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HISTORIOGRAPHIE, ETYMOLOGIE, BIBLIOGRAPHIE

3. ÉVOLUTION QUANTITATIVE du CHÔMAGE : des premières mesures du chômage avant la création de l'OIT, aux TRAVAUX STATISTIQUES de L'OIT et leur

3.1.2. B Les chômeurs dans les recensements officiels

Inclure les chômeurs dans une des catégories du recensement officiel de la population n'est pas évident à cette période, car le recensement concerne la population au niveau national, alors que jusque-là le problème du chômage est abordé localement ou professionnellement. Dès le début du XXe siècle, l'utilisation d'autres méthodes statistiques permettent de contourner cette difficulté ; le chômage n'est cependant pas homogène15 et sa définition est subordonnée à celle des personnes actives, des

12 “Lorsque la législature du Massachusetts crée un Bureau of Statistics of Labor en 1869, ou le Congrès un Bureau of Labor en 1884, il est clair qu'il s'agit de donner ainsi aux organisations ouvrières une place au sein de l'administration de l'Etat, ou de l'Union. Les premiers responsables de ces institutions sont d'ailleurs dans les deux cas des dirigeants ouvriers. En Grande-Bretagne et en France, (…) des cadres issus des syndicats sont recrutés parmi le personnel permanent ou temporaires des services centraux et comme correspondants locaux”, Topalov (1994:302).

13 Ces dernières “remplissent chaque mois ou chaque trimestre des questionnaires formulés au plus près des informations dont disposent les secrétaires des syndicats locaux, de leurs intérêts et de leur vocabulaire, sur lesquels ils doivent reporter le nombre de leurs adhérents et celui des chômeurs parmi ceux-ci. Ces données chiffrées sont le plus souvent utilisées en raison de leur continuité. Les résultats de ces enquêtes sont dans un premier temps disséminés au fil d'un texte décrivant la situation du marché du travail dans tel ou tel lieu ou profession, ce qui donne des éléments de solution dans les conflits”, Topalov (1994:302).

14 Les trade unions se développent légalement depuis 1871 et les syndicats professionnels depuis 1884.

15 Le sans travail peut l'être volontairement ou non, avoir travaillé régulièrement ou pas, etc.

salariés et des causes du chômage. Les solutions à ces trois problèmes varient selon l'évolution des statistiques nationales et aboutissent, par des chemins différents, à l'établissement d'une nouvelle conception, moderne, du chômage chez les statisticiens officiels. Chaque pays envisage différemment les moyens d'enregistrer et de résoudre le problème du chômage selon l'orientation prise et l'avancement de l'élaboration des concepts qui permettent de recenser la population active, les professions et le salariat :

B.1 La définition de la population active

Aux États-Unis, l'administration du recensement dispose depuis 1870 de la catégorie moderne de population active, lorsqu'en 1880 elle pose pour la première fois une question sur le chômage. Le risque que se déclarent sans emploi des vieillards infirmes, des rentiers ou des membres des classes indigentes, vagabonds et criminels est d'emblée exclu puisque la question sur le chômage n'est posée qu'aux personnes de plus de dix ans qui se sont déclarées comme ‘exerçant une occupation rémunérée’.

La France introduit une nouvelle définition de la population active à l'occasion du recensement de 1896.

B.2 La définition du salariat

Aux Etats-Unis, le dénombrement des chômeurs par le moyen des recensements va poser problème au niveau de la distinction entre le chômage des ‘travailleurs indépendants’ et celui des ‘salariés’. En effet, le recensement confond ceux qui sont inactifs parce qu'ils choisissent de l'être et ceux qui le sont parce qu'ils ne peuvent trouver de travail, difficulté à laquelle s'ajoute celle de la raison de l'inactivité. Dès lors, les États-Unis finissent par juger inutilisables les recensements effectués entre 1880 et 1900 en raison de l'absence d'une définition statistique du salariat.

En Grande-Bretagne, la fiabilité de ces chiffres, jugée trop aléatoire par les autorités statistiques, est considérée comme un obstacle majeur à tout dénombrement des chômeurs ; une question sur le chômage ne sera introduite dans leur recensement qu'en 1931 ; la Grande-Bretagne avait par ailleurs adopté une autre solution statistique les dispensant d'investiguer cette voie (voir points 3.1.3.A et 3.1.4.A).

En France, le recensement de 1896 qui introduit, entre autres nouvelles définitions, celle du salariat, fournit une réponse nouvelle à cette question et permet de donner une solution stable au problème du dénombrement des chômeurs (voir point B.4).

B.3 La notion de profession et la définition statistique du salariat

Pour figurer dans les recensements, la nouvelle notion de ‘chômage involontaire par manque de travail’ nécessite une adaptation des principes généraux du recensement des professions en définissant statistiquement le salariat. “Les systèmes de recensement aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne et en France sont très inégalement équipés, le chômage ne pouvait concerner que des individus qui exercent effectivement une profession16”. Ainsi, plusieurs conditions président au dénombrement des chômeurs :

16 Topalov (1994:341).

° Les actifs doivent être distingués des inactifs ; parmi les personnes actives, seules celles dont le travail et le revenu dépendent d'un emploi salarié sont susceptibles de relever du chômage strictement défini ;

° La notion de profession est définie comme l'exercice d'une activité rémunératrice.

