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Les impasses de l’immersion (fossilisation des erreurs, manque de compétences en L2 dans certains registres et sur certains aspects morphosyntaxiques, plafonnement des compétences, etc.) ont favorisé la recherche d’un équilibre entre contenu disciplinaire et dimension langagière. La langue, ici au singulier, est une L2.

Catégorisation

Gajo (2001), Schlemminger (2011) et Steffen (2013) ont positionné chronologiquement les modèles éducatifs bi-plurilingues en assimilant les approches à trois « générations » : modèle immersif, CLIL et EMILE. Ces chercheurs établissent quant à eux une distinction entre CLIL et EMILE. L’immersion et CLIL représentent des modèles centrés sur le contenu dont l’objectif

final est l’enseignement/apprentissage de la L2. CLIL ajoute un travail intégré sur la langue et cette « intégration profite à la langue » selon Gajo (2001 : 10-11). EMILE constitue la 3ème et dernière génération, qui selon Gajo diffère des deux précédentes par son « orientation didactique » vers la discipline dans le sens où l’intégration profite principalement à la discipline, tout en prêtant attention aux « traits de l’organisation discursive ». Le « I » de CLIL/EMILE signifie, rappelons-le « intégré », renvoyant ainsi précisément à l’intégration. Nous constatons en outre que cette distinction entre CLIL et EMILE qu’a réalisée Gajo (2001) n’est pas systématique. Par exemple Marsh ou encore Steffen et Serra (2010) ne la reprennent pas de manière systématique :

A la différence d’autres modèles immersifs, où la discipline enseignée en L2 est souvent sous-exploitée au profit du seul développement de la L2, CLIL/EMILE propose un modèle plus équilibré qui donne une importance égale à l’enseignement de la discipline et de la langue étrangère […]. (Serra, Steffen, 2010 : 130).

Méthode intégrée : techniques d’enseignement des langues appliquées au contenu disciplinaire en L2

Hanse résume l’intégration en soulignant deux fonctions réciproques du contenu et de la L2 : l’instrumentalisation et la légitimation :

L2 et DNL doivent devenir l’un pour l’autre outil et vecteur. L2 en DNL devient outil de communication, dans un usage spécifique, de transmission de connaissances. La DNL est aussi un « outil » pour la L2 : elle l’authentifie en situation. Il y a donc un mouvement réciproque d’instrumentalisation/légitimation ». (cité par Steffen, 2013 : 119)

Gajo (2007), repris dans Gajo et Berthoud (2008), réinterprète cette problématique de l’intégration langue et contenu à travers une double médiation opérée par l’enseignant de DdNL. Ce dernier dédensifie et fait conceptualiser des savoirs disciplinaires tout en clarifiant simultanément les savoirs linguistiques, en levant l’opacité de la L2 :

En classe bilingue, on assiste à une mise en continuité entre les problèmes d’opacité et de densité […] cette clarification relèverait d’un travail prioritaire sur la langue, l’explication d’un travail prioritaire sur la discipline, conduisant à la conceptualisation. (Gajo, Berthoud, 2008 : 7)

Au-delà de l’outil de communication et de clarification, certains chercheurs proposent de considérer la L2 en DdNL comme un objet véritable d’enseignement. Dans cette quête d’un modèle didactique équilibré entre langue et contenu, Lyster propose des activités pédagogiques favorisant un « contrepoids entre forme et contenu » :

Une pédagogie qui fait contrepoids intègre les options centrées sur le contenu et la forme […]. Cette intégration se fait en entrelaçant des occasions équilibrées pour de l’input, de la production et de la

négociation. En ce qui a trait à l’input lié au contenu-matière, les enseignants doivent recourir à une

gamme étendue d’options pédagogiques allant d’un enseignement conçu pour rendre compréhensible au moyen de diverses techniques à un enseignement visant à faire ressortir davantage les traits linguistiques. Quant à la production dans la langue cible, ici encore les enseignants

doivent créer un éventail d’occasions, pouvant varier entre tâches centrées sur le contenu en vue de promouvoir l’utilisation de la langue cible à des fins scolaires et des activités de pratique conçues pour favoriser la procéduralisation de formes de la langue cible que les apprenants auraient autrement tendance à éviter, mal utiliser ou ignorer. En matière d’interaction en classe, enseignants et élèves

doivent négocier sur le plan linguistique dans l’ensemble du contenu-matière alors que les enseignants recourent à une diversité de techniques interactionnelles qui vont de la rétroaction implicite sous la forme de reformulations qui échafaudent l’interaction de manières qui facilitent la participation des élèves à une rétroaction sous la forme d’incitations et d’autres signaux qui poussent les apprenants au-delà de leur utilisation de formes d’interlangues récalcitrantes. (Lyster, 2010 : 120)

