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2. Hydrologie, le régime du Rhône aval

2.2. Les débits caractéristiques

2.2.2. Débits de crues

Les crues sont les évènements déterminants sur la morphogenèse fluviale. Les travaux antérieurs (Antonelli, 2002; Pont et al., 2002; Maillet, 2005; Ollivier, 2006) ont montré qu’elles font transiter 70 à 80 % de la totalité des MES. Pour la plupart des auteurs (Leopold et al., 1964; Bravard et Petit, 1997), ce sont les crues à plein bord (Qbf) qui sont les plus efficaces sur l’ajustement du chenal aux contraintes hydrosédimentaires. Le Qbf est de 6 000 m3 s-1 à Beaucaire (Roditis, 1993). Mais, étant donné les variations géométriques de la section mouillée et la morphologie très différenciée des berges (Sabatier, 2004; Villiet, 2005), cette valeur varie entre Beaucaire et Arles. Cette question sera reprise plus en détail dans la deuxième partie.

A l’aval d’un vaste bassin-versant soumis à des influences climatiques variées, le bas-Rhône est soumis à des crues très différentes selon leur origine. Pardé (1925) a établi une typologie des crues en fonction des temps de concentration des eaux jusqu’à l’embouchure et de leur origine. Cette classification est validée par SAFEGE (2000), sur la période actuelle, dans l’Etude Globale pour une stratégie de réduction des risques dus aux crues du Rhône (EGR). On distingue les crues océaniques (en provenance des sous bassins versant de la Saône, l’Ain, l’Isère, le Fier), les crues cévenoles (Ardèche, Gard, Cèze), les crues

méditerranéennes (Durance, Drôme) et les crues généralisées qui sont la concomitance ou la succession rapide de tous les types de crue.

De manière générale, Antonelli (2002) et Ollivier (2006) ont montré que les crues les plus riches en charge solide sont d’origines cévenoles et méditerranéennes.

Entre la fin du XVIe siècle et les années 1850, le Rhône connaît une longue période de crues débordantes, avec des niveaux supérieurs à 4m au dessus de l’étiage des échelles d’Arles (Pichard, 1995; Pichard, 1999) (Figure 9). L’auteur les met en relation avec la crise climatique du Petit Age Glaciaire. Le recalage de ces données sur le Rhônomètre d’Arles permet d’attribuer aux crues les plus fortes une hauteur de 5.38 m NGF (Antonelli et al., 2004a), soit un débit de 4 600 m3 s-1, déterminé sur la courbe de tarage de 1868.

Figure 9 : Evolution de la fréquence décennale des plus fortes crues à Arles depuis le XVIe siècle (Pichard, 1995)

Ces données doivent cependant être acceptées avec précaution, dans la mesure où elles reposent sur le relevé de hauteurs d’eau, et non de débits. L’état du lit mineur, en particulier son encombrement sédimentaire, influence en effet le niveau atteint par les crues. L’étude réalisée dans la traversée d’Arles (Antonelli et al., 2004a) a montré le rôle que joue l’approfondissement du chenal à la fin du XIXe siècle sur les hauteurs d’eau. Elle relativise aussi l’ampleur des fortes crues historiques, sans qu’il soit possible d’en déterminer précisément le débit.

Les données de Pardé et le suivi mis en place par la CNR donnent des informations précises sur les crues depuis 150 ans. La plus importante référencée est celle du 3 novembre 1840. Elle est évaluée par Pardé à 13 000 m3 s-1 à Beaucaire, mais c’est une valeur théorique du débit qui se serait écoulé si des brèches ne s’étaient pas formées en amont. En effet, Pardé calcule ce débit à partir de la hauteur d’eau à Beaucaire et d’une estimation des débits dans les différentes brèches. En outre la morphologie du fond est variable à Beaucaire pendant les crues (Anselmo et al., 2005) et engendre une erreur supplémentaire dans la mesure ; si les

débits définis à partir de la courbe de tarage sont supérieurs aux plus forts débits mesurés pour la construction de cette courbe. Pour cet événement, la CNR propose donc un débit réel recalculé à 9 640 m3 s-1 mais qui reste soumis à discussion.

La deuxième crue la plus importante sur le Rhône aval est la crue du 31 mai 1856, elle atteindrait, toujours selon Pardé, 12 500 m3 s-1 (recalculée à 11 640 par la CNR). La présence des aménagements de protection contre les inondations et le nombre de brèches dans ces derniers, inférieur à celui de la crue de 1840, incitent Pardé à en faire la crue de référence sur le Rhône aval. Cette opinion est confirmée par le comité d’expert de la « Conférence de consensus sur l’évaluation du débit de la crue du Rhône de décembre 2003 à Beaucaire » (CCR2003) (Anselmo et al., 2005). Le comité établit le débit de la crue de 2003 à 11 500 m3 s-1, soit la troisième crue la plus importante connue.

