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A De l'assurance-chômage à la Sécurité sociale : destinées nationales et inscription internationale

HISTORIOGRAPHIE, ETYMOLOGIE, BIBLIOGRAPHIE

2.2.2. A De l'assurance-chômage à la Sécurité sociale : destinées nationales et inscription internationale

Les pays du continent européen choisis ici sont indéniablement en avance par rapport aux pays d'outre-mer en matière d'assurance, d'une manière générale et de l'assurance chômage en particulier. Ils se divisent entre adeptes de l'assurance obligatoire et facultative; leurs législations ont néanmoins des corpus communs.

Le choix de ces pays par rapport au rôle de l'OIT en matière de chômage peut poser problème, (comme nous l'avons déjà signalé dans l'introduction) :

° L'Allemagne, membre depuis 1920, se retire en 1933. Toutefois, jusque-là, elle a rempli ses obligations et des informations sur la situation en Allemagne continueront à parvenir et seront publiées dans diverses revues du Bureau international du Travail.

° L'Italie n'envoie plus de délégué à partir de 1936. Les mêmes remarques que pour l'Allemagne sont valables. Le directeur du Bureau international du Travail, dans son rapport de la CIT de 193261, s'exprime sur le chapitre des rapport de l'Organisation quelques grands pays : “au risque d'endurer une fois de plus le chagrin de malentendus ou d'erreurs, au risque de susciter des critiques malgré notre prudence attentive, nous croirions manquer à notre devoir si nous ne tentions de définir ici quelques-unes de nos appréhensions, quelques-unes de nos inquiétudes dans les relations avec plusieurs des états industriels les plus importants.

“Avouons d'abord que nous devons prendre attention à nos rapports avec l'Italie. Une difficulté persiste, que nous n'avons pu résoudre jusqu'à ce jour : celle de la discussion qui revient annuellement sur le choix du délégué ouvrier de ce pays :

° Au point de vue positif, le gouvernement italien a toujours eu satisfaction. Des majorités accrues se sont prononcées contre les demandes d'invalidation de son délégué. Le débat est, comme on l'a dit, devenu rituel.

61 “Rapport du directeur”, in Conférence Internationale du Travail, 16e session (1932:884-885).

° Au point de vue moral cependant, le gouvernement italien a fait sentir, à la dernière session, que ce débat, même rituel, lui paraissait contraire à sa dignité et à ses droits. “Cet isolement moral de l'Italie constituerait un amoindrissement grave de notre œuvre”.

° La presse fasciste nous fait dire toujours que l'Italie est à la tête de la politique sociale de tous les pays.

° Les écrivains anti-fascistes, de leur côté, nous accusent de manquer de critique et nient la réalité de cette politique.

° Ce qui est vrai, ce qui est sûr, ce que l'intérêt général commande, c'est que le Bureau puisse poursuivre, avec les représentants de l'Italie, son effort d'enquête, d'information, d'analyse objective et même critique, sur la politique sociale de l'Italie, sur ses principes et sur ses résultats. Le Bureau international du Travail a toujours estimé et montré que l'expérience italienne contenait, surtout pour les pays de l'Europe occidentale – si l'on fait abstraction de toute pensée politique – des initiatives, des tentatives d'organisation, des méthodes qui méritent de retenir son attention autant que l'expérience russe”.

Nous avons choisi de reporter ces passages afin d'illustrer le malaise du Bureau international du Travail qui ne sait trop quelle attitude adopter.

Se distinguent nettement de ce schéma : les États-Unis jusqu'en 1935, le Canada, l'Australie et le Japon, qui sont nettement en retrait vis-à-vis de l'adoption d'une assurance et qui privilégient l'assistance. Par rapport à une optique assurantielle, ces pays sont en

‘retard’. Il s'agit cependant de se garder de tout déterminisme par rapport à leur évolution, qui peut mener à adopter une vision univoque de l'histoire, menant à l'idée d'un évolutionnisme social parent de la “phylogenèse62” ; ou à une vision économiste et déterministe du ‘progrès social’ fondée sur l'idée de ‘convergence’ et véhiculée par l'approche socio-économique qui voudrait que le degré d'industrialisation soit la ‘racine causale’ de l'État-providence63. L'utilisation du cadre d'analyse du néo-institutionnalisme, historique agrémenté des facteurs socio-économiques proposé par Béland64 (voir lexique) éclairent le cas du Japon que nous allons exposer ci-après :

Les cas des Etats-Unis et du Japon, en terme de relations du travail, sont exemplaires à cet égard : ces deux pays, à travers l'adoption de la méthode des contrats de travail

