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HISTORIOGRAPHIE, ETYMOLOGIE, BIBLIOGRAPHIE

3. ÉVOLUTION QUANTITATIVE du CHÔMAGE : des premières mesures du chômage avant la création de l'OIT, aux TRAVAUX STATISTIQUES de L'OIT et leur

3.1.3. A Application de la notion d'indice à la statistique du chômage : la Grande-Bretagne

La notion d'indice, cette ‘mesure de l'inaccessible21’ s'insère petit à petit dans le domaine des statistiques du chômage :

19 Topalov (1994:340).

20 Les premiers indices britanniques concernaient les prix, leurs premiers analogues français la prévision des crises commerciales et boursières. Il n'y a cependant pas à l'époque de remise en cause de la théorie économique orthodoxe, car ces données étaient destinées à l'étude des fluctuations du commerce (attribuées aux excès du crédit) ; il ne s'agissait pas de la notion de cycles influant sur l'industrie et l'emploi. Dans les deux pays, il faut attendre quinze à vingt ans pour que des instruments statistiques analogues soient élaborés en matière d'emploi.

21 Topalov (1994:378).

° En 1893, le Labour Department publie les résultats sous forme de séries permettant de montrer la fluctuation saisonnière du chômage. Le décalage entre les courbes d'une année à l'autre fournit une indication de l'amélioration ou de la dégradation globale de l'emploi.

° En 1895, la proposition de Charles Booth de construction d'un indice national de l'évolution de l'emploi, mesure indirecte de l'emploi et du chômage n’est pas retenue par le Board of Trade car à l'époque on ne voit pas l’intérêt de l'observation des fluctuations du chômage alors que Booth pensait pourtant qu’un tel indice pourrait être utile en jouant le rôle de baromètre de l'économie22. Ainsi, cette opportunité n'est pas saisie par les statisticiens officiels partisans de la statistique arithmétique qui ne donne pourtant guère satisfaction ; les tenants de la statistique mathématique vont occuper le terrain laissé libre.

° Dès 1886, le Board of trade collecte les ‘pourcentages des sans emploi’ (unemployment percentages) pour décrire les marchés locaux et professionnels de l'emploi, tout en associant les syndicats à l'administration ;

° En 1899, G. H. Wood, théoricien de la statistique mathématique, applique pour la première fois au chômage, la méthode des indices (index numbers), dont les variations sont cohérentes avec celles des séries numériques. Il établit une série du ‘manque d'emploi’

(want of employmen)t. Il utilise les données rétrospectives sur les ‘secours de chômage’ des syndicats, compilées par le Labour Department en 1896, et les ‘pourcentages sans emploi’.

Le graphique qu'il obtient permet de démontrer les fortes fluctuations du marché du travail d'une année sur l'autre.

° Arthur Bowley, professeur de science économique et de statistique à la London School of Economics et de mathématiques à University College, Reading, Bowley23 pense que l'indice du chômage devrait permettre de mettre sur pied une ‘politique de régulation de l'emploi par la dépense publique’, devenant ainsi l'instrument de validation d'une politique de dépense publique contre-cyclique :

° Déjà en 1905, lors des débats de la Royal Commission on the Poor Laws, parmi les propositions formulées lors des auditions, apparaît celle-ci : “il serait désirable que les autorités publiques affranchissent leur demande de main-d'œuvre, dans la mesure où celle-ci fluctue, des influences de la situation du commerce, bonne ou mauvaise et de la saisonnalité et essaient de la faire varier délibérément à l'inverse de la demande sur le marché libre24”.

° En 1906, William Beveridge intègre cette utilisation et lance l'idée du pouls de la nation au rythme duquel fluctuent de façon rigoureusement synchronisée des séries apparemment hétéroclites.

° La fixation d'un pourcentage de chômage fourni par l'indice doit servir de baromètre d'intervention : Bowley avait démontré à la Commission on the Poor Laws, en décembre 1907, comment l'Etat et les autres organismes publics, qui emploient une main-d'œuvre importante, auraient pu – en ne consacrant que 4 millions de Livres par année (sur une masse salariale annuelle de 700 millions) - éviter le chômage non saisonnier : soit en créant une réserve, soit en procédant à des commandes ; les dépenses pouvant être affectées soit à une aide accordée aux chômeurs par des travaux de secours, soit à la réduction du chômage. Il pense qu'il est possible de contrecarrer les effets des cycles économiques25. Au début du siècle en Grande-Bretagne, les fluctuations du chômage sont mises en relation avec celles du cycle des affaires ou utilisées comme critère des fluctuations de la prospérité en les mettant en relation avec les dépenses en secours du chômage.

