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Une place pour la recherche en 1 er cycle dans les référentiels européens ?

Il me semble intéressant de citer, à la lumière des exemples aperçus, ce qui est dit dans les référentiels que j’ai déjà présentés pour les cycles master et doctorat.

Les descripteurs de Dublin

La version originale des Descripteurs de Dublin pour le premier cycle ne mentionne rien pour ce qui concerne la recherche. Il y est juste évoqué le fait que le domaine d’études repose sur « certains savoirs issus de la recherche ». Cette attitude confirme ce que certains universitaires m’ont exprimé quand j’ai parlé avec eux de mon travail. Mais ces descripteurs évoqueront d’autres aspects comme la nécessité d’une capacité « à élaborer et à développer […] des arguments et des solutions à des problématiques », de « formuler des opinions fondées sur des réflexions » et de pouvoir « communiquer tant à des spécialistes qu’à des profanes des informations, des idées, des problématiques et des solutions ».

La version adaptée par l’AEC suivra naturellement cette évolution mais y ajoutera une dimension « créative » : c’est ainsi un domaine d’études qui « inclut une interaction créative avec l’expérience et les savoir-faire de musiciens à la pointe de leur domaine », ce sont des « compétences prouvées pour des réalisations pratiques ou créatives », c’est une capacité à « formuler des opinions dans leur activité pratique et/ou créatrice », à « communiquer des conceptions artistiques », ce sont enfin des « compétences pratiques et/ou créatives nécessaires pour poursuivre leurs études avec une grande autonomie ».

La notion de « création », de « créativité », qui est mise en avant dans le texte de l’AEC préfigure ce qui sera largement développé ultérieurement dans le référentiel produit par le projet Humart299.

Mais déjà en soi, cette notion suppose une démarche qui, prenant en compte l’état d’un savoir, artistique en l’occurrence, tente de formuler des idées ou d’en proposer une interprétation renouvelée. On est déjà, il me semble, dans une démarche de recherche et non de simple acquisition d’un savoir dont on doit reproduire la démonstration. Cela est particulièrement à l’œuvre dans la formation délivrée par les écoles d’arts, comme cela a été vu.

Avec le cadre européen des certifications professionnelles tout au long de la vie, cette question de l’implication implicite d’une démarche de recherche me semble plus évidente.

Le Cadre européen des certifications professionnelles tout au long de la vie EQF

Pour le niveau 6 (licence/Bachelor), ce cadre européen précise :

1) Savoirs : « savoirs approfondis dans un domaine de travail ou d’études requérant une compréhension critique de théories et de principes »

2) Aptitudes : « aptitudes avancées, faisant preuve de maîtrise et de sens de l’innovation, pour résoudre des problèmes complexes et imprévisibles dans un domaine spécialisé de travail ou d’études »

299 Cf. page suivante

3) Compétences : « gérer des activités ou des projets techniques ou professionnels complexes, incluant des responsabilités au niveau de la prise de décisions dans des contextes professionnels ou d’études imprévisibles » et « prendre des responsabilités en matière de développement professionnel individuel et collectif »

Dans ces définitions, plusieurs éléments sont pour moi fondamentaux. Ce qui est dit ici d’une compréhension critique des théories me semble devoir être situé, particulièrement dans le contexte des disciplines artistiques, dans le lien entre théorie et pratique, question qui a été abordée au premier chapitre. Le sens de l’innovation exprime à l’évidence une capacité à rechercher des solutions originales aux problèmes qui se posent. Enfin les compétences ainsi décrites, autant dans la capacité à gérer des éléments professionnels complexes que dans les responsabilités décisionnelles évoquées, ne sont pour moi envisageables que si une véritable compétence à la solution de problèmes est atteinte. Cette compétence à résoudre un problème ou une question est en droite ligne avec ce que nous avons approché dans le premier chapitre de la pensée de Bachelard300 ou de la méthodologie de l’enquête de Dewey.

Les objectifs pédagogiques de l’AEC

Nombre des objectifs exprimés dans ce référentiel ont trait aux savoir-faire indispensables à une pratique professionnelle artistique, interprétation ou composition, de haut niveau. Nous ne mentionnerons ici que les compétences du 1er cycle qui font référence à une activité de recherche.

