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HISTORIOGRAPHIE, ETYMOLOGIE, BIBLIOGRAPHIE

H.3 Le financement des travaux publics

Butler distille dans ses rapports des raisonnements sur les moyens de venir à bout du chômage que l'on retrouve chez Keynes qui traite la question du chômage sous l'angle économique et propose des solutions globales nécessitant l'application d'étapes ; il les expose dans le cadre de trois conférences données à l'occasion d'un colloque en 1931. Pour lui :

“… le traitement du chômage passe par l'accroissement des profits. Cet accroissement des profits ne peut provenir que d'une augmentation de l'investissement nouveau par rapport à l'épargne. Une augmentation de l'investissement par rapport à l'épargne doit entraîner, comme un sous-produit inévitable, une hausse des prix, qui se traduira par un allégement de la charge de la dette monétaire. Le problème se ramène donc à la question de savoir quels moyens nous pouvons employer pour accroître le montant de l'investissement; en vous rappelant que par investissement j'entends les dépenses monétaires consacrées à l'achat de nouveaux bien capitaux de toutes sortes... 25”.

Si l'on reprend les étapes définies par Keynes, il s'agit d'obtenir en premier lieu que le montant des investissements soit supérieur à celui de l'épargne. Butler l'a bien compris : à une époque où l'argent s'accumule dans les banques, où même on le thésaurise parce qu'il ne peut trouver de débouché sûr dans les entreprises privées, l'une des méthodes les plus efficaces pour le faire rentrer dans la circulation est d'émettre des emprunts pour travaux publics” financés en totalité ou en partie par l'Etat26”.

Les moyens à mettre en œuvre pour faire redémarrer l'activité économique, restaurer les profits et faire remonter les prix, on l'a vu, pour Keynes, sont : la restauration de la confiance tant pour le prêteur que pour l'emprunteur, les travaux publics entrepris par l'État sur la base d'emprunts à bon marché et la baisse du taux d'intérêt. “Le reste est essentiellement un problème de technique bancaire27”. Butler ne dit pas autre chose :

“Toute politique nationale de travaux publics, toute autre mesure propre à maintenir la stabilité financière, ou à ranimer l'emploi, ne peut être conçue et appliquée que par le gouvernement agissant en liaison avec le système bancaire28”. En mars 1933, dans une série d'articles parue sous le titre de The Means to Prosperity, Keynes revenait sur l'importance de l'initiative par les pouvoirs publics d'entreprendre des dépenses financées par l'emprunt :

“C'est aux pouvoirs publics qu'il appartient de franchir le premier pas. L'initiative devra probablement être de grande ampleur et menée avec détermination si l'on veut qu'elle suffise à briser le cercle vicieux dont nous sommes prisonniers et à enrayer le dépérissement progressif qui fait que les firmes jettent l'éponge les unes après les autres et cessent de produire à perte puisque l'espoir de voir la persévérance récompensée se révèle vain”, (Keynes, 2002:184).

La coopération nécessaire entre le système bancaire et l'action du gouvernement dans l'initiative d'entreprendre des travaux publics financés par l'emprunt est donc considérée

24 Keynes, “Une analyse économique du chômage”, texte des conférences données les 22 et 26 juin et le 2 juillet 1931 dans le cadre du colloque sur le chômage organisé par la Harris Memorial Foundation. Keynes y avait été invité par Quincy Wright, économiste de Chicago, in Keynes, (2002:132-160), pp. 156-157.

25 Keynes (2002:155), “Une analyse économique du chômage”, texte des conférences données les 22 et 26 juin et le 2 juillet 1931 dans le cadre du colloque sur le chômage organisé par la Harris Memorial Foundation.

Keynes y avait été invité par Quincy Wright, économiste de Chicago. “Le diagnostic et les remèdes qu'il présenta à ses interlocuteurs américains trouvaient leurs fondements théoriques dans le Treatise on Money qui avait été publié en décembre 1930”, Fitoussi et Leijonhufvud in Keynes, (2002:132-160).

26 Butler, “Rapport du directeur”, in Conférence Internationale du Travail , 17e session (1933:23).

27 Keynes (2002:155).

28 Butler, “Rapport du directeur”, in Conférence Internationale du Travail , 17e session (1933:23).

comme une évidence de part et d'autre. Un autre point de convergence réside dans l'affirmation “qu'une action internationale conjuguée est au cœur de la politique à mettre en œuvre29” dans ce domaine. Keynes et Butler insistent tous deux sur cet aspect, le premier à travers le chapitre cinq de l'article “Means to Prosperity30” intitulé “Une proposition pour la Conférence économique mondiale”, le second dans son rapport du directeur lors de la Conférence Internationale du Travail de 1933.