° La nouveauté de cette façon d'envisager la dépense publique réside dans ‘ce qu'on appellera plus tard le multiplicateur’ et que Bowley formule ainsi : “Le point important que je veux le plus souligner est que dès que l'on met un ouvrier au travail, il dépense

22 Cet outil de prévision était déjà utilisé en matière de bourse, de finance et de commerce.

23 En 1903, une nouvelle crise commence en Grande-Bretagne et Bowley publie son indice en 1904.

24 in Topalov (1994:396).

25 Ce qui n'est pas le cas du Français Lazard.

son salaire, ce qui a pour résultat de mettre quelqu'un d'autre au travail. C'est comme jeter une pierre dans une mare, qui fait des ondulation, sur toute la surface”, (Bowley, 1911, in Topalov, 1994:399).

° En juin 1912, Bowley fait la première démonstration d'utilisation d'indices au chômage lors d'une communication à la Royal Statistical Society, alors que le chômage constitue un problème important. Il construit une ‘série de nombres indices26 (a series of index numbers)’ sur la période 1894-1911. C'est une série de moyennes pondérées combinant des données hétéroclites qui diffèrent en outre selon les industries et les périodes.

L'enjeu n'est pas anodin. Les observateurs avertis voient bien que l'indice permettra de suivre les fluctuations du chômage par rapport au développement de l'industrie moderne, et des fluctuations commerciales.

° Bowley continuera sa carrière et on retrouve sa trace dans un rapport du BIT de 1924 intitulé “La crise de chômage 1920-1923” dans lequel sont transcrites les statistiques qu'il a présentées lors de la Conférence de Londres sur le chômage

(organisée par l'Association pour la SDN, Londres, 25-27.3.1924) : le tableau de Bowley présente, pour les années 1920 à 1923, une comparaison des indices des salaires et des taux de chômage27. Il y est établi que malgré le fait que le seul moment où les salaires réels ont baissé, le chômage a fait de même, la relation entre les salaires et le chômage n'est pas définitivement établie

° Une première définition d'une politique de dépenses publiques contre-cycliques par les travaux publics est dans la foulée formulée dans le projet des Webb de 191028 : lorsque l'indice du chômage atteint la cote d'alerte, il faudrait que les travaux mis en réserve soient démarrés ; cette responsabilité serait du ressort de deux institutions (à créer29) : le ministère du Travail et la Bourse nationale du travail.

Dès lors, en vue de réduire ce chômage, (et non plus d'aider des sans-emploi), une nouvelle conception des travaux publics30 apparaît, celle visant à une distribution de pouvoir d'achat dans l'économie par le biais de commandes publiques ordinaires de l'Etat sur le marché du travail. D'anciennes propositions sont remises au goût du jour, telles la promotion des activités rurales, censée créer des emplois contrecarrant les fluctuations saisonnières et le ‘cycle commercial’. Le temps n'est cependant pas encore à la reconnaissance du lien de cette approche avec la thèse de la sous-consommation, supposant de s'y attaquer par une redistribution du pouvoir d'achat en faveur des revenus les plus bas31. En effet, “la statistique des fluctuations de l'emploi est perçue comme théoriquement neutre32”.

26 C'est-à-dire “une série qui reflète, dans sa tendance et ses fluctuations, les mouvements d'une quantité avec laquelle elle est en relation”, Topalov (1994:377).

27 “La crise du chômage 1920-1923”, in Etudes et Documents, Série C, n° 8, BIT (1924:117).

28 Les Webb, membres de la Royal Commission on the Poor Laws en 1907, font cette recommandation dans le rapport de la minorité intitulé ‘régularisation de la demande nationale de main-d'œuvre’ dont ils attribuent l'origine à Arthur Bowley.

29 Les Webb en suggèrent la création.

30 Cette définition d'une politique de dépenses publiques contre-cycliques donne une signification nouvelle à un ensemble de propositions anciennes. L'exigence de travaux publics pour les sans-emploi revient avec insistance depuis les années 1880 aussi bien chez les syndicats, les socialistes, les partisans du 'droit au travail' que chez les démocrates Tory et les libéraux radicaux. Si les organisations ouvrières demandaient des emplois normaux et les socialistes des travaux en régie directe, la plupart des réformateurs préconisaient des secours en travail à un taux inférieur aux salaires en usage.

31 En Grande-Bretagne, seuls Bowley (théoricien de la statistique mathématique) en 1911, ou Hobson en 1910, sont clairs sur la nécessité d'admettre la thèse de la sous-consommation.

32 Topalov (1994:400).