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3. Contexte des écoles de congrégations francophones

3.1 Contexte éducatif en Égypte

3.1.1 Éducation en Égypte

Un système éducatif massif

Le système éducatif concerne une proportion importante de la population égyptienne. Sur les 90 millions d’individus que compte la population égyptienne, un tiers a moins de 18 ans (les 4-22 ans sont 32,2 millions d’après les données actuelles de l’UNESCO) et 67 % a moins de trente ans (données de Campus France, 2017). 30 millions d’élèves sont scolarisés en Égypte dont 3 millions dans le système privé qui totalise 2000 écoles privées. L’article 20 de la Constitution de 2014 définit le rôle de l’État et stipule :

L'État s'engage à allouer une part des dépenses publiques à l'éducation équivalant à 4 % au moins du PNB, à augmenter progressivement pour être compatible avec les standards internationaux. L'État supervise toutes les écoles et instituts publics et privés, pour s'assurer du respect des politiques éducatives.

Les chiffres donnés par Mustafa Al Baradi’i confirment la massification de la scolarisation pour la période 1952-1989 :

[…] Le nombre d'élèves du cycle primaire est ainsi passé d'1 million en 1952 à environ 7 millions en 1989, soit un taux de croissance annuel moyen de 5,1 %. Dans le cycle secondaire, le nombre d'élèves, qui était de 154 000 en 1952, a atteint 3,8 millions en 1989, ce qui représente un taux de croissance moyen

annuel de 9,1 %. Il est de 7,1 % dans le cycle supérieur, qui est passé de 37 000 à 500 000 étudiants environ au cours de la même période. (Mustafa Al-Baradi'i, 1993 : 1)

Les effectifs scolaires ont plus que doublé : 14 millions d’élèves en 1996 et 30 millions en 2015. Cette hausse représente un important défi pour un pays que le PNUD (2018) situe parmi les pays à développement humain moyen (indice 0, 696, 113ème rang sur 172).

D’importants progrès malgré un cycle secondaire toujours en retrait

Selon Herrera, le taux de scolarisation des enfants en âge de fréquenter l’école primaire est toutefois passé de 66 % en 1960 à 100 % en 2005. Celui des jeunes en âge de fréquenter l’enseignement secondaire est passé de 16 % en 1960 à 85, 5 % en 2005 (Herrera, 2011 : 687) et stagne à 86 % en 2018 (chiffes PNUD : 2018). 64,5 % de la population de plus de 25 ans a commencé un enseignement secondaire (chiffres PNUD : 2018).

En 2013, pour le cycle primaire, la banque mondiale indique un pourcentage de 106 % comme taux d’inscription19 et 103 % comme taux d’achèvement. En revanche concernant le cycle secondaire, des variations du taux d’inscription ont été relevées. En 2000, on relevait 80 %, en 2009, 68,8 % et en 2013, 86 %. Depuis 10 ans, le taux est quasi-inchangé, alors que celui des inscriptions au cycle primaire augmente. La poursuite de l’enseignement supérieur ne concerne que 30 % de la population en âge d’y aller.

Le taux actuel d’alphabétisation des adultes (15 ans et plus) est de 76 % (Campus France, 2017), il était de 38 % en 1975, ce qui indique également une amélioration du niveau de vie des Egyptiens :

Etant donné le coût de l’éducation, cette évolution témoigne avant tout d’un mieux-être chez une grande partie de la population, ainsi qu’en attestent d’autres indicateurs (tels celui sur la consommation des ménages) : si les enfants vont à l’école, c’est qu’ils n’ont plus besoin de travailler pour aider leurs parents. « l’Infitâh a créé une vaste classe moyenne », vous explique-t-on parfois, en dépit de tous les préjugés que l’on peut avoir sur les conséquences du libéralisme économique. (Khouri-Dagher, 1996 : 53)

Dès la période postcoloniale, sous le mandat de Nasser (1952-1970), l’éducation a été perçue comme « un outil de construction d’un espace à la fois économique et idéologique », en plein essor du leadership égyptien sur le terrain des non-alignés et des ambitions panarabes. Herrera (2011) souligne que l’Égypte a été un fer de lance pour l’éducation en Afrique et dans les pays arabes. La guerre contre Israël de 1967 a néanmoins mis un coup d’arrêt à l’union arabe. Sadate

19 Données de la Banque mondiale pour l’Éducation en Égypte. Taux brut de scolarisation (primaire) : total correspond à la scolarisation totale du primaire, quel que soit l'âge et exprimé en pourcentage de la population totale de la tranche d'âge d'enseignement du primaire. Le GER peut dépasser 100 % en raison d'inclusions d'étudiants sur-âgés ou sous-âgés à la suite d'une scolarisation précoce ou tardive, et de redoublements.

