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Le contact des langues peut d’abord être analysé en termes cognitifs, l’organe, le cerveau, étant l’espace du contact. C’est principalement le contact entre deux langues qui a été étudié. En guise de préambule, et sans viser à l’exhaustivité, nous sélectionnons ici quelques points d’appui théoriques incontournables.

2.1.1 Bilinguisme qualitatif versus le bilinguisme quantitatif

Selon Siguan et Mackey (1986 : 11), qui se réfèrent ici à la définition de Macnamara47(1967), un individu dit bilingue a « la maitrise complète, simultanée et alternative de deux langues, jusqu’à n’importe quel degré de connaissance d’une seconde langue s’ajoutant à la maitrise spontanée qu’[il] possède de sa première langue ». Tandis que Siguan et Mackey ont une vision qualitative du bilinguisme, qui n’apparait qu’à travers la maitrise de la L2, (« native like control », Bloomfield, 1933), Macnamara a une vision quantitative du bilinguisme, qui apparait quand la L2 intègre le répertoire langagier d’un individu indépendamment de son niveau de maitrise. Cette approche est reprise par Grosjean et Py :

Depuis quelques années, la didactique considère volontiers l’apprenant d’une langue seconde comme un bilingue en devenir […] Est bilingue toute personne qui utilise régulièrement deux langues (Grosjean, 1982), quel que soit l’éventail des activités langagières qu’elle est capable de réaliser en L1 ou en L2 respectivement, et quelles que soient la richesse et la conformité normative des moyens dont elle dispose dans chacune des langues. (Grosjean et Py, 2002 : 20)

47 « I will use the term bilingual of persons who posses at least one of the language skills even to a minimal degree in their second language », cité par Steffen (2013 : 59).

2.1.2 Bilinguisme composé et le bilinguisme coordonné.

La distinction apportée par Osgood et Weinreich, reprise par Siguan M. et Mackey (1986) et Lüdi et Py (2013 : 79) complète l’approche précédente. Le bilinguisme composé serait l’état de tout individu qui apprend une langue seconde : deux signifiants (en L1 et en L2) pour un signifié. Le bilinguisme coordonné serait quant à lui, un bilinguisme équilibré, c’est-à-dire le bilingue « idéal », caractérisé par une expérience et une appréhension particulière du réel en fonction de la langue. L’individu bilingue coordonné possède une représentation spécifique pour le mot « maison » (exemple donné par Lüdi et Py) dans la mesure où il a construit deux signifiants et deux signifiés distincts en L1 et en L2, opérant par là une séparation des systèmes sémantiques.

Dans le cas où le niveau de compétences en L2 est plus faible qu’en L1, la notion de système subordonné a été introduite, dans lequel la L2 passe par le prisme de la L1 (El Euch, 2010). Hamers et Blanc (2000) proposent de dépasser la dichotomie en situant les deux langues sur un continuum composé-coordonné.

2.1.3 Bilinguisme additif versus le bilinguisme soustractif

Une autre distinction a été opérée par Lambert (1975). Il s’agit du bilinguisme additif ou soustractif dont les effets se situent également sur le plan cognitif. Le bilinguisme additif offre un développement simultané de la L1 et de la L2 par l’apprenant, produisant ainsi des effets positifs sur son développement cognitif et langagier. Ce que Geiger-Jaillet définit ainsi :

La langue 2 vient s’adjoindre à une langue maternelle qui n’est ni réduite, ni méprisée mais va se trouver au contraire renforcée et valorisée par l’apport de la L2. (Geiger-Jaillet, 2005 : 31)

A l’inverse, le bilinguisme soustractif, comme son nom l’indique, minore la L1 de l’apprenant, produisant des difficultés globales de langage, d’après Lambert (1975) :

We might refer to these as examples of an additive form of bilingualism and contrast it with a more subtractive form experienced by many ethnic minority groups who because of national educational policies and social pressures of various sorts are forced to put aside their ethnic language for a national language48. (Lambert, 1975 : 25)

48 Nous pouvons nous y référer comme exemple d’une forme additive de bilinguisme et l’opposer à une forme plus soustractive, dont de nombreux groupes ethniques minoritaires font l’expérience, quand à cause de politiques éducatives nationales et de la pressions sociales de différents types, ils sont forcés de mettre de côté leur langue ethnique au profit d’une langue nationale.

