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2.4 Approches didactiques des contacts de langues

2.4.1 Approche didactique : de l’immersion à l’intégration

Les dispositifs d’enseignement bilingue sont caractérisés par une certaine variété méthodologique. Baker (2011) en recense plus de 10. Mais l’ensemble de ces variétés méthodologiques s’inscrit entre deux pôles que constituent l’immersion (monolingue) et l’intégration (plurilingue).

Ainsi, l’axe monolingue/plurilingue se décline également dans le rapport qu’entretient une société avec l’extranéité. Un parallèle peut être établi avec un mouvement identique dans les politiques d’accueil des populations migrantes, modèle assimilatif ou modèle intégratif dans un pays tel que la France. L’assimilation ou l’immersion s’appuie sur une didactique de cours intensif en L2 alors que l’intégration tente de prendre en considération la L1 et la culture 1 dans une méthodologie d’enseignement de/en L2 (Lüdi, Py, 2013 : 73). Cette tendance assimilative, immersive ou intégrative utilisée pour décrire un rapport entre communautés, groupes sociaux (majorité/minorité) semble également opérationnelle pour décrire les rapports entre les langues dans une éducation plurilingue (langue majoritaire, langue 1 de scolarisation et une langue minoritaire, langue 2 de scolarisation). En d’autres termes, et sans surprise, les modèles didactiques reflètent des représentations et des attitudes sociétales et politiques.

2.4.2.1 Approche immersive

L’immersion façonne un type d’enseignement, fondateur de ces aménagements pédagogiques au sein desquels le disciplinaire et la langue constituent un double objectif d’enseignement/apprentissage. Dans l’immersion, ce double objectif est asynchrone, dans la

mesure où les objectifs disciplinaires représentent les objectifs premiers des enseignements, déterminés par un programme, alors que l’acquisition de la langue est bel et bien la finalité de cet enseignement, selon une modalité de bain linguistique. D’après Met (1999) et Gajo (2013), l’immersion représente le modèle extrême de l’enseignement d’une langue basé sur le contenu (« content based language teaching ») sur le continuum entre « content-driven instruction » et « language-driven instruction ». L’immersion illustre le pôle « content driven » et le cours de FLE ou de FOS, version communicative et actionnelle illustre le pôle « language driven ». L’immersion fonctionne sur un modèle monolingue calqué sur un apprentissage en L1, la L2 s’y substituant. Selon Gajo (2009) « le terme immersion évoque trop l’idée de séparation des langues […] » conformément aux débuts militants de cette méthode et du statut minoritaire de la L2. Steffen (2013 : 101) souligne que l’immersion produit « un double monolinguisme, marqué par la tentative de séparer les langues dans le cadre scolaire. L’enseignement immersif est conçu comme une méthode communicative où l’apprentissage de la L2 est incident (implicite, non intentionnel et non institué) dans un enseignement de DNL analogue à celui en L1 ». De même, Coste (2003a : non paginé) distingue l’immersion de l’éducation bilingue, en précisant que les types immersifs ont « eu plus tendance à encourager le cloisonnement entre les langues dans le travail des disciplines non linguistiques (comme si l’idéal de l’enseignement bilingue revenait à la juxtaposition de deux enseignements monolingues) qu’à les mettre en contact et ensemble au service de la construction de connaissances ». Ainsi, l’immersion se caractérise par un enseignement monolingue en L2, orienté sur le contenu, qui n’est pas à proprement parlé bilingue.

Bilan de l’immersion

Plus de 60 ans après ces premières expériences, de nombreux chercheurs ont pu réaliser un bilan de cette approche méthodologique. L’un des constats les plus problématiques concerne la qualité de la langue parlée par les élèves à l’issue de leur scolarité. Des phénomènes de plafonnement linguistique et de fossilisation des erreurs ont en effet été repérés. Germain recense ainsi les principales difficultés :

De plus, même si l’immersion parait aboutir à des résultats assez spectaculaires, il ne faudrait pas négliger le fait que sur le plan de l’expression, la qualité de la langue laisse un peu à désirer, tant au niveau de la prononciation que de la grammaire. C’est ainsi que les élèves des classes d’immersion en viennent selon les chercheurs à développer une sorte d’interlangue appelée « classolecte », ou dialecte propre à la classe de langue en contexte d’immersion en français : par exemple, ces élèves sont incapables de recourir aux formes de conditionnel en français (Lapkin, 1984). Comme le fait observer Bibeau : ces élèves « hésitent, ils ne finissent pas leurs phrases, ils utilisent des phrases stéréotypées ou contournent les structures

difficiles dans des phrases alambiquées, ils gardent un fort accent étranger et commettent un grand nombre d’erreurs dans tous les secteurs de la grammaire et du vocabulaire. […] A cet égard, alors qu’on croyait, dans les débuts de l’immersion, qu’à mesure que les élèves avançaient dans leur programme, ils finiraient par corriger leurs erreurs, à l’expérience, il est apparu que non seulement ces erreurs ne disparaissaient pas, mais qu’elles finissaient au contraire par se fossiliser, c’est-à-dire que les élèves n’arrivaient plus à s’en défaire dans le temps. Pareil plafonnement linguistique concerne surtout la morphologie verbale, l’emploi des pronoms, des prépositions, le genre des mots, les transferts linguistiques, les créations spontanées et la prononciation (Calvé, p. 15). […] Le français des élèves d’immersion est radicalement différent de celui de leurs pairs francophones : il s’agit d’une langue artificielle, vidée de toute sa pertinence culturelle (Lalonde, 1990) (Germain, 1993 : 318)

