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HISTORIOGRAPHIE, ETYMOLOGIE, BIBLIOGRAPHIE

B.1 Les élites et le social, sans intervention de l'État

1.3.6 Place du fordisme (théorie, pratique, Etats-Unis et Europe)

C'est durant les années 1920 que la deuxième révolution industrielle, débutée dès la fin du XIXe siècle et accélérée par la Première guerre mondiale252, prend son essor ; elle se manifeste par un accroissement de la production (voir tableau n° 28) et une amélioration de la productivité du travail (voir tableau n° 1). Cette dernière progresse de “30 % en moyenne aux Etats-Unis et de 60 % en Europe entre 1920 et 1929, ces deux régions fournissant en 1928 respectivement 45 % et 42 % de la production industrielle mondiale”, (Milza et Berstein, 1993:121).

Tableau n° 1 - Productivité du travail (PIB par homme/heure, en $ de 1970) (aux prix relatifs américains)

Pays 1900 1913 1929 1938

Allemagne 0,79 0,95 1,19 1,47

France 0,71 0,90 1,31 1,69

Italie 0,53 0,72 0,98 1,28

R.-Uni 1,20 1,35 1,70 1,84

Petits pays :

Autriche 0,74 0,90 1,01 1,03

Belgique 1,12 1,26 1,68 1,84

Pays-Bas 1,07 1,23 1,82 1,80

Suisse n.d. 1,01 1,68 1,84

Scandinavie :

Suède 0,59 0,83 1,22 1,55

Danemark 0,75 1,00 1,51 1,57

Norvège 0,63 0,82 1,28 1,62

Finlande n.d. 0,71 0,97 1,15

Pays extra-européens :

Etats-Unis 1,29 1,67 2,45 2,62

Canada 1,02 1,45 1,76 1,75

Japon n.d. 0,37 0,64 0,87

Australie 1,49 1,70 2,16 2,34

Source : d'après Maddison (1981:268).

Le terme générique de fordisme équivaut pour beaucoup à rationalisation du travail. Or, d'une part, les débuts du processus de rationalisation dans l'organisation du travail et la production en particulier sont antérieurs au fordisme et, de l'autre, les crises de l'entre-deux-guerres ont favorisé l'extension253, la diffusion254 et l'enrichissement de nouvelles méthodes d'organisation.

En outre, s'agissant du fordisme, selon Dockès, il faut distinguer ‘paradigme productif’ et système productif. Si le ‘paradigme productif255’ est une façon de penser la production et

252 Les belligérants ont en effet dû assurer sur la longue durée une production rationnelle et abondante d'armements performants voir nouveaux.

253 Elargissement de la production de masse, en liaison avec le développement de la grande entreprise : “Beaucoup de grandes entreprises ont en effet prolongé leurs investissements pendant la crise pour se doter des moyens de production de masse susceptibles d'abaisser les coûts et de maintenir les débouchés par une baisse de prix”, Omnès (2000:360).

254 “La crise a suscité un foisonnement de nouvelles méthodes d'organisation destinées à rendre le processus de production plus fluide, plus adaptable au marché et à mieux contrôler les coûts sans exiger d'investissements : contrôle budgétaire, service des économies et des suggestions, contrôle de fabrication pour réduire les malfaçons, progrès de la normalisation, diffusion du planning dans les secteurs de production automatisée, généralisation et diversification des systèmes de salaires au rendement (système Bedaux, Rowan, etc.)”, Omnès (2000:360).

255 “Un paradigme productif est un style technologique et économique caractérisant une étape historique dans un espace donné”. L'innovation de Henri Ford, la Ford T, est lancée en 1908, mise en place en 1914 et se diffuse dans les années 1920 ; elle “donne naissance à un paradigme à vocation universelle, le modèle Ford T”, Dockès (1993:489).

s'apparente à l'utopie256, le système productif concret doit, lui, s'adapter. D'ailleurs, alors que le paradigme, mû par son succès se diffuse, le système entre en crise déjà durant les années 1920, rattrapé par les conflits sociaux et la concurrence257. Le paradigme fordien propose une conception de l'économie globale et y ajoute une vision fordienne de la société ; elle trouve son fondement dans l'innovation salariale, le five dollar day, correspondant à un quasi doublement des salaires. Ce compromis social comporte :

° un aspect managerial : c'est la réponse de Ford à la montée du syndicalisme, à l'absentéisme et au taux de turnover258,

° un aspect économique, puisqu'il encourage l'achat des voitures Ford et, par extension, une consommation salariale de masse.

Enfin, le terme de fordisme259, selon Antonio Gramsci260, désigne l'établissement d'un nouveau processus régulateur, c'est-à-dire “la mise en œuvre d'une articulation fonctionnelle entre production de masse et consommation de masse261”.

