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Un second axe d’intégration est celui des langues. On le sait, la notion d’intégration en didactique des langues n’est pas nouvelle. Comme le rapporte Germain (1993), l’approche intégrée telle que proposée par Nemni dès 1976, vise à développer l’apprentissage de la dimension communicative et du code linguistique, en d’autres termes la forme et le sens. De même, en didactique des langues, la notion de bifocalisation mettait déjà en exergue cette double dimension propre à toute interaction dès lors qu’elle était qualifiée d’exolingue. C’est Bange qui propose la notion de bifocalisation désignant l’attention portée tout à la fois sur la forme et le contenu, dans le cadre d’un échange exolingue :

Dans la communication exolingue, la vigilance nécessaire s’exerce par le fait que le contrôle est plus prompt à se focaliser. On peut considérer que la communication exolingue a lieu dans les conditions d’une bifocalisation : focalisation centrale de l’attention sur l’objet thématique de la communication ; focalisation périphérique sur l’éventuelle apparition de problèmes dans la réalisation de la coordination des activités de communication. (Bange, 1992 : 3)

Effectivement, ce principe de focalisation (qui n’est pas sans rappeler le dual focus du CLIL) parait utile pour penser les interactions en classe de DdNL. Ceci nous amène à poser comme évidence le fait que l’enseignement d’une DdNL à l’instar de toute communication exolingue, porte de manière intrinsèque un enseignement de la langue comme objet. L’enseignant de DdNL est aussi un enseignant de langue, car il modifie l’interlangue des apprenants à l’instar d’un enseignant de L2, en s’appuyant parfois sur la L1 :

Si la L2 reste ici la langue d’enseignement, elle est considérée comme une véritable L2, qui posera un certain nombre de problèmes aux étudiants ; ces problèmes pourront être anticipés ou traités à mesure qu’ils apparaissent ; l’enseignant aménagera son discours, procédera à des reformulations, voire même à des changements de langue ou à des traductions ; il est donc possible que la L1 intervienne, ponctuellement, pour assurer des formes de dépannage, la L2 demeurant la langue de communication dominante. (Coste, 2013 : 103)

Ainsi le mode bilingue, à travers des pratiques d’alternance codique, offre un traitement explicite de la langue, c’est-à-dire une didactisation, qui est perçue comme une opportunité de conceptualisation du contenu :

Les cours appliquant un mode bilingue d’enseignement/apprentissage correspondent à une situation exolingue-bilingue, et, par conséquent, en plus des procédés exolingues, ils exploitent les possibilités didactiques (et non seulement les nécessités communicatives) qu’offre cette situation exolingue, tout

comme la coprésence des deux langues et de leur tradition et culture d’enseignement respectives dans

un but d’apprentissage des savoirs disciplinaires. […] il s’agit principalement du travail explicite des discours et des savoirs linguistiques spécifiques mobilisés par les DNL, de la confrontation de ces savoirs, et de l’élaboration conceptuelle dans les deux langues, qui rendent disponibles un plus grand nombre d’outils de communication et d’apprentissage, permettant d’appréhender les savoirs disciplinaires de manière diversifiée et nuancée. En outre, dans un mode bilingue, l’opacité inhérente

à la langue est souvent prise en compte, et le travail de « désopacification » en vue de la clarification conceptuelle joue alors un rôle décisif. (Steffen, 2013 : 158)

Définition de la didactique intégrée des langues

Dans une perspective plurilingue, la notion d’intégration est également plébiscitée en vue d’articuler les langues enseignées en milieu scolaire. Dès 1980, Roulet plaide pour un apprentissage intégré des langues au niveau curriculaire. Le Cadre de Référence pour les Approches Plurielles des Langues et des Cultures (désormais CARAP) inclut la didactique intégrée des langues dans l’une des quatre approches plurielles, aux côtés de l’éveil aux langues, de l’intercompréhension entre les langues et de l’approche interculturelle. Il en donne la définition suivante :