(1970-1981) a fait des choix radicalement opposés, avec sa politique d’ouverture économique et son rapprochement avec les positions américaines. Moubarak (1981-2011) a poursuivi sa politique économique libérale. L’Égypte souscrit aux différentes chartes, conventions, déclarations et conférences internationales sur l’éducation20. Les bailleurs internationaux très présents en Égypte ainsi que les chercheurs s’accordent à dire que l’Égypte a accompli des exploits en termes d’éducation, surtout au niveau du cycle primaire.

Scolarisation des filles

En 1975, on relève un taux d’alphabétisation de 53, 6 % pour les hommes et de 22, 4 % pour les femmes, En 2015, il atteint 83,2 % pour les hommes et de 67,3 % pour les femmes. En 2012, le taux d’alphabétisation des 15-24 ans, est de 92,4 % pour les hommes et celui des femmes est de 86,1 % (UNICEF21, 2012). A noter que les écoles sont mixtes jusqu’à la fin du primaire dans les écoles du gouvernement. Ainsi, dans ce contexte de scolarisation inégalitaire entre hommes et femmes, les écoles de congrégations francophones apparaissent comme des structures favorisant la scolarisation des filles, puisque leur clientèle a toujours été plutôt féminine.

La question insoluble de la massification et de la qualité

Fer de lance de la révolution nassérienne, le système éducatif égyptien a été victime en premier lieu de sa démographie (la population est passée de 26 millions au milieu du XXème siècle à 66 millions en 1996) (Khouri-Dager, 1996) et de nouvelles priorités suite à la guerre contre Israël. Herrera (2011) conclut : « ces données statistiques livrent une histoire de l’expansion impressionnante et de la croissance quantitative du système éducatif. Il est cependant beaucoup plus problématique d’évaluer l’évolution de la qualité de l’éducation ». En effet, le manque d’investissement de l’État dans le système public a pour conséquence des classes surchargées (entre 44 et 80 élèves par classe), des établissements parfois insalubres, des enseignants peu formés et sous-payés (Khouri-Dagher, 1996).

Par ailleurs, les diplômes ne protègent pas du chômage des jeunes et n’enrayent pas la faible participation des femmes à la vie politique et économique. Seules 22,2 % des femmes de 15 ans et plus sont en activité (travaillent ou recherchent activement un emploi) pour 73,7 % des hommes (PNUD, 2018). De plus, 83,3 % des chômeurs ont moins de 30 ans ;le marché de l’emploi n’arrive plus à absorber les cohortes de jeunes diplômés. Notons enfin que le seuil de

20 Déclaration mondiale sur l’éducation, Jomtien, 1990, Déclaration du Millénaire, 2000, etc.

pauvreté est franchi pour 23 % de la population (PNUD, 2018). Ainsi, être jeune, femme et diplômé(e) ne favorisent pas l’accès à l’emploi (Amer, 2011). Herrera conclut que le système éducatif égyptien public connait actuellement une crise, dont bénéficient le secteur privé et ainsi les écoles de congrégations francophones :

Les réformes de l’éducation durant le dernier quart du XXème siècle se sont embourbées dans des conceptions contradictoires des réformes économiques et sociales, et se sont enferrées dans des paradoxes en apparence insolubles où conduit la volonté de promouvoir simultanément la démocratie, l’équité, le libre marché et la sécurité. Les luttes politiques, les orientations incohérentes et les énormes défis que pose sa mise en œuvre ont grevé le projet d’une globalisation de l’éducation en Égypte. Lorsque les enfants et leurs parents contournent l’école pour recourir aux services privés d’enseignement, lorsque les activités délictuelles des professionnels de l’enseignement entachent leur réputation, lorsque la réforme des programmes entreprise en vue de faire des enfants égyptiens de futurs citoyens du monde suscite un tollé général et alimente les théories du complots, lorsque des politiques éducatives sont mises en œuvre pour servir des objectifs de sécurité nationale et de guerre contre le terrorisme sans prise en considération de ce que cela coûte à la démocratie, on ne peut s’empêcher de conclure que l’appareil d’éducation et son corps enseignants sont en crise. (Herrera, 2011 : 710)

Système éducatif à double vitesse

Le système éducatif égyptien est à double vitesse : l’un en arabe, public (à l’exception du réseau d’écoles Al Azhar) et l’autre privé, très hétérogène, établi notamment sur l’enseignement en langues étrangères. Ce dernier représente 2 000 établissements et 3 millions d’élèves répartis dans différents types de structure, à obédience religieuse ou non :

- les écoles islamiques d’Al Azhar, placées sous l’administration du département des Instituts Azhariens de l’Université Al Azhar, ouvertes uniquement aux enfants musulmans,

- les écoles confessionnelles chrétiennes, mixtes d’un point de vue religieux, les écoles privées dites d’investissement,

- les écoles internationales (à programmes étrangers),

- les écoles privées non confessionnelles en langue arabe et/ou en langue étrangère. Le secteur public premier permet de couvrir les besoins de l’administration égyptienne et le secteur, ceux de l’économie libérale égyptienne (Haeri, 1997). En effet, l’un des employeurs principaux en Égypte est l’État qui exige une maitrise de « modérée » à « avancée » de l’arabe dit « standard moderne » (Bassiouney, 2009 : 243).

