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4. Chronologie et caractérisation des aménagements sur le Rhône aval

4.3. Les aménagements à courant libre

L’historique des aménagements à courant libre sur le Rhône moyen et aval est bien connu et documenté. Poinsart (1992) décrit les premières techniques de rectification du chenal utilisées dans la deuxième moitié du XIXe siècle sous la direction des ingénieurs en chef du Service Spécial du Rhône (SSR). L’aménageur le plus important de cette époque est l’ingénieur en Chef Girardon qui met en place un système inédit de rectification du chenal dont le principe est détaillé dans les actes du Sixième Congrès International de la navigation intérieure à La Haye en 1894 (Girardon, 1894).

4.3.1. Les aménagements classiques pour la navigation

L’aménagement concerté du Rhône pour la navigation commence par la création du SSR en 1840. Avant la phase d’aménagement Girardon, deux grands projets de rectification du chenal sont mis en avant. A partir de 1855, les aménagements visent à concentrer les eaux dans un chenal unique en dehors des périodes de hautes eaux. Les bras secondaires sont fermés par des digues submersibles, qui, prolongées sur les berges sont hautes de 2.5 à 3 m au dessus de l’étiage et construites de façon à donner une sinuosité de grande amplitude au chenal (Figure 21). Elles induisent une augmentation de la hauteur d’eau dans le chenal principal et donc une amélioration de la navigabilité de ce dernier. Cette concentration de l’énergie du flux induit un approfondissement du chenal avec une érosion plus prononcée des hauts fonds. Des aménagements de ce type sont également mis en place sur d’autres grands fleuves à cette époque, notamment le Mississippi et le Rhin (De Bruin, 2006).

Figure 21 : Digue submersible du premier plan d'aménagement du chenal pour concentrer les eaux dans un chenal unique (modifié de Service Spécial du Rhône, 1876)

La fermeture des bras secondaires est complétée par la mise en place de seuils perpendiculaires à l’axe d’écoulement sur toute la largeur du chenal recoupé. Ces aménagements, s’ils sont en partie connus, ne figurent sur aucun plan, ni au XIXe ni au XXe siècle. Leur rôle est de ralentir le flux et de provoquer un colmatage du bras secondaire. Le fonctionnement de ces seuils a été étudié par SOGREAH (2000b). Il en ressort que, dans les lônes qui ont subi cet aménagement, l’exhaussement se fait à des vitesses différentes en

sédimentation est observé également à l’intérieur de la lône, avec un exhaussement massif à l’entrée amont par des dépôts principalement sableux, alors que le reste du bras n’est alimenté que par des dépôts limoneux, sauf au niveau des seuils où l’exhaussement redevient important avec, de nouveau, des dépôts de sable (Figure 22). Ces aménagements n’étant pas mentionnés sur les cartes en aval de Beaucaire, certains ont disparu dans le paysage et ne sont découverts qu’à l’occasion de travaux dans les lônes. La Photo 2 montre la mise à jour d’un de ces seuils, dont le gestionnaire n’avait pas connaissance, dans la lône du Pillet au cours de travaux de déboisements réalisés par la CNR en 2007 (communication orale CNR). On observe un dépôt de plus de 2 m de sables en amont et sur l’ouvrage.

Figure 22 : Exemple d'aménagement de déconnexion de bras secondaire et impact sur l'exhaussement du système (modifié de SOGREAH, 2000b)

Photo 2 : Mise à jours d'un seuil enseveli sous les sédiments dans la lône du Pillet en 2007, pendant des travaux de restauration de la lône par la CNR (Photo Raccasi)

En 1875, l’ingénieur en chef Jacquet prend la tête du SSR et observe que ces endiguements provoquent un déplacement des hauts fonds. Certains de ceux-ci sont devenus plus importants du fait du développement de mouilles le long des digues. Pour contrer ces effets négatifs, un nouveau plan d’aménagement est mis en place en 1876. Jacquet prévoit des digues plus basses (1.5 à 2 m au dessus de l’étiage), submergées dés le débit moyen, placées dans le chenal pour obtenir une largeur moyenne de 200 m. Pour limiter les érosions en arrière des ouvrages, des tenons les relient à la berge ou aux anciennes digues (Figure 23). A ces aménagements, s’ajoutent des épis noyés (plongeants) dans le chenal : ils favorisent la mise en place de chambres de dépôts sur les bords et entrainent l’exhaussement des mouilles. Ces

