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Deuxième partie : Morphogenèse et impact de 150 ans d’aménagements sur la morphologie des lits du Rhône

4. Modifications topobathymétriques (3D) des milieux fluviaux sur le tronçon Beaucaire-diffluence depuis 150 ans

4.2.1. Mutations précoces du chenal et de ses marges avant 1876

En 1876, le système fluvial a déjà subi des aménagements qui ont une influence sur la transformation des milieux. Les digues de protection contre les inondations sont homogénéisées et surélevées entre 1840 et 1860. Le premier programme de rectification du chenal, élaboré en 1854, débute par la fermeture systématique des bras secondaires (Poinsart, 1992). En 1870, ces derniers sont donc déconnectés du chenal à l’amont par des digues submersibles et en 1876, des travaux sont en cours pour compléter leur déconnexion à l’aval. Une partie de ces travaux consiste à édifier des digues longitudinales dans le chenal. Elles doivent créer des sinuosités de grande amplitude pour faciliter la navigation : une première tranche est construite dans le chenal entre Beaucaire et Tarascon (digue de Gernica), en amont du Pillet (digue de Saint-Denis), ainsi qu’en amont de la confluence. En 1876, quelques protections de berges ont été construites, à une date indéterminée, pour protéger certains points sensible de l’érosion : enrochement au PK 273 et à la diffluence du Petit Rhône, épis au PK 276.

La carte de 1876 indique que la végétation rivulaire est majoritairement constituée d’oseraie. Cette végétation basse et l’absence de bois dur sur la majeure partie du système témoignent de son instabilité et des variations fréquentes du cours du fleuve. Quelques bois durs (végétation arborée) sont présents en arrière des digues de rectification du chenal et sur les berges des îles du Pillet et de Matagot.

l’amont, le chenal présente un style tressé, à bancs mobiles de gravier ou de sable, des îlots avec une végétation basse et des bras secondaires fonctionnels. L’île du Pillet, de plus grande superficie, est habitée, ses berges sont stabilisées par une végétation de bois dur. Le tressage est bien développé, en particulier en sortie des bras secondaires du Mas des Tours et du Pillet. La bathymétrie est très irrégulière, avec une succession de seuils (-1.6 m pour le DCE) et de mouilles profondes (-10 m pour le DCE). A l’aval, le chenal est subrectiligne, sans îles ni bras secondaires, avec des bancs de sable sur les berges; la bathymétrie est plus régulière, variant entre -4 et -6m. Seul le secteur de la diffluence (PK 279) comporte des bancs de sable mobiles dans le chenal.

Figure 70 : Reconstitution numérique de la topographie du chenal et de la plaine intradigues

en 1876

Figure 71 : La carte de Cassini, entre Beaucaire et Arles (http://www.davidrumsey.com) Les impacts des premiers ouvrages construits dans le chenal (années 1860-70) sont déjà sensibles, traduisant une réponse immédiate du système (Figure 72). Un important atterrissement de graviers colmate l’arrière de la digue de Saint Denis et interrompt l’écoulement vers le bras du Pillet. L’énergie hydraulique, désormais concentrée dans le bras principal, est canalisée contre la digue : elle provoque l’érosion de la berge sur la rive droite en pied d’ouvrage et l’apparition d’un nouveau bras secondaire profond (bras de l’Ilon) à la terminaison aval de l’aménagement (-7 m pour le DCE). Cette évolution va entraîner à son tour la prolongation de la digue pour protéger les habitations riveraines. Entre 1870 et 1876 l’Atlas des P&C, puis la carte bathymétrique montrent l’érosion d’une partie de l’Ile du Pillet, avec l’apparition du bras de l’Ilon à l’aval de la digue submersible, puis le prolongement de la digue pour protéger l’île de l’érosion. Cette dernière provoque à son tour la disparition d’une habitation et de terres agricoles. D’autre part, les épis immergés (rive droite, PK 276, rive gauche, PK 275) favorisent une sédimentation locale rapide, qui les intègre dans les berges.

Figure 72 : Evolution de l'aval de l'Ile du Pillet entre 1870 et 1876 sous la pression des aménagements. Le Mas de Marin est emporté par les déplacements du chenal sous la pression des aménagements

Les bras secondaires subissent un colmatage progradant, depuis la digue de déconnexion à l’amont jusqu’à la reconnexion aval. Les évolutions sont différentes selon les secteurs. En rive droite, le bras de Matagot est rapidement colmaté sur la moitié amont ; l’aval du bras a une bathymétrie inférieure à 1.6 m pour le DCE. Le bras du Pillet est encore en eau, sauf en amont, en arrière de la digue de déconnexion ; des bancs de gravier apparaissent à l’aval et la profondeur est inférieure à 1.6 m. En rive gauche, les îles de la lône du Mas des Tours ne sont pas stabilisées et la bathymétrie de l’axe d’écoulement est de 5 m, avec une fosse de 7 m à l’aval.

Le Rhône et ses marges montrent donc en 1876 un milieu instable, en cours de métamorphose d’un système en tresses (du moins à l’amont du PK 276) vers un système à chenal unique. Même si cette évolution s’effectue partiellement sous l’impact des changements généraux dans le bassin versant, les aménagements locaux deviennent un facteur essentiel des mutations morphologiques du chenal. L’état d’équilibre du système fluvial est désormais soumis à la gestion et à l’entretien des ouvrages.

Plus en aval, au niveau de la diffluence, l’aménagement du chenal pour contraindre la répartition des flux remonte au XVIIIe siècle et impose au système de 1876 sa morphologie par la mise en place d’une digue de protection en tête de Camargue, mais ce point a déjà été mentionné dans la première partie (Figure 29).

Ces contraintes précoces, par les aménagements, sont également identifiées sur le Grand Rhône en aval d’Arles. Au niveau du seuil de Terrin (PK 293-297) les premiers ouvrages construit dans le chenal modifient sa morphologie dès les années 1867-69 (Figure 73). Les

largeur mouillée est passée de 700 m à 575 m au PK 294 et de 700 m à 550 m au PK 296, en l’espace de trois ans après l’édification de la première digue. La rétraction en largeur oblige le chenal à s’inciser d’1 m en moyenne dans l’axe de navigation entre 1867 et 1869. Entre 1869 et 1999, la largeur change peu, mais le chenal continu de s’approfondir, avec un enfoncement local qui peut atteindre 6 m. En 1999, le MNT montre au final un milieu qui ne diffère quasiment pas de celui de 1869 dans la partie amont et qui se rapproche à l’aval de l’emprise spatiale des digues en cours de construction en 1869. Les aménagements ont donc joué un rôle majeur et précoce dans la morphogenèse du chenal au niveau du seuil de Terrin. Il est possible qu’il en soit de même sur d’autres secteurs du Rhône. Girardon présente d’ailleurs en ce sens, en 1894, les impacts déjà visibles de ses aménagements, en certains points du Rhône (Girardon, 1894). Ce cas de figure illustre bien les emboitements d’échelles chronologiques : l’ajustement du chenal est immédiat, puis sa fixation latérale par les ouvrages induit une incision qui se prolonge à plus long termes dans le XXe siècle.

Figure 73 : Topographie du Grand Rhône pendant l'aménagement du seuil de Terrin entre 1867 et 1869 et état du système en 1999 (Raccasi et Provansal, 2006)