La didactique intégrée des langues, qui est vraisemblablement la plus connue des trois [approches plurielles], vise à aider l’apprenant à établir des liens entre un nombre limité de langues, celles dont on vise l’apprentissage dans un cursus scolaire (qu’il vise de façon « classique » les mêmes compétences pour toutes les langues enseignées ou qu’il prévoie des « compétences partielles » pour certaines d’entre elles). Le but est alors de prendre appui sur la langue première (ou la langue de l’école) pour faciliter l’accès à une première langue étrangère, puis sur ces deux langues pour faciliter l’accès à une seconde langue étrangère (les appuis pouvant aussi se manifester en retour). (CARAP, 2007 : 3)

Wokush (2008) affirme que la didactique intégrée des langues est une réponse, sous forme d’économie didactique, au défi que représente l’enseignement des langues à l’école. Elle rappelle d’abord à juste titre que l’injonction d’accorder un plus grand nombre d’heures à l’enseignement des langues à l’école se heurte à la réalité logistique du volume horaire. Elle identifie aussi enfin six principes de la didactique intégrée des langues :

- « Curriculum diversifié et coordonné (cohérence verticale) » manifestant une réflexion sur la diversification des compétences en fonction des langues ;

- « Développement de compétences fonctionnelles efficaces dans chaque langue enseignée » par la mise en place d’une approche par les tâches et de cours de DdNL ; - « Cohérence et continuité des démarches proposées aux élèves », compatibles avec

toutes les langues, telles que la terminologie, l’évaluation, l’approche (inductive/actionnelle, etc.)

- « Eveil au langage et ouverture aux langues (EOLE) ; diversité linguistique et culturelle ; questions d’identité culturelle », via une posture d’observation et de comparaison des langues ;

- « Exploitation du potentiel de transfert des savoir-faire langagiers généraux et des processus de haut niveau », impliquant une approche comparatiste des langues en s’attachant aux idiomatismes et en s’appuyant sur les compétences déjà acquises en L1 ; - « Développement de stratégies de communication et d’apprentissage efficaces chez les élèves », avec l’usage de documents authentiques et le recours à l’intercompréhension. Rappelant ainsi que l’intégration est avant une réponse à des prescriptions de politique éducative, Di Meglio constate et s’interroge :

Dépasser une vision cloisonnée des langues pour aller vers un enseignement intégré semble la seule voie aujourd’hui. En effet, comment organiser et planifier son enseignement face à ces nouvelles demandes ou injonctions vers l’école ? Comment ne pas utiliser le caractère instrumental et transversal des langues dans l’enseignement afin d’éviter un effet cumulatif problématique ? (Di Meglio, 2014 : 1)

Le système scolaire suisse a largement adopté ce fonctionnement (comme l’illustre le dossier, Didactique intégrée et plurilinguisme, de la revue suisse Babylonia, 2009) alors qu’il reste plus discret en France et est totalement ignorée en Égypte. Miled (2007) en Tunisie mobilise également la notion de didactique intégrée en utilisant l’expression « didactique convergente/intégrée » qui se fonde sur une approche comparatiste de la L1 et de la L2 et sur une convergence de leur didactique respective. Elle rappelle en cela la définition première que Roulet propose de l’intégration. Toutefois, de l’avis de certains chercheurs, le périmètre de l’intégration reste finalement assez flou (De Pietro : 2009).

Ainsi, c’est dans le domaine de l’acquisition des langues, et plus spécifiquement dans une perspective plurilingue, que la notion d’intégration s’amplifie de manière conséquente, au point de rendre caduque le terme « bilingue ». Tandis que le plurilinguisme se tourne vers une vision holistique et intégrée des langues, le bilinguisme reste en effet ancré dans une vision

« monolingue », favorisant essentiellement deux monolinguismes « juxtaposés ». L’idée principale du plurilinguisme est de mettre en exergue une certaine capacité de transposition, de transversalité, d’approche métalangagière des locuteurs et ce, entre les différentes langues de leur répertoire et quel que soit leur degrés de maitrise (Blanchet, 2004). Cette conception de l’intégration plurilingue s’inspire notamment de la sociolinguistique qui étudie les pratiques langagières des populations plurilingues (Coste, 2000).

La première définition de la didactique intégrée prônait l’articulation des langues dans les curricula. Puis, la dimension « langue et contenu » vient compléter cette définition. Nous pouvons désormais parler d’intégration des langue(s) au pluriel et du contenu disciplinaire.