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d. Didactique intégrée et didactique du plurilinguisme

2.5 Compétences langagières en DdNL

2.5.3 Compétence de médiation en DdNL

2.5.3.4 Médiation et métalangage

Autre aspect de l’activité de médiation, le métalangage qui compose le discours scolaire des enseignants. Car comme le rappellent Volteau et Garcia (2016 : 198), ce discours « [est] orienté[e] vers la transmission de savoirs, le métalangage et la définition des termes techniques ».

Afin de définir la dimension métalangagière, nous nous appuyons sur les propositions de Besson et Canelas-Trevisi :

[stratégies métalangagières] sont en relation avec un but communicatif de l'ordre de la clarification des discours : du point de vue de l'énonciateur, étant donné la représentation qu'il se construit du destinataire,

il s'agit de faciliter pour ce dernier la compréhension adéquate de ce qui est dit ou écrit, par le recours à des procédures visant le contrôle, la régulation, l'ajustement de ce qui est énoncé.

Ces stratégies de retour sur l'énoncé, au travers desquelles l'énonciateur prend pour objet de son commentaire son propre discours (voire le discours d'autrui) s'opèrent par un transfert de l'attention de l'énonciateur, de l'objet du discours au discours lui-même et ce changement de pôle d'intérêt du

discours est conditionné par le destinataire (Bakhtine, 1977). (Besson et Canelas-Trevisi : 178)

Plusieurs stratégies présentées par les deux chercheuses constituent pour notre étude des outils d’analyse des pratiques des enseignants de DdNL : ainsi la reformulation marquée par les unités linguistiques telles que « c’est-à-dire », « je veux dire », « cela signifie » etc., la définition introduite par des unités linguistiques de nomination « s’appeler, désigner, dénommer, être considéré, etc. », l’illustration indiquée grâce à des unités linguistiques telles que « par exemple », convoquant des exemples concrets.

En contexte pluriglossique, Dichy relevait le rôle d’une compétence qu’il qualifie de métalinguistique et que développent également les élèves en DdNL en situation exolingue bilingue :

b) Ce système a pour correspondant sociolinguistique un système de connaissances relatif à la sélection glossique, qui rend compte de la possibilité, pour le locuteur, d'effectuer, de manière plus ou moins consciente, au cours des interactions verbales dans lesquelles il se trouve impliqué, et à partir d'un ensemble de paramètres situationnels, le choix de la glosse adéquate. La compétence de sélection glossique constitue ainsi, en quelque sorte, une « métacompétence » (i.e. une compétence relevant de

l'activité métalinguistique de contrôle de la production langagière - [J.D., 1990b ; 1993]) qui gère, au

niveau des interactions verbales, l'usage des systèmes de connaissances correspondant à des glosses. Elle suppose, comme indiqué, un schéma de fonctions attachées à chacune des glosses présentes dans la compétence de communication des locuteurs.(Dichy, 1994 : 9)

Ainsi la notion de pluriglossie, identifiée ici pour l’arabe, pour une langue dans un espace sociolinguistique particulier, est également utile pour penser la L2 de la DdNL en termes de compétences spécifiques. La méta-compétence en jeu pour les locuteurs pluriglossiques est identique à celles des locuteurs plurilingues.

En contexte de DdNL

En DdNL, de nombreux ouvrages mentionnent la conscience métalangagière comme l’une des plus-values du bilinguisme en général et de l’enseignement bilingue en particulier (Steffen, 2011), (Serra et Steffen, 2010), (Blanchet, 2014). Gajo (2017) souligne que« l'enseignement bilingue favorise une prise de conscience linguistique, favorise un travail explicite sur les ressources linguistiques et va augmenter la capacité de l'élève à mettre en lien les ressources linguistiques avec les concepts dans la discipline ». De même, les conclusions de Serra et Steffen (2000) rappellent l’importance de la dimension métalinguistique, car en DdNL l’opacité de la langue devient un atout :

[…] l’attention métalinguistique portée à l’élaboration des contenus disciplinaires a conduit enseignants

et élèves à explorer et à problématiser les formes discursives qui véhiculent ces contenus. (Serra, Steffen, 2010 : 504)

En fait, comme le décrivent Serra et Steffen, tout se passe comme si la médiation « conceptuelle et linguistique » entre L1/L2 catalysait la dimension métalinguistique grâce à sa capacité de défamiliarisation:

L’apport de la L1 au processus de développement conceptuel en L2 consiste essentiellement en une

médiation conceptuelle et linguistique. Le fait d’employer L2, à l’intérieur de procédures

métalinguistiques qui problématisent et structurent le traitement du sens, fait émerger les concepts spontanés/quotidiens de l’apprenant. L1 achemine ces mêmes concepts spontanés/quotidiens, que

l’apprenant tire de son expérience et du savoir acquis, et fournit ainsi le fondement sur lequel bâtir

l’interprétation du sens disciplinaire. Par ailleurs, passer de L2 à L1 rend les mêmes objets plus

saillants, plus systématiques et moins familiers en L1. Sollicité par L2, le système sémantique de L1 gagne en visibilité et peut ainsi être appréhendé par les apprenants. […] Finalement, L1 et L2 sont distinguées dans la même activité métalinguistique : ceci canalise l’attention et favorise l’accès à une

compétence analytique et à des registres académiques. (Serra, Steffen, 2010 : 142-143).

