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Deuxième partie : Morphogenèse et impact de 150 ans d’aménagements sur la morphologie des lits du Rhône

4. Modifications topobathymétriques (3D) des milieux fluviaux sur le tronçon Beaucaire-diffluence depuis 150 ans

4.1. Les mutations altimétriques de la plaine d’inondation

4.1.2. Evolution de la plaine inondable entre 1870-76 et la fin du XX e siècle

4.1.2.1. La plaine de Vallabrègues

Entre les défilés d’Avignon/Villeneuve-lès-Avignon (PK 243) et de Beaucaire/Tarascon (PK 268), la plaine de Vallabrègues reçoit les apports de la Durance et du Gardon. L’étude de l’évolution de cet espace (50 106 m2) est importante, car il constitue depuis longtemps une zone volontairement consacrée à l’expansion des eaux de crues, en amont de la digue de la Montagnette (édifiée au XVe siècle pour protéger Tarascon d’une inondation par l’amont). Sa capacité de stockage en eau a-t-elle diminué au fil des crues ? La comparaison de données topographiques de l’Atlas des P&C en 1876 (un profil en travers de mesure tout les PK, composé de points espacés de 100 m) avec les mêmes points mesurés sur le terrain en 2007 apporte des précisions sur le sujet.

Le secteur de Vallabrègues est caractérisé par les apports latéraux grossiers, issus des confluences de la Durance et du Gardon, dans un système à faible pente (2.24 103), contraint à l’aval par le point dur du défilé de Beaucaire-Tarascon. Cette injection d’une charge abondante et grossière a favorisé le développement du tressage. Les cartes anciennes (Figure 64) montrent la présence de bras multiples mobile en 1627, 1774 et 1886, avec de nombreuses îles (11 en 1774, 5 en 1870). La confluence du Gard correspond à un secteur particulièrement mobile dans lequel le chenal se déplace et accompagne le glissement de l’affluent vers le sud, augmentant ainsi l’espace disponible pour le stockage des eaux de crues en rive gauche. L’apparition du tressage semble cependant tardive, accompagnant la détérioration climatique du Petit Age Glaciaire : en effet, la plaine porte les traces d’un parcours méandriforme, plus ancien, encore visible en 1627. Le méandre de Vallabrègues a d’ailleurs déterminé le rattachement du village éponyme au Gard (particularité administrative encore actuelle). Des divagations méandriformes, plus anciennes, sont encore visibles dans le paysage actuel et « calibrent » latéralement la plaine alluviale (Université Lumière Lyon 2 (LRGE ZABR) et al., 2007). Ces héritages superposés permettent de supposer que la nappe grossière, qui caractérise le tressage, n’était pas encore parvenue au défilé de Beaucaire avant le Petit Age Glaciaire. Il sera important de déterminer quelle est la limite aval qu’elle a atteint au cours des

Figure 64 : Cartographie du Rhône dans la plaine de Vallabrègue depuis le XVIIe siècle (Valleteau de Mouillac,

2007)

L’importance du risque d’inondation explique sans doute que l’occupation du sol n’aît pas évolué depuis le milieu du XIXe siècle. L’agriculture domine toujours, mais le type de culture a changé depuis les années 1870, ce qui peut engendrer des modifications importantes dans les taux de sédimentation en cas de crue. La Figure 65 montre le passage d’une monoculture annuelle (71% de terres) vers une arboriculture fruitière (50% de vergers et 23% de vignes), qui peut perturber le bon écoulement des crues et favoriser le piégeage sédimentaire. S’y ajoute l’augmentation du nombre de route surélevées qui suivent le morcèlement du parcellaire agricole, facteur supplémentaire de perturbations dans l’écoulement des eaux de crues et donc de sédimentation.