2.1.4 Type de bilinguisme des écoles de congrégations francophones égyptiennes

Appliquer la catégorisation précédente à la majorité des locuteurs des écoles confessionnelles francophones égyptiennes de notre étude (enseignants, apprenants, encadrants, personnels) pose quelques interrogations.

En effet, le paysage linguistique de ces établissements n’est pas bilingue mais bien plurilingue et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, les élèves y sont confrontés à une forme bien souvent nouvelle de l’arabe, l’arabe dit « standard moderne », dans une version scolaire qui, sur de nombreux points, diffère de l’arabe égyptien dit « dialectal ». La langue arabe recèle ainsi, plusieurs variétés : arabe dit « dialectal » employé à l’oral, arabe dit « standard moderne » pour l’écrit, arabe classique pour l’apprentissage de la langue et de la littérature. Nous reviendrons plus en détail sur cette question. Par ailleurs, en termes de dispositif éducatif, certains contenus sont appris en L1 tandis que d’autres sont appris en L2 (c’est-à-dire en français). Ainsi, les élèves auraient affaire théoriquement à un seul signifiant et un seul signifié que ce soit en L2 dans le cadre des mathématiques et des sciences, en L1 (variété dite « standard moderne ») pour les disciplines dispensées en L1 (histoire, géographie, etc.) et en L1 encore, dans sa variété dite « dialectale » pour d’autres domaines. Nous reviendrons sur cet aspect avec la question des registres. Une telle répartition fonctionnelle (par discipline et par variété) semble plaider pour une catégorisation vers un plurilinguisme coordonné mais localisé (selon certaines disciplines). Cependant, il peut également être qualifié de « composé » pour certaines situations de communication courante : lors des cours de L2 où sont appris les mêmes actes de parole qu’en L1. Hamers et Blanc (2000, cité par El Euch, 2010) proposent ainsi de dépasser ces catégories tandis qu’El Euch suggère de qualifier « l’organisation cognitive chez un individu plurilingue d’organisation hybride » :

Les différentes études en neurolinguistique et en psycholinguistique sur lesquelles nous nous sommes basée sont loin de démontrer une franche dichotomie composé-coordonné. Le fait que l’organisation cognitive chez un individu plurilingue peut être plus ou moins composée ou coordonnée, dépendamment du concept, de son contexte d’acquisition, de sa charge affective, de l’âge d’acquisition, du contexte d’utilisation de la langue (monolingue, bilingue ou multilingue), de la fréquence d’utilisation de la langue, de la tâche entreprise et du niveau de compétence langagière nous a amenée à qualifier l’organisation cognitive chez un individu plurilingue d’organisation hybride car elle est composée de deux ou de

plusieurs éléments de nature différente, à savoir la composition et la coordination en passant par l’étape transitoire de la subordination. Dans cette organisation, les différents systèmes linguistiques

(L1, L2, L3, Lx) d’un plurilingue seraient représentés séparément (composition) – d’où un fonctionnement indépendant dans chaque langue – tout en étant inter-reliés à différents degrés (subordination ou coordination) en fonction de divers éléments contextuels (maison, école, communauté) ou conceptuels (nature des mots). Cette hybridité va dans le sens du continuum composé-coordonné

suggéré par Hamers et Blanc (2000) en ce sens que l’on puisse passer d’un élément à un autre de façon continue. Par ailleurs, alors que le continuum rend très bien compte des variations que cette organisation

pourrait subir en fonction de l’espace-temps, l’hybridité témoigne de la complexité de l’organisation cognitive. (El Euch, 2010 : 47)

Concernant l’emploi de l’arabe et du français, notons qu’aucune dimension affective de valorisation/dévalorisation, souvent inhérente pourtant à la situation dite de diglossie (forte/faible, nous reviendrons sur cette notion), n’est en jeu dans les établissements de notre terrain d’études. En revanche, elle existe entre les variétés d’arabe, la variété dialectale étant souvent dépréciée. D’un point de vue cognitif, nous pouvons donc mobiliser la catégorie « plurilinguisme additif » afin de qualifier le type de contact de langues de notre terrain. Si l’approche cognitive du bi-plurilinguisme a été très partiellement présentée à travers ces quelques notions, c’est l’approche sociolinguistique qui est privilégiée dans notre étude. Celle-ci favorise de fait, le passage du bilinguisme au plurilinguisme en proposant des outils théoriques utiles à la classe afin d’optimiser les contacts de langues.