Lyster identifie différentes pratiques pédagogiques centrées sur la forme de la L2 au service du contenu : faire ressortir les traits linguistiques, favoriser la procéduralisation de formes en langue cible, reformuler, dépasser l’interlangue, etc. Nous trouverons d’autres illustrations de ces suggestions dans notre 3ème chapitre. De la même manière, l’une des publications du CELV invite au développement des activités langagières à travers des « stratégies d’apprentissage des langues » pour l’enseignement/apprentissage du contenu :

[…] un facteur-clé de l’enseignement d’une discipline non linguistique est l’adoption d’une approche du contenu qui soit orientée sur les langues. Cela implique que toutes les compétences linguistiques

soient prises en compte et exploitées pour permettre à l’apprenant d’assimiler un contenu et en même temps d’utiliser la langue de façon significative. Pour ce faire, il faut activer les stratégies d’apprentissage des langues : stratégies de lecture, d’écriture, de parole et d’écoute. (Bernaus

Furlong, Jonckheere, Kervan, 2012 : 21).

De leur côté, Geiger-Jaillet, Le Pape Racine et Schlemminger, (2016), définissent ainsi le modèle intégratif :

[…] la transmission de contenus disciplinaires en langue cible est au centre de la démarche didactique. Les apprenants disposant d’un bon niveau en L2, il s’agit d’élargir la compétence discursive dans les

différents types de discours liés aux DdNL et d’apprendre à conceptualiser de nouvelles notions disciplinaires. Au niveau méthodologique, l’enseignement expérimental vise plus particulièrement le développement de stratégies discursives, propres à la DdNL, et de la langue cognitivo-académique. (Geiger-Jaillet, Le Pape Racine, Schlemminger, 2016 : 26)

Ils distinguent également un modèle centré sur le contenu, dans la lignée du modèle « content driven » anglo-saxon. Les auteurs y rajoutent la mention des procédés issus de la didactique des langues :

[…] l’orientation didactique est disciplinaire car les contenus et la méthodologie proviennent de la discipline (scientifique). Ce modèle est également centré sur le développement de la compétence langagière ; les procédés d’enseignement sont, en partie, empruntés à la didactique des langues, en

l’occurrence les stratégies de présentation (les modes de visualisation, d’abstraction) et d’étayage. La langue cible demeure en partie objet d’étude (développement de compétences de communication de

base interpersonnelle […]), mais elle est également outil d’appropriation de savoirs disciplinaires. L’apprentissage de notions propres au domaine scientifique de la DEL2 prend son essor (développement de la langue cognitivo-académique). (Geiger-Jaillet, Le Pape Racine, Schlemminger, 2016 : 26)

Selon nous, le modèle centré sur le contenu est également intégratif et précède ce que Geiger-Jaillet, Le Pape Racine et Schlemminger nomment modèle « intégratif ». En effet, le premier modèle s’adresse à des classes de DdNL ayant un niveau de langue inférieur à ceux du modèle

intégratif (disposant eux d’un « bon niveau en L2 »). Cette prise en compte d’un niveau de langue plus fragile oriente les pratiques pédagogiques de l’enseignant vers un enseignement de la L2 relevant du BICS (procédés d’enseignement de la didactique des langues). L’enseignant adopte ainsi ponctuellement un registre de communication courante pour amener les élèves à la maitrise d’un registre discursif disciplinaire (mentionné ici par CALP). Selon nous, ces deux modèles relèvent de l’intégration entre langue et contenu et ils se situent dans une progression pédagogique.

Ainsi l’intégration entre la langue et le contenu est bien au centre des préoccupations didactiques, dépassant en cela l’approche immersive, concentrée quant à elle uniquement sur la transmission du contenu. La méthode intégrée entre langue et contenu s’appuie sur des techniques d’enseignement/apprentissage d’une L2 (à l’instar du français sur objectifs spécifiques, FOS), relevant de la compétence discursive et de la médiation que nous étudierons plus en détail ultérieurement.