Germain en s’appuyant sur les propositions de Hullen et Lentz (1991), s’interroge :

[…] ne devrait-on pas songer, […] à réconcilier, dans le cadre d’une approche intégrée et globale, les deux pôles complémentaires que constituent à la fois la L2 et la matière enseignée au moyen de cette langue ? Autrement dit, ne conviendrait-il pas de développer une véritable « pédagogie de l’immersion», dotée de caractéristiques propres ? Un premier pas en ce sens pourrait vraisemblablement consister à mettre sur pied des programmes d’immersion dans lesquels une importante place serait accordée à la qualité même de la langue enseignée. (Germain, 1993 : 319)

Un peu plus loin, on peut lire ses conclusions : « […] l’immersion aura permis de montrer qu’il ne suffit pas d’enseigner une matière dans une langue pour assurer la maitrise de cette langue. Il semble de plus en plus acquis que tout enseignement axé sur les contenus se doit de ne pas négliger la correction formelle. L’intégration de l’enseignement des matières à celui de la langue apparait comme une voie d’avenir prometteuse ». Citant Boiziau-Waverman (1991) que nous reprenons à notre tour, l’auteur dresse le constat suivant :

Une première génération d’évaluation de compétence des apprenants extrêmement enthousiaste a conforté et maintenu l’illusion de réussite presque parfaite, d’éducation bilingue idéale, soutenue par des théories linguistiques nouvelles telles que celle de l’« input comprehensible » de Krashen. Le tableau idyllique s’est peu à peu noirci au fur et à mesure que les praticiens de l’immersion faisaient part de leur expérience pratique, et qu’ils décrivaient le français des élèves comme une interlangue fossilisée bien éloignée de l’objectif visé d’un bilinguisme équilibré. (Germain, 1993 : 319)

Genesee (2013) dresse également un bilan mitigé que nous résumons ici. En ce qui concerne les compétences disciplinaires pour les élèves en immersion en L2, les études recensées par le chercheur indiquent que le niveau de compétences est équivalent à celui des élèves testés en L1. Les compétences langagières en L2 des élèves en immersion sont en revanche supérieures à celles d’élèves en LV2, mais inférieures à celles dites des « natifs ». Par ailleurs, si les élèves en immersion sont particulièrement compétents en communication académique et en compréhension, ils laissent apparaitre des faiblesses dans la maitrise de certains aspects de la langue cible (en particulier concentrés sur la dimension morphosyntaxique : maitrise des temps verbaux, pronoms, prépositions, etc.). Ainsi, le temps d’exposition à une langue L2 fonctionnelle, circonscrite à certains registres, ne suffit pas à assurer des compétences linguistiques étendues. Les programmes immersifs ont donc été mis en place à partir du postulat que seul un temps d’exposition maximal (nombreux inputs) et un âge précoce permettaient

d’atteindre une réelle efficacité communicative et académique en L2. Une approche pédagogique plus équilibrée entre langue et contenu étaient donc recherchée.

Or il apparait que la méthodologie de l’immersion engendre non pas un contact mais un conflit de langue (Boyer, 1997 : 14), puisqu’il s’agit d’utiliser « une langue à la place de l’autre ». Afin de tenter de dépasser cette opposition, la didactique intégrée va suggérer l’emploi d’« une langue avec l’autre ».

2.4.2.2 Approches intégrées

Lorsque la L2 se trouve être simultanément langue en cours d’acquisition/apprentissage et langue d’enseignement, tout un ensemble de questions se pose. La première pourrait être la suivante : comment une langue, elle-même objet d’étude, peut-elle être mobilisée dans le but de transmettre du contenu ?

Nous verrons que l’enseignement de la DdNL se situe à la croisée d’un double enjeu didactique : contenu/forme et L1/L2. Ainsi, la notion d’intégration se développe à deux titres, à la fois comme intégration entre contenu et forme et comme intégration entre L1 et L2 (voire L3, etc.). Nous constaterons au fur et à mesure de la réflexion qu’il s’agit de pratiques précises. En effet, l’intégration propose d’aller au-delà d’une approche « naturelle » (apprentissage implicite) de l’apprentissage de la langue en DdNL.