Cette importante Conférence économique mondiale de Londres, initiée par les chefs d'États occidentaux, est destinée à définir une stratégie commune de sortie de la crise au niveau international. Keynes, qui participe depuis le début des années 1930 aux cercles de réflexion économiques et politiques “gravitant autour du pouvoir et du ministère des Finances en particulier31”, propose des solutions en contradiction avec la rigidité budgétaire orthodoxe adoptée par la Grande-Bretagne à ce moment-là. Butler, dans son rapport, en évoquant la coopération entre institutions bancaires et gouvernements, préconise de “substituer l'organisation prévoyante au fonctionnement automatique du système économique sur lequel on se reposait autrefois”, comme si c'était déjà du passé.

Pour Keynes, le seul moyen de faire monter les prix mondiaux consistant à accroître partout la dépense financée par l'emprunt, il propose que cette question soit le thème central de la Conférence économique mondiale qui doit se tenir à Londres en juin-juillet 1933. Pour parvenir à cette augmentation des prix, il pense “que trois moyens et seulement trois, sont susceptibles de nous aider à atteindre cet objectif32”. Le premier consiste en des prêts directs à l'étranger consentis aux pays plus faibles. Butler évoque à ce sujet la “politique internationale de crédit 'dirigé', qui pose le problème de la fourniture des capitaux aux pays qui en ont besoin.

Le second moyen proposé par Keynes consiste en l'accroissement de la dépense financée par l'emprunt à l'intérieur des pays les plus solides financièrement. “Cela remettrait la machine en marche” en générant un flux de consommation de biens produits dans le pays et en induisant la consommation de biens importés. Cependant, il ne croît à l'efficacité de ces mesures que si “de nombreux pays procèdent à des baisses d'impôt et à des dépenses sur emprunt substantielles et plus ou moins simultanées. Nous devrons attacher beaucoup d'important à la simultanéité dans l'accroissement des dépenses33”.

Les préalables à ces actions, selon Keynes étant la liquidation des dettes de guerres et des réparations. Enfin, “Aucun remède ne pourra être rapidement efficace s'il ne calme pas l'inquiétude des Trésors et des banques centrales du monde entier en leur fournissant des réserves de monnaie internationale mieux appropriées à leurs besoins”. Pour ce faire, les réserves additionnelles devraient être basées sur l'or, elle devraient être accessibles et enfin, la souplesse de fonctionnement de l'encours des réserves supplémentaires nécessitent la création d'une institution internationale “qui émettrait des billets gagés

29 Keynes (2002:187).

30 Keynes (2002:161-193).

31 Fitoussi et Leijonhufvud in Keynes (2002:162 et note 1) : Keynes était notamment membre de la commission économique des finances et de l'industrie, présidée par Macmillan (et réunissant McKenna, Gregory, Bevin), qui auditionna la plupart des décideurs économiques nationaux durant l'année 1930. Surtout, il présidait l'Economic Advisory Council (qui réunit Henderson, Pigou, Robbins, Stamp) par le biais duquel il cherchait à peser sur les décisions du Trésor et de la Banque centrale auprès desquels il jouissait d'une audience certaine”.

32 Keynes (2002:185). Il ne s'agit pas de sous-entendre que ces idées n'émanent que de Keynes. S'exprimant sur celles-ci, il écrit “après avoir beaucoup discuté et emprunté aux idées des autres, je suis convaincu que le meilleur est celui que je vais exposer. Si d'autres variantes recueillaient une approbation plus large, ce serait une raison de les préférer.

33 Keynes (2002:186).

sur l'or, dont la valeur nominale serait alignée sur la valeur en or du dollar34”. Keynes avait déjà fait une proposition similaire après la publication en 1923 de son Traité de la Monnaie en évoquant la coopération nécessaire entre banques centrales afin de cadrer les conditions monétaires dans le but de stabiliser l'économie internationale. Il suggérait35 la création d'actifs de réserve nouveaux qu'une ‘autorité internationale’ avancerait aux banques centrales des pays qui éprouvent des difficultés temporaires de leur balance des paiements36. Il mentionne déjà le soutien direct des dépenses d'investissement par le gouvernement au moyen de ‘grands travaux’ (public works) :

“C'est une arme qu'un pays peut utiliser lorsque son déséquilibre externe entraîne un chômage sévère (…). Dans une telle situation, les prêts de l'autorité internationale ne sont sans doute pas suffisants (…). Le gouvernement doit lui-même promouvoir un programme d'investissement37”.