Il semble donc que la L1 assure en fait un rôle pivot dans la construction des savoirs langagiers (en L2) et disciplinaires (Castellotti, 2001 ; Serra, Steffen, 2010). D’un point de vue quantitatif, ce recours à la L1 décroît au fur et à mesure de l’accroissement des compétences en L2. Il s’agit donc d’un rôle dynamique qui évolue au gré de l’apprentissage avec une constante cependant : le maintien d’une activité métalinguistique en deux langues.

Ces observations modifient radicalement le rôle qui est généralement attribué à la L1 : d’obstacles

potentiels au développement de la L2, L1 devient partie d’un répertoire bilingue en construction. Considérer le bilinguisme de manière réaliste mais appropriée au contexte, à la fois comme un processus intégrant les compétences langagières en L1 et en L2 et comme un outil pour la médiation des savoirs, est, nous l’avons dit, profitable aux disciplines non linguistiques convoquées dans

l’enseignement bilingue. […] Une recherche longitudinale que nous avons menée pendant six années de scolarité bilingue, et dans laquelle nous avons, entre autres choses, quantifié le recours à la L1 dans la production de des élèves, a montré que même en début d’enseignement ce recours est limité et qu’il décroit rapidement à mesure que la base sémantique en L2 va en s’étoffant. Tout au long de la scolarité, par contre, l’activité métalinguistique en deux langues garde son rôle structurant, donnant ainsi à L2 un terrain fertile aux développements. (Steffen, Serra, 2010 : 167)

Métalangagier et métalinguistique85

Selon de nombreux auteurs, les adjectifs « métalangagier » et « métalinguistique » sont synonymes. Le terme « métalinguistique » a été utilisé par Jakobson (1963) pour indiquer la fonction métalinguistique du langage, lorsque le discours est centré sur le code. Ainsi, parmi les auteurs que nous venons de citer, Besson et Canelas-Trévisi (1994) utilisent le terme « métalangagier » pour des stratégies d’enseignant relevant de la reformulation, de la définition et de l’illustration. Gajo, Serra, Steffen cités ci-dessus, utilisent quant à eux le terme « métalinguistique » pour qualifier ce type d’activités en classe. Delamotte (1994 : 166-167) établit une distinction entre le terme « grammaire » limité au fonctionnement du code, le terme « métalinguistique », élargi aux dimensions traitant du fonctionnement des textes et des discours et le terme « discours métalangagier », ce dernier « portant sur divers aspects du comportement verbal ».

Pour les besoins de notre étude, il nous est nécessaire d’établir une distinction afin de mettre en évidence les pratiques des enseignants de DdNL qui relèvent tout à la fois des langages et des langues mobilisés en classe. Nous reviendrons sur cet aspect dans la partie finale de ce chapitre. Ainsi, ce qui relève du métalangagier renvoie aux rapports méta au(x) langage(s), plusieurs langages apparaissent en classe de DdNL (langage symbolique, langage numérique, langage gestuel, langage graphique, etc.) tandis que le métalinguistique est centré sur le code (grammaire et phonétique). En termes d’activités, nous illustrons nos deux catégories en scindant en deux la définition suivante de la notion d’« activités métalinguistiques » : « Il s'agit d'activités de formulation/reformulation, d'explication, de commentaire, de désignation, de définition, de mise en relation,... ayant trait à la langue et aux discours » (Ducancel, Finet, 1994 : 94). Nous distinguons d’une part, ce qui relève selon nous du « métalangagier » : les reformulations, les désignations et les définitions ayant trait au discours et d’autre part, ce qui relève du « métalinguistique » : les explications, les commentaires ayant trait au

85 Nous pouvons faire également une distinction entre métalinguistique ou épilinguistique, notion souvent convoquée. Brossard en donne cette définition (1994 : 30): « Les activités épilinguistiques consistent "en une connaissance intuitive et un contrôle fonctionnel des traitements linguistiques" (Gombert, 1990, p. 233). Sans perdre de vue le but communicatif qu'il s'assigne, le sujet déploie une activité de contrôle sur la production. Celle-ci s'exerce par exemple sur les règles grammaticales impliCelle-citement utilisées (accord du genre, choix d'un article, référence anaphorique...) d'auto-correction. et peut être observée à l'occasion des phénomènes. Les activités métalinguistiques, quant à elles, consistent "en une connaissance consciente et en un contrôle délibéré de nombreux aspects du langage" (Ibid. p. 247). Par opposition aux activités épilinguistiques, elles sont facultatives et apparaissent plus tardivement : la maîtrise fonctionnelle des activités linguistiques étant bien entendu un prérequis. »

fonctionnement de la langue, autrement dit l’analyse de la grammaire, de l’orthographe, de la phonétique.

