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Définition de la recherche artistique en musique pour l’AEC

L’AEC a rédigé un document sur une définition de ce que signifie le concept de recherche artistique pour ses membres258. Ce document est fondé sur tout le travail qui a été développé lors

des projets Polifonia, et prend en compte des éléments publiés sur la question par certains des membres des groupes de travail. Le point de départ de ce travail a été la définition que les Descripteurs de Dublin259 ont donnée pour la recherche :

Le terme de « recherche » recouvre un grand nombre d’activités, dont le contexte est souvent lié à un domaine d’étude. Ce terme est utilisé ici pour représenter une étude approfondie ou une analyse basée sur une maîtrise systématique et une conscience critique des connaissances. Ce mot est donc utilisé dans un sens inclusif, afin de s’appliquer à l’éventail d’activités qui soutiennent un travail original et innovant dans l’ensemble des domaines universitaire, professionnel et technologique, y compris les sciences humaines ainsi que les arts traditionnels ou du spectacle et d’autres arts créatifs. Il n’est en aucune façon employé dans un sens limitatif ou restreint, ou faisant uniquement référence à une traditionnelle « méthode scientifique »260

Présentation du document

Dans une définition générale, il est précisé que la recherche artistique261 doit être considérée

comme inclusive, sans chercher à être liée à une orthodoxie particulière dans le sens où elle doit être multi facettes et peut ainsi se prévaloir de toute discipline de recherche ou de méthode pertinentes pour son objet. Elle a pour objet de promouvoir le développement des arts, raison pour laquelle elle se doit d’être solidement ancrée dans une pratique artistique, généralement celle de l’artiste-chercheur ou d’artistes individuels au sein d’une équipe de recherche. Dans sa démarche visant à apporter de nouvelles connaissances et/ou ouvrir de nouvelles perspectives au sein des arts, elle développe une réflexion critique sur les contenus ou les contextes, et également sur les méthodes et les processus à partir desquels elle procède. Favorisant le dialogue critique au sein de la profession et avec d’autres professions concernées, elle partage avec la sphère publique des connaissances professionnelles pertinentes.

À partir de cette définition générale, le document développe cette conception. Tout d’abord cette recherche artistique s’inscrit dans un contexte de recherche plus large, d’autres types de recherche peuvent tout à fait correspondre aux objectifs poursuivis par l’institution : peuvent ainsi être envisagées des recherches fondamentales, appliquées, ou d’autres, recherches en développement ou pour des transferts à d’autres domaines. Du point de vue de la méthode, elle ne se place pas en opposition à la recherche scientifique en ce qu’elle se doit de répondre aux normes procédurales propres à l’ensemble des disciplines de recherche, mais elle peut le faire dans des modes qui correspondent à sa propre nature. Son objectif est de promouvoir la compréhension

258 AEC Key Concepts : Artistic Research, diffusé par l’AEC à tous ses membres le 28 avril 2014. Ce document est

accessible sur le site de l’AEC où il figure sous le statut de « green paper », donc version encore modifiable. Il est inclus dans les annexes (Annexe IV).

259 Ces descripteurs ont été établis en 2002 par un groupe d’universitaires européens réunis à Dublin réunis dans une

« Initiative commune » (Joint Initiative). Ils sont téléchargeable notamment sur ce site :

www.ones-fr.org/IMG/doc/Descripteurs_de_Dublin_def_.doc

260 dans AEC, Points de référence pour la création de formations diplômantes en musique, Tuning education structures in

Europe, édition française, 2010, p.55

261 Si le terme employé dans le document est celui de « recherche artistique » sans préciser qu’il s’agit d’une recherche

artistique en musique, le fait qu’il soit inclus dans une documentation qui porte le titre générique de « concepts lés pour les membres de l’AEC » situe bien cette définition dans le contexte de la musique.

et de là le développement des pratiques artistiques par la place que l’artiste prend lui-même dans le processus de recherche. Si la musicologie peut faire de l’artiste un objet de recherche, la recherche artistique ainsi envisagée le place en position de chercheur ou de partenaire de recherche, dans tous les cas en tant qu’acteur de la recherche. La spécificité de son regard y joue alors un rôle particulier, qui fait dire à l’AEC que c’est une recherche au sein de laquelle « l’artiste fait la différence262 ».

Ce qui caractérise donc cette recherche artistique dans les Conservatoires est la place centrale donnée au processus et aux productions artistiques, mais déterminer comment et à quel stade de la recherche ces processus doivent être mis en œuvre pourra se faire avec une certaine flexibilité. La diffusion des résultats de la recherche devra concerner et le processus et le résultat. Si le mode de communication peut innover, il ne doit pas pour autant compromettre la clarté de cette communication et manquer ainsi aux critères auxquels il se doit de répondre. La norme de la communication écrite n’est donc pas la seule à envisager, même si un tel exercice complètera souvent la production d’un résultat artistique. Simplement interpréter une œuvre n’est pas une communication suffisante, ce qui conduit à distinguer la différence entre inclure des éléments de recherche dans un processus artistique – l’objectif étant la performance artistique – et chercher à démontrer le processus de recherche et faire preuve des résultats à travers l’œuvre – c’est alors la recherche qui est l’objectif de la performance artistique.

