternance codique qu’il associe à l’« entrecroisement/reformulation ». Selon, elle constitue un ressort pédagogique dans la construction des concepts et notions disciplinaires :

D’un point de vue cognitif en effet, l’alternance des langues est alors posée non comme redondance/répétition (les mêmes leçons ou activités successivement dans les deux langues) ni comme distribution des matières (certaines travaillées dans une langue, d’autres travaillées dans une autre langue), mais comme entrecroisement/reformulation (les deux langues entrant en jeu complémentairement dans la même visée de mise en place des mêmes nouveaux concepts). (Coste, 2003)

L’alternance codique en didactique est donc au cœur de la notion d’intégration, notion que nous aborderons au paragraphe 1.2.3.2.

Plus récemment, l’alternance codique a été réactualisée par la notion de « translanguaging ». Cette notion a principalement été développée par des chercheurs anglo-saxons (Williams, Garcia), initialement autour des questions de langues minoritaires. Elle englobe des pratiques langagières scolaires, pratiques pouvant être identifiées comme alternance codique, lors de séquences intégrant par exemple des activités de compréhension en L1 et des activités de production en L2 et inversement (Garcia, 2016). Face à des pratiques séparatistes prédéterminées par l’emploi du temps, l’enseignant, la classe ou le sujet, ces pratiques assume d’une certaine fluidité (Garcia, 2013). « Translanguaging » se définit comme un processus cognitif spécifique aux bilingues, à rebours d’une vision monolingue et cloisonnée. Garcia recommande la « flexibilité » en première intention pédagogique pour favoriser la prise de parole et la confiance des élèves, tandis que la norme arrivera dans un second temps. Aussi le « translanguaging », nouvelle version du parler bilingue, rappelle-t-il l’ère communicative dans laquelle il était admis de communiquer en tolérant des erreurs, la norme intervenant également dans une seconde phase.

Notre proposition est de qualifier l’alternance codique comme un geste de « médiation » entre la L1 et la L2, englobant à la fois les fonctions de Baker, les « stratégies » des enseignants de Causa et les propositions de caractérisation de Coste et Gajo. Nous décrivons ces gestes mis en œuvre par les enseignants en L2 dans les cours de DdNL, au chapitre 3 de ce travail.