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3. Les apports solides, état des connaissances

3.4. La charge de fond dans le Rhône aval

La charge de fond est un fluide difficilement mesurable du fait de sa position dans le chenal. Une définition générale a été formulée par Einstein (1950) et reprise par de nombreux auteurs (Bagnold, 1966; Knighton, 1998) : elle correspond à l’ensemble des sédiments transitant au contact du fond par glissement, roulement ou saltation. La saltation est généralement incluse dans les processus de déplacement de la charge de fond du fait de la difficulté à estimer les limites entre charriage et saltation (Frenette, 1996).

SOGREAH (2000d) a réalisé, pour l’EGR, une synthèse des données existantes concernant la charge de fond du Rhône. L’étude détermine, sans précision sur la méthode employée, une vitesse de migration de la charge de fond de 10 km par an sur le tronçon Beaucaire-Arles.

Le secteur Beaucaire Arles, puis le Petit Rhône seront présentés séparément.

3.4.1. De Beaucaire à Arles

Les données connues montrent un affinement de la charge de fond (valeurs moyennes : 35 mm à Avignon, 30 mm à Beaucaire, 15 mm à Arles), qui favorise une plus grand mobilité vers l’aval. A Beaucaire et à Arles, le fond du chenal est caractérisé par un pavage (SOGREAH, 2000d) :

• à Beaucaire, il est formé de graviers de 42 mm, qui ne sont mis en mouvement qu’à partir de 1552 m3 s-1, limitant les possibilités de remaniement des lits inférieurs, potentiellement mobiles à partir de 669 m3 s-1 ;

• à Arles, il est formé de graviers compris entre 15 et 64 mm, formant une couche de 20 cm environ, reposant sur des graviers de 20 à 40 mm englobés dans une matrice sableuse de 0,25 mm de diamètre moyen (Dugas, 1989; SOGREAH, 2000c). Ces sédiments sont mobiles au-delà de 643 m3 s-1.

Le transit potentiel est estimé à 166 000 m3 par an à Beaucaire, avec une mise en mouvement de la charge de fond d’au moins 200 jours par an, à 200 000 m3 par an à Arles où il est possible toute l’année (SOGREAH, 2000d). Ces données seront reprises dans la deuxième partie pour valider des équations du transport solide pouvant s’appliquer au Rhône aval. L’application de ces formules aux données du XIXe siècle permettra d’évaluer l’évolution de la capacité de transport depuis 150 ans entre Beaucaire et Arles.

Entre Beaucaire et le PK 275, les berges du Rhône sont constituées par des grèves de galets. Une de ces grèves a été étudiée par Villiet et Hellal (2006) au PK 272.5 entre le 13 janvier et le 02 février 2006. La largeur de la bande de galets atteint 6.5 m dans des conditions d’étiage (débit : 1 100 m3 s-1) avec une granulométrie comprise entre 30 et 100 mm en surface (diamètre moyen de 56 mm). Le marquage de placettes à la peinture (Sear et al., 2000) montre un déplacement des galets les plus grossiers de 5 m vers l’aval dès la submersion de la parcelle peinte (débit de 1 610 m3 s-1, le 30 janvier 2006), lors de débits inférieurs au module. Donc les bancs de graviers qui constituent les berges sont fréquemment remis en mouvement et participent à l’évacuation de la charge grossière du fleuve à partir de débits inférieurs au module. On peut logiquement supposé que dans le chenal lui-même les galets sont mobilisés pour des débits inférieurs. La CNR a réalisé une modélisation des contraintes de cisaillement au fond qui seront analysées et comparées aux résultats de ce travail dans la troisième partie.

Au-delà d’Arles, Antonelli (2002) et Arnaud-Fassetta et al. (2003) ont montré, à partir de prélèvements systématiques sur le fond, que la charge grossière (graviers et galets) ne dépassait pas le seuil de Terrin (PK 294). Quelques bancs de galets pléistocènes remaniés plus en aval sont à leur tour stockés en amont du seuil de Mas Thibert (PK 300). Seule la fraction sablo-limoneuse parvient donc à la mer (ce qui soulève la question du devenir des galets en transit depuis l’amont). Une partie de la charge de fond est draguée par la CNR (237 000 m3 entre 2002 et 2005), une autre partie est piégée dans les profondes mouilles en aval d’Arles, mais il semble difficile d’imaginer un flux de longue durée qui n’aurait pas dépassé ces obstacles. L’hypothèse est donc formulée que la charge de fond graveleuse et caillouteuse est apparue récemment sur le bas Rhône.

Enfin, il est important de souligner que la charge de fond est soumise à des prélèvements importants par dragage.

Le dragage a fait l’objet d’une note technique spécifique (SDAGE RMC, 1996) dans le Schéma Directeur d’Aménagement et de Gestion des cours d’Eau (SDAGE) de l’Agence de l’Eau Rhône Méditerranée Corse (AE RMC). Dans le lit mineur, les prélèvements sont désormais interdits11, mais ils étaient autorisés dans le passé et sont encore accordés à titre exceptionnel. SOGREAH (SOGREAH, 2000d) estime, sur la base des données disponibles, que depuis 30 ans les prélèvements sur l’ensemble du chenal ont été de 0.9 106 m3 an-1 de graviers et 1.1 106 m3 an-1 de matériaux fins répartis au niveau des secteurs les plus sensibles au colmatage.

Les opérations de dragage sur le Rhône en aval de Vallabrègues sont réalisées à plusieurs titres dans le lit mineur :

• En aval de Vallabrègues, suite à l’aménagement hydroélectrique pour augmenter la chute d’eau et la production électrique. Les extractions en lit mineur ont été déposées sur la berge en aval de Beaucaire pour édifier une plateforme hors d’eau lors des crues moyennes (CNR, 1999b; CNR, 1999a).