derniers aménagements sont, d’après Poinsart (1992), le résultat d’un voyage d’étude de Jacquet sur l’Elbe en 1880 où cette technique était employée par l’ingénieur en chef Kozlowski. L’étude de l’Atlas du Rhône (Service Spécial du Rhône, 1876), sur lequel ont été rajoutés les aménagements projetés pour les années 1878-1879-1880, montre que les épis plongeants font déjà partie du programme d’amélioration du chenal (Figure 23). Les clayonnages qui apparaissent sur les plans Branciard peuvent également être considérés comme des essais de sursédimentation provoquée dans le chenal.

Figure 23 : Projets de digues basses et d'épis plongeant du deuxième plan d'aménagement en amont de Beaucaire (Service Spécial du Rhône, 1876)

4.3.2. Le système Girardon

Les deux premières phases d’aménagement coûtent cher à l’Etat alors que les impacts sont limités sur la morphologie du chenal. C’est sur ce constat que l’ingénieur en chef Girardon prend la tête du SSR en 1884. Il décide de moderniser le système de digues reliées à la berge, par des tenons arasés au niveau de l’étiage, en augmentant le nombre de ces derniers dans l’objectif de former des casiers sur les bords du chenal. Leur but est de provoquer une sédimentation sur les bords par un ralentissement des flux latéraux et de les accélérer dans le chenal navigable pour favoriser l’érosion des seuils (Girardon, 1894). Mais c’est surtout la technique de mise en place de l’aménagement qui évolue. Sur chaque section à rectifier, Girardon préconise un relevé très précis du profil en long ainsi qu’une étude de la morphologie des berges pour identifier les zones potentielles de stockage des sédiments. En aval de Beaucaire, les aménagements sont réalisés entre 1911 et 1938. La première vague d’aménagement, entre 1911 et 1921, correspond à l’intégralité des casiers édifiés jusqu’à la mer, sauf le casier du passage de Soujean (en aval de l’Ile du Pillet, PK 276-277) construit en 1938. Les travaux sont arrêtés pendant la deuxième guerre mondiale et ne seront jamais repris au vu du coût financier de l’opération et de l’entretien des ouvrages. Les casiers sont entretenus jusque dans les années 1950 (Poinsart, 1992; Poinsart et Salvador, 1993), mais le manque de moyen et le fort prix de revient des entretiens provoquent un désintéressement des gestionnaires pendant la phase d’aménagement hydroélectrique du Rhône.

A l’heure actuelle il est possible de répartir les casiers en deux classes différentes en aval de Beaucaire (les aménagements sont cartographiés en Annexe 1) :

D’une part, les casiers proches de la berge (50 m en moyenne) avec des tenons faiblement espacés (entre 100 et 200 m). Ces aménagements sont quasiment tous intégrés dans le paysage des berges du fait des accumulations sédimentaires qu’ils entraînent (rive gauche PK 270, rive droite PK 276, et 278-279, Photo 3). Ce type d’ouvrage est présent sur une grande partie du linéaire rhodanien depuis Lyon avec la même intégration dans le paysage fluvial (Figure 24).

D’autre part, les casiers de plus grande taille comme le casier de Saxy (PK 276 à 279 en rive gauche). Ce système de grande amplitude, dont l’espacement entre les tenons est de plus de 200 m pour un éloignement de la berge de 250 m, est encore visible dans le paysage (Photo 4). Il génère l’édification d’îles stabilisées et végétalisées à partir de piégeages sédimentaires sur les ouvrages. Mais les casiers sont très diversement colmatés. Certains ont encore une profondeur de 10 mètres sous la crête des ouvrages (mesure réalisée au sondeur bathymétrique pendant un épisode de crue en octobre 2006) alors que d’autres sont en cours d’atterrissement.

Photo 3 : Le casier de Farragon, en amont de la diffluence (rive droite). La digue est quasiment intégrée à la berge par sédimentation dans le casier (petit casier, photo Raccasi)

Figure 24 : Exemple de casier Girardon type de petite taille en aval de Beaucaire sur une photographie aérienne de l'IGN (1962). La distance entre la digue et la berge ne dépasse pas 50 m

Photo 4 : Le casier de Saxy en amont de la diffluence (rive gauche). La distance entre la digue et la berge est de 200 m (grand casier, photo Raccasi)