• Aucun résultat trouvé

3. Les apports solides, état des connaissances

3.1. Les apports des affluents

Il faut séparer les apports grossiers de charge de fond des flux de MES en suspension. La période du Petit Age Glaciaire correspond au développement d’une forte torrentialité dans les bassins montagnards (Bravard, 1989; Bravard et Peiry, 1993; Miramont, 1998). A la fin du XVIIIe siècle.

A la fin du XVIIIe siècle, la forêt française est amoindrie avec une estimation de 1.5 106 ha défrichés (Surell, 1841), provoquant des ravinements et des crues importantes pendant les épisodes de pluie (Thoral, 2005). La charge de fond caillouteuse transite à des vitesses oscillant entre 30 et 50 km par siècle (Bravard et Petit, 1997; Landon, 1999; Salvador, 2001) ; elle provoque l’exhaussement du plancher alluvial et le développement d’un style tressé dans la bande active très large sur les affluents du rang supérieur et sur le Rhône amont.

La loi de septembre 1791, confie la gestion de la lutte contre les crues aux Ponts et Chaussées. En 1841, Surrel expose les principales techniques et politiques du reboisement des montagnes en vue de maîtriser les torrents (Surell, 1841). Mais il faut attendre les grandes crues des années 1856 et 1859 sur l’Isère, le Rhône, la Garonne, la Loire et la Durance, pour que soit votée la loi du 28 juillet 1860 sur le reboisement obligatoire par l'Etat de tout terrain dont l'Etat du sol détermine des dangers pour les terrains inférieurs, avec pour objectif principal la protection des plaines et des grandes vallées. Elle sera suivie de la loi du 4 avril 1882 relative à la restauration et la conservation des terrains en montagne qui instaure un dispositif gradué en fonction de la gravité des phénomènes et limite l’emprise des travaux aux « dangers constatés et actuels » (Brugnot et Cassayre, 2001). Les bases de ce dispositif ont permis à l’Etat d’acquérir 342 000 Ha de terrain en montagne, principalement dans les Alpes, dont les 2/3 seront reboisés et d’aménager plus de 1 000 torrents de montagne10.

L’essentiel des travaux de reforestation dans les Alpes va être conduit entre 1880 et 1920 sous l’impulsion de Prosper Demontzey alors à la tête du service de RTM. Il instaure la mise en place de plantation à grande échelle pour pérenniser la stabilisation des versants suite aux travaux de correction (Demontzey, 1878; De Reparaz, 2000). L’efficacité de ces travaux a été démontrée à plusieurs reprises avec une multiplication par deux du couvert forestier dans la Drôme, les Baronnies (Liebault et Zahnd, 2001) et les Alpes (Vallauri, 1997) en l’espace de 150 ans. Le Tableau 1 montre qu’après un état de dégradation avancé des forêts à la fin du XVIIIe siècle (couvert forestier : 10 % dans les départements alpins), le reboisement se fait de façon assez lente au cours du XIXe siècle avant une reconquête importante au cours du XXe siècle sous l’impulsion des travaux de reforestation (Vallauri, 1997; Liebault, 2003) et d’une reconquête végétale naturelle suite à la déprise rurale qui s’amorce à partir de 1850 (Landon, 1999; Kondolf et al., 2002; Liebault, 2003; Taillefumier et Piegay, 2003).

1770-80 1878 1989

Alpes de Hte Pce 10 % 17.7 % 42.8 %

Hautes Alpes 11 % 17 % 28.4 %

Drôme 14 % 40.1 %

Tableau 1 : Evolution du couvert forestier sur le bassin versant rhodanien méridional depuis le XVIIIe siècle (Vallauri, 1997)

Les ouvrages réalisés par le service RTM visaient essentiellement les petits torrents de montagnes et les versants érodés. Une centaine de sites avalancheux furent traités pour limiter l’érosion. L’aménagement des cours d’eau visait généralement à la construction de

microbarrages ou de seuils et de fascines dans le lit mineur pour stabiliser le profil en long (Liebault et Zahnd, 2001). Les barrages et les seuils réduisaient la compétence du cours d’eau et provoquaient le dépôt d’une grande partie des sédiments, les fascines étant destinées à faciliter la reprise végétale sur les berges, et donc leur stabilisation. Sur les versants, les techniques de garnissage et de clayonnage protégeaient le sol de l’érosion et favorisaient la reprise végétale. Dans certains cas extrêmes ces travaux furent complétés par du génie civil.

Les principales modifications induites par la restauration des terrains de montagne sont la diminution des débits de pointe des crues et la réduction de la production sédimentaire (Landon, 1999; Kondolf et al., 2002; Liebault et Piegay, 2002; Piegay et al., 2004). Mais des impacts indirects sont également observables avec la conquête de la ripisylve sur la bande active qui provoque une rétraction/incision du chenal et donc une augmentation des vitesses d’écoulement. Ce phénomène a entrainé une modification de la morphologie fluviale avec la disparition d’un système en tresses au profit d’un chenal méandriforme en incision. (Salvador, 1991; Marston et al., 1995; Landon, 1999; Liebault et Piegay, 2002; Marston et al., 2003; Piegay et al., 2004).