Cette conception ‘moderne’ existe dans les recensements américains des professions dès le premier de ceux-ci en 1820, mais n'est appliquée à l'ensemble de la population concernée qu'en 1870 (en 1886 pour la France, en 1901 pour la Grande-Bretagne).

B.4 Le choix français : recensement professionnel, définition du salarié et définition du chômeur

L'Institut international de statistique avait adopté des Résolutions favorables au dénombrement des chômeurs par les moyens du recensement17, sans influence : seule la France réussit son projet de dénombrer par cette méthode les chômeurs, mais seulement en principe et non dans la réalité des résultats ; les autres pays, soit y renoncent (Etats-Unis18, Allemagne), soit s'y refusent (Grande-Bretagne, Pays-Bas), soit encore en restreignent beaucoup la portée. Pour eux, les difficultés inhérentes à la définition du salariat et à celles de la question des ‘causes’ du chômage compliquent par trop le problème des actifs salariés sans travail ne pouvant être considérés comme

‘chômeurs’.

Cette question sera réabordée par l'OIT par la Commission du chômage dès 1920 ; elle débordera très rapidement le seul thème du chômage mais c'est en partant de cette problématique que la réflexion sur la classification internationale des industries et des professions a débuté.

La France est donc le seul pays qui se sert, dès 1896, du recensement pour compter ses chômeurs. L'Office du travail expérimente à cette occasion de nouvelles méthodes pour le recensement professionnel et introduit de nouvelles définitions de la population active et du salariat :

° Nouvelles méthodes pour le recensement professionnel

Le recensement professionnel introduit la notion d' ‘établissement’ qui devient l'unité de base ; c'est “la réunion de plusieurs personnes travaillant ensemble, d'une manière permanente en un lieu déterminé, sous la direction d'un ou plusieurs représentants d'une même raison sociale”. Cette précision permet la distinction, d'une part entre :

° la profession (qui permet de décrire les individus),

° l'industrie, (qui permet de décrire les établissements)

et, d'autre part, d'introduire, avec la nouvelle notion de ‘situation dans l'industrie ou la profession’, de distinguer les catégories suivantes :

° ‘chefs d'établissements’,

° ‘employés et ouvriers des établissements’,

° ‘travailleurs isolés’ : cette catégorie, numériquement importante, regroupe les

‘travailleurs isolés indépendants’ et les ‘travailleurs disséminés non indépendants’ : ainsi, ceux qui travaillent seuls ou tantôt chez un patron tantôt chez un autre ne peuvent être classés comme ‘chômeurs’. Elle est considérée comme intermédiaire, ceux qui la composent n'étant ni les patrons ni les employés de personne et il s'agit de ne pas la confondre avec ces derniers ‘puisqu'ils peuvent échapper à un certain nombre de mesures légales applicables aux uns et aux autres’.

17 Malgré de fortes oppositions en 1903 comme 1913.

18 Le Bureau of the Census fédéral utilise les recommandations de l'Institut international de statistique pour le recensement de 1910. Mais le recensement professionnel et du coup la question du chômage ne sont pas exploités ; le recensement de 1920 ne pose pas de question relative au chômage. Il faut attendre 1930 pour que le Congrès demande qu'un dénombrement des chômeurs soit effectué.

Cette division en trois catégories permet de ne poser les questions relatives au chômage qu'aux salariés, en se référant à la nouvelle définition du salariat (voir ci-dessous),

° Nouvelles définitions de la population active et du salariat : pour cette dernière catégorie, c’est la seule concernée en 1896 par la question relative au chômage, dont les causes seront distinguées, afin de ne pas confondre ceux qui se déclareraient au chômage sans entrer dans cette catégorie.

La nouvelle définition statistique du salariat se voit ainsi liée, en France, à celle du chômage ; elle implique cependant une définition restrictive du chômage. Les rapports des recensements précisent, en effet, à partir de 1901, que “le recensement n'étudie le chômage que sous un angle restreint (…) on n'y comprend que le chômage des salariés travaillant ordinairement en commun sous la direction d'un patron et qui se trouvent momentanément sans place”.

La solution française au problème du dénombrement des chômeurs est donc le fait des statisticiens officiels ; elle s'opère via la reconstruction du recensement professionnel autour de la notion d'établissement et établit une distinction entre profession et emploi : ceux qui ont une profession sont classés dans la population active ; et s'ils se trouvent sans emploi, ils peuvent être classé comme ‘chômeur’. En revanche, les travailleurs intermittents à emplois multiples (tels les travailleurs à domicile), sont inscrits dans la catégorie des 'isolés'. Cette manière de procéder aboutit au fait que le chômage par manque de travail n'est pas envisagé dans sa totalité en France.