Cette internationalisation intéresse vivement l'OIT qui y voit la possibilité de concrétiser l'idée de financer des travaux publics et, fait rare, Butler cite Keynes (Thomas l'avait fait dans son rapport du directeur de 1931)

“Sans se dissimuler les difficultés considérables d'obtenir les fonds nécessaires dans les conditions actuelles, cette commission a recommandé à la Conférence de Londres d'étudier la question comme moyen d'encourager les mouvements des capitaux. Depuis lors, M. J. M. Keynes38 a démontré avec force qu'il était économiquement nécessaire d'essayer de rétablir la circulation internationale des capitaux en organisant une expansion monétaire conçue et dirigée par une autorité internationale39”.

En ce qui concerne l'argument de la restauration de la confiance afin de relancer l'investissement, Butler en relève l'importance :

“Par ailleurs, l'argument que les travaux publics constituent un moyen indispensable pour stimuler l'activité industrielle, à une époque où la confiance est insuffisante pour étayer l'entreprise privée, semble gagner du terrain. Il est certain que les mesures prises dans un certain nombre de pays, pour entreprendre des travaux de construction de différente nature, a puissamment contribué à diminuer le volume effectif ou virtuel du chômage40”.

Les exemples présentés dans le rapport du directeur de 1933 ne donnent pas une vue exhaustive des actions gouvernementales pour mettre en train des travaux publics dans le but de créer des possibilités de travail ; ils donnent cependant une idée de la diffusion de cette méthode destinée à réduire le chômage dans les pays qui y ont eu recours.

En se demandant s'il n'est pas préférable de subventionner le travail plutôt que l'oisiveté, Butler relève que ce thème est “l'un des principaux sujets de discussion entre partisans de la déflation et de l'inflation41”, problématique sur laquelle Keynes s'était déjà exprimé en décembre 1923 dans A Tract on Monetary Reform, La réforme monétaire, ouvrage qui réunit l'essentiel des thèses qu'il a défendues depuis le début des années 1920 sur la politique monétaire et sur les problèmes de change. Il s'agit de son premier écrit de théorie monétaire, destiné au grand public. Il y étudie les conséquences d'une variation de la valeur de la monnaie sur la répartition des richesses de la collectivité et sur le niveau global de la production :

34 Keynes (2002:188) Keynes fait allusion à la libre convertibilité en or du dollar, sur la base de 35 dollars l'once. Le Fonds monétaire international serait aujourd'hui l'exemple le plus proche de l'institution que Keynes proposait de créer.

35 Comme ‘solution minimale’ la possibilité pour les banques centrales de détenir au moins la moitié de leurs réserves légales en monnaies étrangères. La seconde solution était qualifiée de ‘maximale’, in Henry (2003.134).

36 Propositions qui serviront de base de discussion lors de la création du FMI. Voir Henry, A quoi sert le FMI ?, Paris:Studyrama, 2002.

37 Keynes, Collected Writings (CW 6, 361).

38 Keynes, The Means to Prosperity, Macmillan, 1933.

39 Butler, “Rapport du directeur”, in Conférence Internationale du Travail, 17e sessions (1933:72).

40 Butler, op.cit., 1933.

41 Butler, op.cit. (1933:23).

“L'inflation qui déclenche la hausse des prix est source d'injustices parce qu'elle modifie la répartition des richesses entre les individus et les classes et qu'elle décourage donc l'épargne ; de son côté, la déflation appauvrit les salariés et les entreprises, car elle incite les entrepreneurs à restreindre la production afin de ne pas subir eux-mêmes de pertes ; elle est donc d'un effet désastreux sur la situation de l'emploi42”.

Butler évoquait en quelques phrases plusieurs problématiques autour de la crise économique et des moyens d'y remédier. En ce qui concerne l'utilité d'entreprendre des travaux publics pour construire des logements, Keynes s'était exprimé sur ce sujet en mars 1933 : “… la nation tout entière serait plus riche si l'on utilisait les hommes et les machines inemployés à construire des logements, tellement nécessaires, au lieu de les entretenir à ne rien faire43”. Keynes, on l'a vu, s'engage fortement en vue de la Conférence économique mondiale de 1933. Il tente, au sein des comités d'experts qui préparent la Conférence, de convaincre de l'utilisé d'une coordination politique entre grandes puissances pour résoudre les tensions financières nées de la baisse des prix et de réunir les conditions d'un redémarrage de la demande au niveau mondial. L'OIT tente de son côté, dans cette perspective, d'attirer l'attention de la Conférence sur l'importance d'un engagement de grande ampleur des pays membres sur la question des travaux publics.

H.4 Echec de la Conférence de Londres, en route vers