Ainsi, l’alimentation et le transit de la charge de fond ont subi une réduction importante au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, puis au début du XXe siècle.

Depuis 1950, les barrages hydro-électriques et les prélèvements dans les lits mineurs ont accéléré cette évolution. Antonelli (2002) a effectué une compilation, qui montre une diminution des apports de sédiments à l’embouchure de 145. 106 m3 par rapport au régime naturel, entre 1950 et 1998, du fait des prélèvements réalisés dans les affluents par dragages. Les barrages, sur les affluents et sur le Rhône, ne soustraient pas les matériaux aux cours d’eau, mais ralentissent le transit sédimentaire, et en particulier celui de la charge de fond, par la modification des paramètres morphologiques du cours d’eau. SOGREAH (2000d) confirme cette évolution (Tableau 2 et Figure 13). L’interruption du charriage sur la Durance a des conséquences importantes pour le Rhône aval. Avant aménagement, cette rivière fournissait plus que la somme des apports aux Rhône de l’ensemble des affluents en aval de Valence. Les seuls affluents qui fournissent encore des matériaux pour le charriage sont la Drôme puis, dans de moindres mesures, l’Ardèche, la Cèze et de façon anecdotique : le Lèz.. Mais, la faiblesse des débits réservés dans les Rhône court-circuités a réduit sensiblement les forces de cisaillement nécessaires au transport de cette charge vers le bas Rhône. A l’heure actuelle, le transit solide grossier provenant de l’amont du barrage de Vallabrègues ne transite qu’au-delà de 3 000 m3 s-1 (SOGREAH, 2000c). Du coup, il sera important d’étudier quelles sont les possibilités de recharge locale aux dépens des stocks hérités sur le Rhône aval. En effet, les capacités de transports élevés dans un chenal qui ne reçoit plus de sédiment vont provoquer l’incision du plancher alluvial et l’enfoncement du chenal

A partir de l’étude des flux de radionucléides et de métaux, Ollivier (2006) et Rolland (2006) ont montré que la principale source sédimentaire des MES sur le Rhône aval provenait de l’érosion du bassin-versant, le remaniement des berges ne fournissant que 1 à 33 % de la charge totale (en fonction de l’intensité de la crue). Ce constat est cohérent avec l’étude de l’EGR (SOGREAH, 2000d), qui montre que les ouvrages n’ont pas diminué de façon drastique les apports de MES depuis le milieu du XXe siècle (Tableau 2 et Figure 14). Seule la Durance, fournisseur important du fait de l’érosion des « marnes noires », a vu ses apports fortement diminués par le barrage de Serre-Ponçon. La Saône et l’Isère ont été moins perturbées.

Affluent Actuel

Diminution des apports par rapport au régime avant aménagements

Charriage (m3. an-1) MES (Mt. an-1) charriage (m3. an-1) MES (Mt. an-1)

Drôme 30 000 0.2 10 000 0 Roubion 0 0.05 10 000 0 Lèz 2 000 0.02 0 0 Ardèche 10 000 0.1 5 000 0 Aygues 0 0.1 2 000 0 Cèze 10 000 0.1 0 0 Ouvèze 0 0.1 5 000 0 Durance 0 1.8 300 000 4.2 Gardon 0 0.1 5 000 0

Tableau 2 : Evolution du transport sédimentaire sur le Rhône à l'aval de Valence sous l'impact de l'aménagement du bassin versant (SOGREAH, 2000d)

Figure 13 : Diminution du charriage sur le bassin versant suite à l'anthropisation massive du fleuve

(CNR)

Figure 14 : Diminution du flux de MES sur le bassin versant suite à l'anthropisation massive du

fleuve (CNR)

A partir de l’étude de l’embouchure du Rhône et des plages du delta, Sabatier (2001), puis Maillet (2005) ont démontré l’importante réduction globale des flux, et particulièrement des MES, depuis le milieu du XIXe siècle. Elle doit être mise en relation avec les transformations de l’occupation du sol dans le bassin-versant, en particulier la remontée forestière et les travaux RTM, qui diminuent l’impact des précipitations sur l’érosion des sols (Kondolf et al., 2002; Taillefumier et Piegay, 2003; Piegay et al., 2004; Gordon et Meentemeyer, 2006). Les piégeages sédimentaires des fines dans les ripisilves, décrits sur la plupart des rivières du bassin-versant (Marston et al., 1995; Piegay et al., 2004; Dufour et al., 2007) contribuent également à la réduction des flux de MES vers l’aval.

Au total on peut conclure que les apports grossiers issus des bassins versants et du Rhône amont ont été considérablement réduits. Il en est de même des MES. Mais ces dernières ont pris, proportionnellement, une importance croissante. La morphogenèse du Rhône aval dépend précisément de ce rapport. Nous allons donc analyser à présent les flux solides sur le Rhône aval, leur évolution historique et leur état actuel.