Figure 65 : Evolution du type d’occupation du sol entre 1870 et 2007 0

20 40 60 80

Cultures annuelles Verger Vigne Route

Po urc e nta ge  du  no mbre  de  mesure  (%) 1870 2007

La construction de digues de protection contre les inondations remonte au XIe siècle. Ce sont surtout des aménagements à l’échelle locale constitués de digues submersibles pour protéger les villages les plus proches du chenal (Vallabrègues, Comps, Mézoargues, Aramon; CNR, 1999b). La digue de la Montagnette protège la ville de Tarascon d’une inondation par l’amont depuis 1432 (Mejean, 2007). Cet ouvrage a subi plus de 13 brèches au cours de son histoire. Il est consolidé et rehaussé entre 1844 et 1883 de façon à devenir insubmersible. Mais l’aménagement le plus important date des années 1970 avec l’endiguement de l’ensemble du linéaire fluvial (PK 248-PK 265) pour la construction du barrage écluse de la CNR : il crée une Zone d’Expansion des Crues (ZEC) entre Avignon et Beaucaire, divisée en casiers inondables à partir de certains débits fixés par la mise en place des déversoirs. Ce statut est confirmé par le plan Rhône. L’inondation de la plaine de Vallabrègues se fait à partir de Q10 (Figure 66) par un déversoir situé à l’aval du barrage qui provoque une inondation lente de la plaine par l’aval et offre une superficie de stockage de 24.9 106 m2 (CNR et al., 1999). Avant l’aménagement, l’inondation de la plaine se faisait également par submersion aval, mais à partir de débits proche de Q2 (CNR, 1999b).

Figure 66 : Inondabilité de la plaine de Vallabrègues suite aux aménagements CNR des années 1970 (d'après, CNR et al., 1999)

A partir des chroniques des débits du Rhône à Beaucaire, il est donc possible de déterminer le nombre de submersion que la plaine de Vallabrègues a subi entre 1870 et 2007. La plaine est inondée par les crues supérieures à Q2 avant 1970, par les crues supérieures à Q10 après 1970. Le Tableau 13 recense les 28 épisodes de crue qui ont affecté la plaine : 21 avant l’aménagement CNR dont 12 pour une crue comprise entre Q2 et Q10, puis 7 après l’aménagent du déversoir en 1970.

Classification (supérieur à) Débit moyen m3 s-1 Nombre d’évènement Date Q2 5 000 12 1882, 1888, 1889, 1890, 1891, 1899, 1900, 1906, 1907 (2), 1910, 1914 Q10 8 400 10 1872, 1896, 1899, 1900, 1910, 1935, 1951, 1976, 1993, 1996 Q50 10 400 4 1886,1994, 2002 (2.) Q100 11 200 2 1856, 2003 !

Tableau 13: Episodes de crues susceptibles d'avoir affecté la zone d'étude.

En 2007, huit profils topographiques sont acquis au GPS sur les anciens relevés de l’Atlas des P&C de 1876, pour un total de 133 points. La différence topographique entre 1870 et 2007 montre, sur la Figure 67, une accumulation moyenne de 0.18 m, qui n’est pas homogène : la plaine présente des secteurs en accumulation et en érosion.

Figure 67 : Evolution topographique générale de la plaine de Vallabrègues entre 1870 et 2007 La superposition des profils montre une répartition géographique qui régularise la topographie initiale : le chenal du paléoméandre est pratiquement colmaté, ainsi que les dépressions secondaires sur la marge orientale, alors que les anciennes levées de berges sont arasées. Cette dernière évolution est certainement à relier aux pratiques agricoles (Figure 68)

Figure 68 : Profil topographique type de l'évolution de la plaine au PK 259 (Valleteau de Mouillac, 2007) 0 10 20 30 40 ‐2  à  ‐ 1. 5 ‐1. 5  à  ‐ 1 ‐1  à  ‐ 0. 5 ‐0. 5  à  ‐ 0. 1 ‐0. 1  à  ‐ 0. 02 ‐0. 02  à  0. 02 0. 02  à  0. 1 0. 01  à  0. 5 0. 5  à  1 1  à  1. 5 1. 5  à  2 2 Nomb re  de  mesure Evolution topographique (en m) Erosion Stable Dépôt 10.80 11.00 11.20 11.40 11.60 11.80 12.00 12.20 0 100 200 300 400 500 600 700 Altitude   (en  m) Distance  (en m) 1870 2007 Agriculture

En croisant l’exhaussement moyen de la plaine (0.18 m) avec le nombre des crues débordantes depuis les années 1870, il apparaît qu’en moyenne chaque crue a déposé une couche inférieure au centimètre (6.4 10-3 m). Mais, rapportée aux 24.9 106 m2 de superficie totale de la ZEC, cette accumulation implique une perte de volume stockable de 3.7 106 m3. Depuis le milieu du XIXe siècle, la plaine de Vallabrègues aurait donc perdu 8% de sa capacité de stockage. Cette évolution conditionne les capacités de stockage pour l’écrêtage des crues.

Selon les modèles de la CNR (2002), le volume stockable dans la plaine pour une crue très forte est de 38 106 m3 ; pendant la crue de 2003, 24 106 m3 ont été stockés dans cette ZEC (CNR, 2005). Même si les volumes disponibles sont encore importants (la crue de 2003 n’a mobilisé que 63% du volume disponible), l’accrétion de la plaine reste un point à surveiller et des méthodes de drainage devraient être mises en place pour limiter la sursédimentation du système lors des crues débordantes.