2.5.3.5 Reformulation

Activité de médiation, la reformulation est au cœur du discours enseignant. Selon nous, la médiation est un hyperonyme de la reformulation. Nous reprenons ici la définition rapportée par Volteau et Garcia-Debanc (2016 : 194), de Gulich et Kotschi (1987) : « la reformulation est une opération linguistique de la forme xRy, qui établit une relation d’équivalence sémantique entre un énoncé-source x et un énoncé reformulateur y, R étant le marqueur de reformulation ».

Fonctions

Volteau et Garcia-Debanc résument les trois fonctions de la reformulation :

Une fonction explicative et interprétative (s’assurer de ce que veut dire l’autre), une fonction argumentative et polémique, une fonction heuristique (illustrer ce que dit l’autre, ou inversement, pour en inférer des principes généraux, présenter un concept sous un autre jour). (Volteau, Garcia-Debanc, 2016 : 193)

Ces fonctions renvoient à la notion de clarification du discours identifiée par Besson et Canelas-Trevisi (1994) et par Gajo (2007).

Pratiques

La reformulation a fait l’objet d’étude en contexte plurilingue, notamment au Burkina Faso, au Mali et au Niger, « pays [de la zone] les plus expérimentés dans l’enseignement bilingue au primaire » (Noyau, 2014 : 3). On pourra alors retenir les conclusions de ces études. Dans le contexte des écoles primaires bilingues nigériennes, le recours à la reformulation dépend du contenu, du niveau de la classe et du niveau de langue de l’enseignant. Plus l’enseignant a une bonne maitrise de la langue, plus l’objet enseigné est abstrait (sciences) et plus il y a contacts de langues, plus il y a reformulations :

[…] nous pouvons dire que le degré d’emploi des reformulations dépend pour la plupart de l’objet enseigné. Ainsi, avons-nous constaté plus de fréquence de reformulations lorsqu’il s’agit des sciences

(math, sciences d’observation). Le degré d’emploi est aussi fonction du niveau de la classe. Nous avons

remarqué plus de reformulation dans les classes de troisième année. Ce qui représente un indicateur intéressant de notre point de vue, c’est la classe où se font les transferts de connaissances entre L1 et L2. Un troisième facteur influant le degré d’utilisation des reformulations est lié à la personnalité des

enseignants. Certains paraissent plus à l’aise dans la maitrise de la langue, un aspect très important pour la facilité d’exploiter les reformulations dans la transmission des connaissances. (Younssa, 2013 : 51)

En d’autres termes, en situation exolingue, la fréquence et la qualité des reformulations peuvent constituer des critères d’efficacité de l’enseignement.

Formes

Des outils affinés de la reformulation sont intéressants à mobiliser (Gulich et Kotschi, cité par Volteau et Garcia-Debanc). Le premier outil est la question de l’auto ou l’hétéroformulation. Dans la classe de DdNL, les deux aspects coexistent : l’enseignant reformule ce que disent les élèves, il peut aussi reformuler ses propos en variant les registres, en passant de l’oral à l’écrit, etc. On remarque ici la proximité qui existe entre hétéro ou autoformulation et hétéro ou auto-structuration des Séquences Potentielle d’Acquisition (SPA) tant la reformulation est centrale. D’autres outils tels que la paraphrase, la périphrase et la correction sont également utiles. La correction est elle aussi classée comme reformulation, dans la mesure où elle permet un ajustement d’un énoncé considéré comme non conforme par rapport à une norme. Nous reviendrons plus tard sur cette question de la correction.

Paraphrase et périphrase

La paraphrase est une expansion, une réduction ou une variation d’un énoncé initial. Nous verrons que cette variation est souvent accompagnée d’un changement de registre. La paraphrase se manifeste lors de la médiation entre le registre de communication courante et le registre disciplinaire scolaire. La périphrase quant à elle, est un procédé qui consiste à exprimer en plusieurs mots une notion qu’un seul terme pourrait exprimer. Paraphrases et périphrases participent à la construction de la compétence discursive disciplinaire que nous étudierons plus bas, grâce à sa capacité de « défamiliarisation ».