Référentiel du projet Humart

Pour le niveau 6, parmi les critères inclus dans le référentiel301, je citerai ceux qui évoquent une

capacité de recherche ou la nomment explicitement, et ceux qui touchent à une compréhension du monde.

Pour l’aspect de recherche, les étudiants devront « disposer des savoir-faire avancés nécessaires pour créer, réaliser et exprimer leur propres concepts de création » et « pouvoir agir et répondre de façon créative en différentes situations ». Il ne s’agit pas explicitement de rechercher, mais l’acte de création, dans la formation, peut impliquer une phase de recherche qu’il conviendrait alors de souligner. C’est ce que font les critères suivants : les étudiants devront « être conscients de la dimension de recherche inhérente à la pratique artistique et/ou la création correspondant à leur discipline », « expérimenter dans leur pratique créative », « répondre avec curiosité et un esprit de recherche au monde qui les entoure ». L’expérimentation n’est pas une recherche en elle-même, mais elle y est intégrée. L’esprit critique y est également souligné : les étudiants devront « être capable d’agir avec une conscience critique », « avoir une connaissance avancée et une compréhension critique des principales théories, principes, modèles et œuvres majeures de leur discipline » et « pouvoir tirer de leur expérience acquise au sein de leurs études la capacité d’accéder à un savoir en dehors de leur discipline et d’y exercer leur esprit critique » L’esprit critique n’est pas la recherche, mais il y contribue. La particularité de ce référentiel par rapport aux précédents est cette « compréhension du monde » évoquée par deux fois : les étudiants devront « appréhender comment la pratique et/ou la création générées au sein de leur discipline à la fois provient de l’humanité et la façonne » et ils devront « Faire preuve d’une capacité d’interprétation et de réflexion de la dimension humaine dans leur pratique créative ».

300 « toute connaissance est une réponse à une question » 301 Voir tableau complet en annexe.

Cette insistance sur la relation de l’étudiant au monde touche à la compréhension qu’il a de la place de l’artiste et de sa création dans cette relation au monde. Une telle conception nécessite d’engager l’étudiant dans une prise de conscience et la construction d’une réflexion, démarche qui peut favoriser la mise en œuvre de travaux de recherche.

Ce référentiel va donc bien au-delà des précédents sur l’aspect créatif et sur la nécessaire recherche qui accompagne cette création. Cette évolution du référentiel s’explique par l’interdisciplinarité artistique du groupe de travail qui l’a formalisé, notamment par la présence des architectes et des plasticiens : on a vu avec l’école des Beaux-Arts de Rennes, combien la formation à ces disciplines est fondée, dès le début des études supérieures, sur une mise en recherche et en création des étudiants ; les architectes avaient quant à eux, insisté fortement non seulement sur cet aspect mais surtout sur le lien entre la création et l’environnement humain. Le rapprochement dans ce groupe et par ce référentiel, des arts de la scène, des arts figuratifs et de l’architecture, donne à la formation des interprètes en musique une dimension supplémentaire : celle qui, au moins à l’instar de la formation des plasticiens, doit considérer l’étudiant qui commence ses études supérieures comme un artiste, non pas en formation, mais déjà en révélation de sa nature d’artiste. Une étudiante de la Julliard School de New-York, école d’élite qui forme des interprètes en musique, danse et théâtre, témoigne dans un documentaire qu’un des éléments qui l’a le plus marquée dans cette école était le fait d’avoir été, dès le début de ses études dans cette école, considérée par ses enseignants non comme une étudiante mais comme une artiste. Donc comme une artiste en recherche, en construction d’elle-même. Un autre témoignage dans ce documentaire confirme cette « recherche de soi » mise en avant par l’institution : le professeur de théâtre y évoque l’école comme un espace qui doit permettre toute expérimentation, permettre à l’interprète d’explorer ce qui pour lui est inconnu, et surtout d’aller au-delà de ses peurs. Ces peurs ne se découvrent qu’en explorant l’inconnu dans sa discipline elle- même mais aussi dans son interaction avec d’autres disciplines, et surtout l’inconnu dans sa propre relation avec le monde. De ces explorations naissent la découverte de l’inconnu en soi. C’est par cette démarche que l’artiste interprète développera sa perception de l’espace et du temps, sa capacité à donner forme à cet espace et à ce temps, ce qui est sa réelle spécificité d’artiste interprète.

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