Le mode opératoire qui paraît le plus pertinent pour cette recherche est le travail collaboratif, en ce qu’il permet de réunir, à ce très haut niveau, compétences artistiques et compétences de recherche. Cela n’exclut pas qu’une recherche puisse être menée par un artiste isolément. Mais l’environnement de recherche devra être développé : association, publications, journaux, enseignants, doctorants, financements, etc.

Sur le plan du curriculum, l’accès à cette recherche se fait prioritairement au niveau du doctorat, dont c’est l’objet. Mais le cycle master doit permettre également d’y entrer. Pour le premier cycle, ce document précise que c’est une initiation à des principes de recherche qui peut y être intégrée. L’AEC conclut son document en recommandant que la mise en œuvre de la recherche artistique dans les Conservatoires répond bien à des nécessités artistiques et à une dynamique interne, et non à des opportunités ou nécessités stratégiques, politiques ou structurelles.

Analyse du document

Cette recherche artistique est définie avec des termes généraux, mais, visant les Conservatoires, s’applique ici au domaine spécifique de la musique. Elle pose les critères élevés qui correspondent à toute formation de chercheurs de haut niveau et répondent aux différents référentiels que sont les Descripteurs de Dublin et les référentiels EQF et Humart. On retrouve ici ce qui a été dit au premier chapitre sur la possibilité – la nécessité – que la méthodologie soit mise en œuvre en tenant compte des spécificités du champ de recherche concerné. La diversité qui est envisagée pour les types de recherches à mettre en œuvre correspond bien à cette diversité que j’ai mise en valeur précédemment : recherche en art, par l’art, pour l’art, sur l’art ; recherches homothétique, herméneutique ou nomothétique ; recherches fondamentale, appliquée, en développement ou pour le transfert. Et cette recherche peut s’adresser à toute discipline pertinente pour son objet. Le champ ouvert est donc vaste. Ce qui renforce cette exigence méthodologique est le respect des

critères pour la communication. Sur ce dernier point, la précision qui est faite entre production artistique qui inclut la recherche et recherche qui se matérialise dans une production artistique est fondamentale. On rejoint là d’une certaine façon la nuance qui était posée entre « recherche quotidienne » « et recherche scientifique » : l’artiste peut développer chaque jour sur sa pratique une recherche qu’il investit directement dans celle-ci, il est dans une recherche quotidienne ; ce que l’AEC pose ici est de l’ordre de la recherche scientifique, c’est-à-dire une recherche qui porte réellement sur une question qui fasse avancer le savoir commun dans le domaine musical.

La différence qui est faite entre la « simple » interprétation d’une œuvre et la production d’un résultat de recherche est très importante : elle touche au rôle de la communication. Dans le premier cas, l’interprétation, sans aucune communication sur le processus d’obtention du résultat, ainsi jugée devoir se suffire à elle-même, laisse l’auditeur face à sa seule compréhension. Du point de vue de la recherche, c’est négliger l’importance de cette communication sur le processus par lequel le résultat artistique a été obtenu : ce n’est pas le critère de reproductibilité propre à la recherche scientifique qui en est l’objet, mais partager l’expérience en communiquant sur le processus permettra à d’autres, en connaissance de cause, soit de le reprendre pour chercher d’autres résultats possibles, soit de chercher d’autres voies, sachant à quoi celle-là aboutit. C’est donc d’un véritable partage de connaissance dont il s’agit. Et cette communication, pour être bien entendue, nécessite d’être explicite.

Pour ce qui concerne le curriculum, ce qui est envisagé est pour moi une formation à la recherche en master et pour la recherche en doctorat. Qu’en est-il pour le 1er cycle ? C’est le principe d’une

initiation qui est posé, c’est à dire une préparation à la formation à la recherche. Est-ce là la seule perspective pour ce premier cycle ? Un certain nombre d’établissements considèrent que mettre en œuvre la recherche en premier cycle n’a pas de rôle d’initiation, mais de mise en œuvre d’une véritable démarche de recherche qui vise à une production artistique originale, démarche qui est, dès la première année, totalement intégrée à la formation.

Mais, pour illustrer comment ce concept de recherche artistique peut donner vie à une institution, je citerai l’exemple de l’Orpheus Instituut, qui, bien avant que la Convention de Bologne ne soit signée, a fait le pari de consacrer l’ensemble de son objet et de ses moyens à cette recherche artistique.

L’Orpheus Instituut de Gand, premier laboratoire de recherche

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