• En aval de Beaucaire, suite à la construction du pont de la D90 sur le Rhône dont deux piles perturbent l’écoulement dans le chenal, une fosse a été creusée entre les PK 269.7 et 270 en 1997-1998 (CNR et Richard, 2005).

• Sur le palier d’Arles pour maintenir la profondeur minimale nécessaire à la navigation, entre les PK275 et 280 (CNR, 1999a; CNR et Richard, 2005). A la diffluence, le dragage est fait de façon à orienter le talweg vers le Petit Rhône pour faciliter la remise en suspension de la charge sableuse qui colmate le fond du chenal dans la partie navigable du bras (Communication orale CNR).

• Sur le Grand Rhône, des déroctages au niveau du seuil de Terrin ont été effectués en 1969, 1979 et 1991, également pour faciliter la navigation (Antonelli, 2002).

• Sur le Petit Rhône, avant la crue de 2003, des dragages étaient également nécessaires tous les 18 mois en moyenne (communication des Voies navigables de France responsables de l’entretien du Petit Rhône) sur la partie navigable du fleuve (jusqu’au PK 300) pour maintenir

11 L'arrêté du 22 septembre 1994 relatif aux exploitations de carrières et aux installations de premier traitement des matériaux de carrières prévoit que : les extractions en lit mineur de cours d'eau et dans les plans d'eau traversés par des cours d'eau sont interdites, sauf nécessité d'entretien ou d'aménagement. Elles sont alors considérées comme un dragage.

le tirant d’eau. Depuis la crue de 2003, aucune intervention de dragage n’a été réalisée. Il n’existe pas de suivi réel des volumes dragués par VNF.

Une partie des dragages réalisée par la CNR, gestionnaire du fleuve avant VNF et chargée de la mise aux normes de navigabilité du chenal, est déposée sur les berges (Observation de terrain et communication du SYMADREM). Ces dépôts ont été identifiés notamment au PK 286 en rive gauche et ont été aménagés en aires de retournement sur les digues.

A partir des données fournies par la CNR, SOGREAH dans l’EGR (2000c), estime que la totalité des prélèvements dans le lit mineur sur le palier d’Arles entre 1987 et 1998 est de 8.81 106 m3 de graviers. Ces dragages ont généré, d’après la même source, la remobilisation de 3.82 106 m3 de matériaux fins, soit un bilan total de 12.62 106 m3.

Les affluents sont également soumis aux contraintes du dragage dans le but de modifier la ligne d’eau dans les zones de confluence, pour la navigation. Mais ce sont surtout des prélèvements de commercialisation qui ont été exécutés (Astrade et Dumont, 2000). Antonelli (2002) estime qu’entre 1950 et 1998, 139 à 152 106 m3 ont ainsi été soustraits au Rhône sur les affluents, soit cinq fois plus que ce qui a été prélevé dans le lit du fleuve sur la même période.

3.5. Conclusion

Les flux solides sont, depuis 150 ans, l’objet de mesures d’inégale valeur, en raison des difficultés d’instrumentation du milieu. Tous les travaux convergent cependant pour montrer une diminution importante des flux, charge de fond et MES. Elle est due à l’évolution globale du bassin-versant (apaisement de la torrentialité, déconnexion des versants montagnards et des lits fluviaux), aux changements climatiques et hydrologiques (réduction des fortes crues, modifications du régime saisonnier), ainsi qu’aux aménagements (en particulier les barrages hydro-électriques) et aux prélèvements dans les lits. Ces derniers (affluents et chenal du Rhône aval) sont évalués globalement à 4.16 à 4.43 106 m3 an-1. Au regard des données les plus actuelles (Antonelli, 2002; Pont et al., 2002) sur le transport solide à Arles (Tableau 3), il apparaît que c’est presque l’équivalent de la charge solide potentielle annuelle (située entre 4.48 à 7.13 106 m3 an-1) (Antonelli, 2002) qui est extraite du système par l’action des dragages depuis 50 ans.

Ces deux derniers facteurs ont réduit de façon drastique le transit de la charge de fond, qui ne franchit désormais le Rhône court-circuité de Vallabrègues qu’au-delà d’un débit de 3 000 m3 s-1. Dans le contexte de forte énergie du Rhône aval, c’est un facteur propice à la métamorphose fluviale, dont nous étudierons la chronologie et les modalités dans la deuxième partie.

Les flux de MES, même réduits, sont restés importants (8 à 12 106 t an-1). Leur transit s’effectue majoritairement lors des crues. Les barrages jouent un rôle complexe sur ce transit, puisque les déversements dans le Rhône court-circuité de Vallabrègues s’effectuent à partir de 3 000 m3 s-1, et que les barrages hydro-électriques eux-mêmes deviennent « transparents » au-delà de 2 490 m3 s-1. Ce fonctionnement favorise des flux de MES irréguliers et, sans doute, renforcés lors des très forts débits, quand l’ouverture des barrages permet de déstocker les sédiments piégés dans le canal d’amenée. Cette charge sédimentaire fine arrive en partie à l’embouchure ; mais elle est également arrêtée sur les marges fluviales, naturelles et aménagées, où son accumulation va induire une rétraction du système fluvial.

Métamorphose et rétraction, deux modalités d’évolution du chenal depuis 150 ans. Sont-elles contemporaines ? Quels impacts sur la débitance, donc sur l’inondabilité de la plaine ? Quelles relations avec les aménagements des lits sur le bas Rhône ? Ces questions seront abordées dans la seconde partie.

4. Chronologie et caractérisation des aménagements sur le Rhône