Réseau Al Azhar

Notons que les écoles du réseau privé Al Azhar provient des madrassa coraniques. 4 000 écoles réparties dans tout le pays scolarisent 1 million d’élèves. Les frais d’inscription sont peu élevés et les programmes officiels du ministère de l’Éduction sont enseignés, associés à un

enseignement religieux soutenu. L’équivalent du baccalauréat délivré par le réseau Al Azhar permet d’accéder à l’université Al Azhar. Ces écoles répondent à une recherche de « réislamisation » d’une partie de la société égyptienne, notamment celle employée dans le secteur public qui n’a pu bénéficier de l’infitâh (Khouri-Dagher, 1996). Par ailleurs, la Constitution égyptienne attribue à Al Azhar un rôle particulier : l’organisme Al Azhar est notamment responsable de la diffusion de la langue arabe en Égypte :

Article 7 : Al-Azhar est un organisme islamique scientifique indépendant. Il lui revient exclusivement de gérer ses propres affaires; il constitue la référence principale pour ce qui concerne les sciences religieuses et les affaires islamiques ; il est en charge de la prédication, de la diffusion des sciences religieuses et de la langue arabe en Égypte et dans le monde. L'État assure les crédits permettant à Al-Azhar de réaliser ses objectifs. Le Cheikh d'Al-Azhar est indépendant et inamovible, la loi régit sa sélection parmi les membres du Comité des grands uléma d'Al-Azhar.

Système privé et dévalorisation de l’arabe

Les langues représentent en Égypte une plus-value sur un marché du travail saturé. Les écoles privées, internationales et confessionnelles possèdent une capacité de distinction, grâce aux langues qu’elles enseignent, qui favorise l’accès à l’emploi pour leurs élèves, ce que constate Doss (2011) dans son analyse ci-dessous :

Si la tendance majeure sur la scène linguistique est l’usage du dialectal ou d’une variété mixte, la seconde évolution est la diffusion de langues étrangères en Égypte. Plusieurs facteurs contribuent à définir la relation entre l’arabe et les langues étrangères : les politiques linguistiques demeurent le principal d’entre eux, accordant aux langues étrangères une présence élargie et une valeur accrue sur le marché linguistique du Caire à travers l’enseignement et les loisirs. Le pouvoir croissant des langues étrangères relativement à l’arabe a été analysé par Haeri (1977) qui démontra qu’elles rivalisaient avec la langue officielle en termes de légitimité. Le capital symbolique le plus élevé n’est pas détenu

par l’arabe, qui ne représenteraient pas ou plus la langue de la classe dominante, mais par les langues étrangères, prédominantes dans l’enseignement et sur le marché du travail. (Doss, 2011 : 991)

En effet, la privatisation du système scolaire signifie que l’arabe dit « standard moderne » n’est plus un élément requis afin d’être recruté, faisant ainsi reculer sa valeur (dévalorisation pour l’accès à l’emploi) au bénéfice de l’anglais. Cette situation met en concurrence non seulement les établissements scolaires, publics et privés, mais aussi les langues : « Hence, some state institutions reproduce values for the official language, while others pursue goals and policies that marginalize the currency of that language22 » (Haeri, 1997 : 796). L’équation entre langue officielle et classe dominante ne se pose pas en Égypte : « Members of the upper classes are not the ones who know the official language particularly well 23» (Haeri, 1997 : 799). Il est vrai qu’une classe sociale élevée égyptienne affiche des compétences en langues étrangères, dont

22 « Ainsi, certaines institutions étatiques reproduisent des valeurs pour la langue officielle alors que d’autres poursuivent des objectifs et mettent en place des politiques qui marginalisent et dévalorisent cette langue. »

23 « Les membres de la classe supérieure ne sont pas ceux qui connaissent particulièrement bien la langue officielle. »

« l’usage surpasse parfois celui de l’arabe standard moderne », ainsi « la variété dialectale et les langues étrangères sont clairement devenues dominantes dans le monde de l’entreprise et des affaires » (Doss, 2011 : 985-986).

En caricaturant, le système scolaire égyptien semble être polarisé entre le système scolaire public destiné aux besoins de recrutement de la fonction publique et le système scolaire privé destiné aux besoins du secteur économique. L’école est ainsi déterminante, voire discriminante via les langues, en ce qui concerne le futur cursus universitaire puis la carrière professionnelle. Les élèves entrent effectivement dans les écoles au niveau de la maternelle ou du primaire où ils effectuent l’intégralité de leur scolarité. Il existe peu de transfuge d’un système à un autre (privé/public).

3.1.2 Écoles gouvernementales francophones, écoles expérimentales, réseau Al