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Impact d’une crue séculaire sur la morphologie du chenal navigable

Deuxième partie : Morphogenèse et impact de 150 ans d’aménagements sur la morphologie des lits du Rhône

5. Evolution du chenal du Petit Rhône depuis 150 ans

5.4. Impact d’une crue séculaire sur la morphologie du chenal navigable

En 2001, VNF a effectué un levé topographique du chenal entre la diffluence et l’écluse de Saint Gilles. A la suite de la crue centennale de décembre 2003, un autre levé topographique du chenal a été réalisé en 2004. Le différentiel des MNT de 2001 et 2004, issu de ces deux relevés bathymétriques, permet d’analyser les conséquences de la crue centennale de 2003 et de la crue de 2002 (9 650 m3 s-1 à Beaucaire) sur la morphologie du chenal. Ce travail a fait l’objet d’un rapport effectué pour le compte de la DIREN Rhône Alpes (Raccasi et al., 2005a).

La bathymétrie de 2001 n’a été réalisée que jusqu’à Saint Gilles. La comparaison avec la bathymétrie de 2004 ne peut se faire que sur la partie navigable du fleuve. Elle laisse donc de côté des secteurs dont il aurait été intéressant de connaître l’évolution par rapport à la crue de 2003 : Claire Farine, où s’est produit une brèche et la série de méandres ombiliqués, qui ont un impact important dans le ralentissement de l’écoulement des eaux à la mer. Sur le secteur amont, la comparaison en termes de volume laisse une marge d’erreur difficilement quantifiable de par la disparité des deux sources de données (maillages de points ou profils topographiques à la base du MNT.

5.4.1. Auto-curage du chenal sous l’impact de la crue de 2003

Le croisement des deux MNT du chenal en 2001 et 2004 est présenté en Annexe 2. La cartographie montre un bilan érosif du plancher alluvial de 0.9 106 m3 (+0.3 106 m3, -1.2 106 m3). Au regard des données obtenues sur la période 1876-2004, sur le même secteur amont (-3.0 106 m3), ce résultat tend à montrer que la crue de décembre 2003 a eu un effet morphogène de premier ordre sur le système fluvial, puisqu’elle a participé à l’érosion de 40% du volume total érodé en l’espace de 150 ans. Arnaud-Fassetta (1998) (Figure 86) a montré que l’enfoncement du chenal est quasiment nul sur la période 1895-1969, puis devient beaucoup plus important entre 1969 et 1995, pour partie en relation avec les dragages de mise en conformité avec les contraintes de navigation ; mais cette période comprend également les crues de 1993 et 1994 qui ont surement joué un rôle dans l’érosion du plancher alluvial.

La part entre l’impact de ces grandes crues et l’aménagement du chenal pour la navigation dans l’érosion du plancher alluvial est difficilement quantifiable. Toutefois, malgré la mise au gabarit du chenal au moment de l’aménagement et la construction des panneaux de fonds pour maintenir un auto curage, les VNF sont obligées d’effectuer des dragages récurrents dans un chenal qui se recolmate après chaque campagne de dragage. Or depuis la crue de 2003, les dragages n’ont pas été nécessaires pour maintenir la navigabilité (Communication orale des VNF) ; l’événement à donc provoqué une érosion du plancher alluvial plus importante que les aménagements en place depuis 20 ans. Au final il serait donc possible que les événements les plus morphogènes sur la bathymétrie du chenal soient les crues, qui érodent le plancher alluvial, alors que les aménagements, même s’ils limitent le colmatage, ne suffisent pas à maintenir le tirant d’eau nécessaire à la navigation.

La spatialisation de ce bilan sédimentaire montre une érosion différenciée selon les secteurs. Les plus fortes érosions localisées (jusqu’à -2 m dans les mouilles) entre les PK 282 et 284, puis en aval du PK 294 et entre les PK 295 PK 296, où elles atteignent 3.7 m au niveau de la rive concave. Elles sont parfois associées à un déplacement du talweg qui se colmate en rive convexe et s’élargit en rive concave.

L’incision du talweg est plus prononcée en amont de la brèche de Petit Argence qu’en aval. Au cours de la crue, l’apparition de la brèche a provoqué une diminution de l’énergie hydraulique à l’aval de la brèche. En effet, d’après les modélisations du BCEOM pour la CCR03, à partir du débit de pointe de la crue, avec ou sans les brèches dans les digues, à Fourques la ligne d’eau est inférieure de 30 cm suite à l’impact des 2 brèches sur le Rhône en amont de la diffluence ; et à Saint Gilles le décalage est de 190 cm. Cette différence entre la ligne d’eau théorique, avec et sans la brèche, traduit l’importance de la rupture de la digue dans la dynamique hydrosédimentaire sur le linéaire entre l’amont et l’aval de Petit Argence.