Défamiliarisation

Gajo, Steffen et Serra (2010) formalisent ce concept de familiariser/défamiliarisation que Steffen (2013) résume ainsi :

Les études arrivent également à la conclusion que le passage à une L2 contribue à la mise à distance

[…] Ce phénomène de « défamiliarisation » […] consiste en un effet de dépaysement et d’objectivation

par rapport au langage quotidien des apprenants, ainsi qu’aux connotations et à leurs expériences passées, liées à la L1. […] L’opacité de la L2 rend conscient de la fausse transparence de la L1 familière, dont il faut se détacher, se défamiliariser pour mieux accéder à la conceptualisation, qui consiste en une série de

reformulations allants des concepts spontanés vers les concepts scientifiques, en les cernant par

approximations successives. (Steffen, 2013 : 122)

Du point de vue interactif, la co-construction du contenu disciplinaire se manifeste souvent dans la

reformulation, où l’on négocie et la forme et le contenu. Le continuum L2-L1 organise ainsi des activités

discursives de type métalinguistique, notamment par le fait de familiariser L2 et de défamiliariser L1.

(Serra, Steffen, 2010 : 133).

Nos observations confirment le fait que les enseignants de discipline non seulement explicitent des notions disciplinaires, mais aussi mettent régulièrement en relief l’existence de différents registres discursifs, favorisant la contextualisation et la décontextualisation (autre aspect de la défamiliarisation) de ces notions. La langue dans la discipline a un rôle de distanciation vis-à-vis de l’expérience sensible du monde. Cette objectivation est fondatrice de la démarche scientifique, car « il s'agit de reconstructions/reformulations dans des systèmes sémiotiques différents et qui participent à la déréalisation de l'objet quotidien » (Jaubert, Rebière, 2001 : 90). La paraphrase et la périphrase sont des techniques efficaces en DdNL car elles jouent simultanément sur le passage entre l’oral et l’écrit et sur les registres discursifs. Steffen (2013) souligne que les leçons de mathématiques manifestent de manière exemplaire le travail conjoint de verbalisation et de conceptualisation grâce à la reformulation entre l’oral et l’écrit via la manipulation de formules mathématiques. Elle ajoute qu’une traduction se réalise également entre formulation mathématique et formulation langagière plus familière. Ainsi la paraphrase est une modalité de reformulation qui permet de maintenir l’intégration entre langue et contenu.

Reformulation et alternance codique

Dernier aspect de la reformulation en DdNL, il s’agit du passage entre L1 et L2. L’enseignant de DdNL reformule en L1 des énoncés ou des termes de L2 et inversement, tel une paraphrase en mode bilingue, donnant parfois lieu à une simplification ou un résumé. Bange (1992) situe l’alternance codique dans les pratiques de reformulation et plus précisément comme une stratégie de substitution.

Médiation comme hyperonyme de reformulation

La notion initiale de « reformulation » nous semble cependant trop restrictive, elle ne prend pas en compte les changements de modes sémiotiques ou encore les alternances codiques. À l’inverse, la notion de « médiation » apparait plus appropriée à une situation de DdNL, en ceci qu’elle englobe non seulement la reformulation et toutes ses formes, mais aussi le non verbal (graphique, numérique, schématisation, gestualité, etc.) et la dimension plurilingue. Sont ainsi recensés :

- les passages entre l’oral et l’écrit en utilisant le tableau, accompagnés des mises en relief du discours : utilisation des couleurs dans la graphie (mots écrits en rouge par exemple,

mais aussi le fait d’entourer, de souligner, de tracer des liens entre des mots au tableau, etc.),

- les changements de mode sémiotique : la verbalisation d’expression numérique ou symbolique d’éléments, de schématisation (fléchage, dessin, schéma, etc.) mais aussi la verbalisation à partir d’objets matériels ou de la mimogestualité,

- les passages entre une notion disciplinaire et une situation de la vie quotidienne, - les passages entres les registres (BICS/CALP) ou au sein même d’un registre, - les passages entre la L1 et la L2, etc.

En outre, nous formulons ainsi l’hypothèse que tout ce qui est médié qu’il s’agisse de registres, de codes, de signes, de canaux, ou de langues, jouant entre contextualisation et décontextualisation, (ou bien familiarisation et défamiliarisation), favorise l’appropriation de contenu en L2. Nous l’avons observé dans le cadre de notre étude : les enseignants de DdNL ont recours à toutes ces pratiques parce qu’ils en ont constaté l’efficacité de manière empirique. La médiation métalangagière apparait donc comme un geste hyperonyme des pratiques enseignantes, manifestation de l’articulation, de ce phénomène de l’« entre » : « entre » deux langues, « entre » deux codes (interlangagière), « entre » deux canaux, écrit et oral, « entre » deux types de registres, courant/disciplinaire, « entre » deux systèmes sémiotiques (verbal et graphique, numérique, symbolique, gestuel, etc.).