Les données de débit journalier de la période 1920-2001 permettent le calcul statistique par la CNR des périodes de retour des débits de crue. Ils confirment que les trois crues principales observées sur le Rhône ont des débits supérieurs à celui d’une crue de période de retour centennale (fixé à 11 200 m3 s-1). Les périodes de retours des crues d’intensité inférieure sont fixés à : 10 400 m3 s-1 pour Q50,8 400 m3 s-1 pour Q10 et 4 000 m3 s-1 pour la crue annuelle.

A partir du début du XXe siècle, le régime hydrologique redevient plus calme, avec une diminution considérable des crues exceptionnelles. Avant les années 1990, seulement cinq années ont connu une crue exceptionnelle (1907, 1910, 1935, 1951, 1976), alors que sur la période 1840-1900, plus courte, huit années présentant des crues exceptionnelles (>Q15) sont recensées (1840, 1843, 1846, 1856, 1872, 1886, 1889, 1896, 1900). Depuis le début des années 1990, la recrudescence d’événements exceptionnels (1993, 1994, 1996, 2002, 2003) montre des modifications hydrologiques du système. Ces recrudescences de fortes crues sont également mises en évidence à partir du scénario A1B de l’IPCC (Intergovernmental Panel on Climate Change8, 2001). Kharin et Zwiers (2005), à partir des précipitations extrêmes sur le bassin versant rhodanien, et d’une période de retour de 20 ans (P20), prévoient une fréquence 10 à 15 % plus élevée de ces événements sur la période 2081-2100 par rapport à 1981-2000. Même si les rapports, les plus récents, de l’IPCC (2007) revoient à la baisse les valeurs du scénario A1B, le futur pourrait connaitre une recrudescence des crues sur le bassin versant rhodanien.

A partir des données journalières de débit et de pluviométrie sur le bassin versant depuis 1920, le bureau d’étude SAFEGE (2000b; 2000a) a montré que la construction des barrages de retenue sur les affluents et sur le Rhône, à partir des années 1940, limite les interprétations statistiques sur une cyclicité ou une évolution possible des évènements de crues. En effet ces barrages peuvent jouer un rôle d’écrêteur de crue en fonction de leur mode de gestion. Les données antérieures à 1940 pourraient faire l’objet d’une étude statistique, mais seuls les débits maximum annuels sont connus. Ce lissage des données, avec l’affichage uniquement de la crue la plus importante annuelle ne prend pas en compte les événements moins importants au cours de l’année comme précédemment.

La Figure 10 présente une chronique des débits maximum annuels à Beaucaire (débit maximum instantané), établie par la CNR. Bien que masquant la répartition possible de crues sur une année, elle décrit l’évolution de l’hydraulicité du fleuve depuis 1840 (à partir de recalage des débits par la CNR). On rappelle pour mémoire que les années 1820-30 avaient

été caractérisées par un régime hydrologique relativement faible, avant la recrudescence des crues exceptionnelles des années 1840-60 (Pichard, 1995). On constate que la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle sont encore marqués par plusieurs crues exceptionnelles (1864, 1872, 1882, 1886, 1896, 1900, 1907, 1910, 1919, 1935). L’amplitude de ces crues s’atténue cependant à partir de 1937. La période 1965-75 est caractérisée par une très faible hydraulicité, où les crues maximales n’atteignent pas Q2 (5 000 m3 s-1). A partir des années 1990, le Rhône subit à nouveau une période de forts débits (crues exceptionnelles en 1993, 1994, 2002 et 2003) jusqu’à la crue de décembre 2003 (huit crues ont un débit supérieur à Q10). Pour la période 2004-2007 (période de cette étude), le Rhône à Beaucaire est dans une phase de faible hydraulicité où aucune grande crue ne se produit. Les débits maximaux annuels sont : 5 030, 3 970, 4 160 et 3 750 m3 s-1, pour 2004, 2005, 2006 et 2007.

Ces phases de forte ou faible hydraulicité vont avoir un double impact sur le système. Elles conditionneront au cours du temps, les apports liquides et solides aux Rhône aval et joueront un rôle prépondérant dans la morphogenèse du système jusqu’à l’embouchure.

Figure 10 : Chronique des débits maximum annuels à Beaucaire depuis 1840 (pour 2007 jusqu’au 1er septembre) source : CNR.