L’étude spécifique de la brèche de Petit Argence va donc être réalisée maintenant.

5.4.2. La brèche de Petit Argence (Photo 11)

La construction du Pont de l’autoroute A54 dans les années 1980 a nécessité la mise en place d’un talus transversal, en remblais, sur chaque berge du Petit Rhône. Ces deux talus coupent perpendiculairement la plaine d’inondation intradigues et provoquent donc une réduction de la section disponible pour l’écoulement.

En période de crue, cet étranglement provoque une surélévation locale de la ligne d’eau. Pendant la crue de décembre 2003, elle a atteint le sommet de la digue en rive droite et a provoqué une surverse au niveau du Mas de Petit Argence. Il s’en est suivi l’apparition d’une brèche de 230 m de long entre la maison du garde-digue et le PK 288.03. La brèche a également été favorisée par un fossé de drainage de 1.7 m de profondeur en pied de l’ouvrage et l’ancienne maison du garde digue construite en partie sur la digue (Photo 12). De plus, côté fleuve, des indices d’instabilités de la digue avaient été mis en évidence à l’été 2003 (Cete-Méditerranée. et CEMAGREF, 2004). Ces derniers pourraient s’expliquer par la présence d’une nappe d’épandage de sable (FZ4R) en pied d’ouvrage, héritée de brèches anciennes.

La brèche de Petit Argence a provoqué une érosion de plusieurs mètres en pied aval de l’ouvrage (Photo 13) et 0.4 106 tonnes d’accumulations sédimentaires sableuses à 90% sur une superficie de 6.1 km2 (Eyrolle et al., 2006). Son impact renforce ainsi le cône d’épandage de rupture de levée de berge déjà dessiné sur la carte géologique. Elle prolonge ainsi le fonctionnement récurrent de ce secteur.

Photo 11 : Vue aérienne de la brèche le 5 décembre 2003 (Photo du Syndicat Mixte Camargue Gardoise)

Photo 12 : L’ancienne maison du garde digue en pied de digue, partiellement détruite par la création de la brèche. En arrière plan l’érosion provoquée par la brèche (Cete-Méditerranée. et CEMAGREF, 2004)

Photo 13 : Erosion en aval de la digue. La surface en eau représente la zone d'érosion maximale, Vue prise depuis la digue reconstruite (Photo IRSN)

Erosion provoquée par la rupture de la

Dans le chenal, l’impact de la brèche est également visible (PK 287-289, Figure 93): en aval de la brèche, une zone de dépôts s’est formée au centre du chenal. Elle peut s’expliquer par la perte d’hydraulicité provoquée par la perte de charge. Les forces tractrices diminuent à l’aval de la rupture de la digue, provoquant la sédimentation des MES les plus grossières. De plus la réduction de la section au passage du pont de l’A54 provoque une réduction des vitesses d’écoulement, ce qui entraine également un dépôt sédimentaire dans le chenal.

Enfin, le différentiel topographique montre des érosions en rive concave à l’amont et à l’aval de la brèche. Il est possible que ces érosions naturelles, en cas de forts débits, participent à la déstabilisation de la digue par un sapement de la berge et des fondations de la digue.

Figure 93 : Impact de la crue de 2003 sur la morphologie du chenal du Petit Rhône

5.4.3. Impact d’une crue séculaire

L’étude des impacts de la crue de 2003 souligne donc bien l’existence d’un fonctionnement spasmodique du chenal, rapide et important lors des crues. Il est possible que l’évolution à long terme soit le fait de quelques épisodes efficaces, séparés par de longues périodes de latence. Aucun témoignage n’a malheureusement pu être recueilli sur cette question. Cependant, il faut rappeler que les évolutions rapides identifiées sur quelques secteurs du Rhône et du Grand Rhône entre les années 1865 et 1876 ne coïncident pas avec des épisodes de crues, mais apparaissent comme des réponses morphologiques à l’implantation d’ouvrages dans le courant.

Les bilans séculaires doivent donc être prudemment interprétés, car ils masquent des fonctionnements complexes, liés aux aménagements et/ou aux extrêmes hydrologiques.

5.5. Fonctionnement et bilan sédimentaire séculaire du Petit