Le succès de la production de masse du modèle unique, rencontrant la consommation de masse, n'a pu fonctionner qu'en raison d'une conjoncture exceptionnelle permettant de générer des profits extraordinairement élevés262 qui augmentent pendant la Première guerre mondiale. Ford bénéficie momentanément du quasi-monopole pour la distribution d'un produit nouveau et de grande qualité, qui génère rapidement un besoin énorme et la rationalisation du travail se diffuse à d'autres secteurs263.

Si le système de la grande entreprise commence à être plus développé en Europe au début du 20e siècle, il ne s'est pas greffé sur un substrat tel que le système américain de fabrication, ce qui fait que l'industrie mécanique s'est peu développée264. La Première Guerre mondiale permet qu'un consensus social soit créé autour d'un accroissement de la production et donne à la grande industrie les moyens d'intégrer les méthodes nouvelles au nom de la défense nationale. C'est ainsi qu'en France, parmi les promoteurs de ce consensus, on retrouvait le futur directeur de l'Organisation internationale du Travail, Albert Thomas, alors ministre, et Léon Jouhaux, syndicaliste réformiste, futur représentant syndical à l'Organisation internationale du Travail, qui lance le slogan “le minimum de présence, le maximum de production265”.

256 Dans le sens où il est une conception globale, un ‘texte’ avec sa syntaxe ; il intègre toutes les dimensions du système productif, les articule, il a vocation à régenter (au moins) le ‘domaine réservé’ et la ‘zone de partage’, parfois jusque dans les moindres détails, in Dockès (1993:487).

257 Qui prend la forme du ‘sloanisme’, venant du nom du constructeur de la Chevrolet, Alfred P. Sloan, patron de la General Motors qui se lance dans la production de masse diversifiée : division de l'entreprise en quatre départements autonomes pour différents types de clientèle, pas d'intégration verticale, augmentation de la place des sous-traitants, retour au salaire aux pièces, pas de dimension sociale.

258 Ce taux de rotation était de 370 % en 1913, in Dockès (1993:492).

259 Le néologisme de fordisme apparaît au début des années 1920 en Allemagne (pour une évolution du terme, voir : A la recherche du ‘Fordisme”, in “La lettre du GERPISA”, n° 92 (3.1995).

260 Antonio Gramsci (1891-1937) est l'un des fondateurs du parti communiste italien. C'est après la Seconde Guerre mondiale, avec la traduction d'“Americanismo et fordismo” que le parti communiste s'empare du terme. Puis, dans les années 1970, l'école régulationniste en élargit le sens et généralise son utilisation.

261 Rosier (2000:54), voir également Aglietta, M., Régulation et crise du capitalisme : l'expérience des Etats-Unis, Paris:O.Jacob, 1997.

262 Le cercle vertueux de la réussite de la Lizzie tient aux gains de productivité retirés des méthodes de production et de la standardisation du produit répercutés sur les prix, permettant une extension du marché et de nouvelles économies d'échelles.

263 Ces derniers n'ont pas de problèmes de débouchés de masse, sans compter le fait que la production de masse entraîne une pénurie d'ouvriers qualifiés surtout dans les pays belligérants et ceux qui les fournissent en équipement et munitions. La reconstruction prolonge cette problématique.

264 En France, “à partir de 1910, un certain nombre d'industriels, principalement dans le secteur automobile, appliquent certaines idées de F. W. Taylor, mais ces tentatives restent limitées au chronométrage”, in Salais et al.

(1994:139).

265 “Les ouvriers semblent avoir accepté les nouvelles méthodes de production à haut rendement lorsqu'elles étaient accompagnées d'une hausse des salaires, mais restent très hostiles au chronométrage”, in Salais et al. (1994:133).

Au début du XXe siècle, Thomas est devenu un homme d'action de par son refus d'accepter la misère ouvrière ; son adhésion au réformisme ne réduit pas l'ardeur de ce premier engagement.

Il parie sur la conciliation et le dialogue pour l'amélioration de la condition ouvrière. Son expérience du ministère de l'armement durant la Première Guerre mondiale et les rapports qu'il a eus avec le milieu patronal, lui ont rendu évidente l'importance de la bonne marche de l'économie. Les évolutions intervenues font que la question sociale doit être envisagée autrement. “La rationalisation est devenue la base de sa réflexion sur le travail. C'est désormais la construction d'une société industrielle de masse qui doit permettre la satisfaction de revendications sociales au besoin transformées266”.

Ainsi, la problématique du chômage doit-elle être intégrée dans la formation et le développement de l'État social mais également – et parallèlement – dans le contexte économique de changement du marché du travail induit par la rationalisation du travail. En outre, les crises économiques mettant à mal la théorie du libéralisme économique et de la non intervention de l’Etat font envisager cette problématique à la lumière non seulement des réflexions sur l’organisation du système économique mais également des bouleversements politiques de certains pays qui basculent dans l’autoritarisme, le fascisme ou le totalitarisme.

Enfin, nous verrons comment le BIT envisage ces changements et comment, parallèlement à son action normative, il les envisage et quelles sont réflexions qu’ils lui inspirent.

266 Guérin (1996:43).