‘implicites’ expérimentent en effet un développement institutionnel parallèle. La dépression des années 1930 provoque une bifurcation de ce modèle d'équilibre au niveau de cette forme de contrats de travail. Moriguchi (2003), compare les trajectoires institutionnelles de ces deux pays ; en combinant investigation historique empirique et théorie des jeux, il nous permet de mieux comprendre, en l'occurrence, la dynamique de ces changements institutionnels :

° Les Etats-Unis, confrontés à l'ampleur de la dépression des années 1930 sont amenés à passer d'un système où primait, dans nombre de grandes industries, un modèle de ‘welfare capitalism65 ou ‘corporate welfarism’, à un changement institutionnel instaurant l'organisation de négociations collectives et des programmes de sécurité sociale étatiques. Le Congrès vote en effet le Social Security Act le 15 août 1935. La loi du 14 août 1935 incite les Etats, par un système de subventions, à créer des systèmes d’assurances chômage Compulsory State Unemployment compensation, (la moitié du salaire pendant seize semaines au maximum et

62 Dockès et Rosier (1988:14).

63 Wilensky, Harold M., The Welfare State and Equality : Structural and Ideological Roots of Public Expenditures, Berkeley, University of California Press (1975:47).

64 Béland, D., “Néo-institutionnalisme historique et politiques sociales : une perspective sociologique”, in Revue Politique et Sociétés, vol. 21, n° 3 (2002:21-39).

65 Où les contrats de travail étaient implicites mais comportaient des compensations dans plusieurs domaines sans être institutionnalisées, in Moriguchi (2003), qui analyse et compare l'impact de la grande dépression sur le private welfare capitalism, qui a induit des changements institutionnels dans les relations de travail entre 1920 et 1940 aux Etats-Unis et au Japon.

limitait à 44 heures le durée hebdomadaire du travail). Mais la loi ne comprenait pas des dispositions d’assurance sociales :

« L’idéologie du Welfare State y fit inclure un système d’assistance aux vieillards, un régime de subventions aux Etats pour l’aide accordée aux familles ayant des enfants à charge, et aux mères dont le soutien de famille a disparu (…). L’ensemble de ces dispositions doit enfin être rapproché des mesures tendant à une modification de la structure sociale, et qui forment l’ensemble de la politique de sécurité sociale66. Les une ont eu pour objet de prévenir le chômage et d’assurer le développement de l’activité économique. D’autres intéressent la politique de la santé publique.

La politique américaine introduisit ainsi dans la politique de sécurité sociale, une préoccupation nouvelle, celle de la prévention des risques sociaux. Cette tendance devait être reprise d’une matière remarquable au Canada, dans le rapport Marsh, établi sur la demande de la Chambre des communes », Rouast, Durand (1958 :22-23).

° Le Japon connaît également le modèle du ‘welfare capitalism’. Alors qu'aux Etats-Unis l'ampleur de la dépression provoque une rupture, au Japon, la dépression étant moins sévère, les contrats implicites sont maintenus et des lois complémentaires légitiment ces pratiques.

Durant les années 1920, le Japon connaît une brève période de démocratie parlementaire.

Entre 1930 et 1932 le parti Minseito, majoritaire à la chambre basse, introduit trois projets de lois à la diète, comparables à la législation du New Deal à la même période :

° Le projet de redressement économique autorisant les entrepreneurs à former des cartels.

° Le projet relatif aux syndicats, reconnaissant le droit aux négociations collectives. Les employeurs japonais formèrent immédiatement un front uni contre le projet syndical, arguant qu'il ne ferait qu'intensifier les conflits du travail et créer de graves conséquences pour le développement industriel. Ils sont persuadés en outre qu'une telle loi mettrait en danger le système existant : les associations d'aide mutuelle créées par nombre d'employeurs ayant créé la confiance entre employeurs et employés. La législation syndicale fut bloquée, les travailleurs ne la soutinrent pas, la réputation de management bénévoles des employeurs ayant été préservée. Le nombre de membres des syndicats augmente jusqu'en 1936 mais la plupart des établissements ayant adopté le corporate welfarism restent en dehors du syndicalisme et leurs membres surpassent ceux des syndicats. A partir de 1937, commence la répression du syndicalisme (voir annexe J4 : effectifs des syndicats).

° Le projet d'assurance-chômage national : l'élaboration de la loi d'assurance-chômage initiée en 1932 se heurta à l'opposition du patronat pour qui l'intervention de l'Etat n'est pas nécessaire à partir du moment où la retraite prévue par les corporations professionnelles existe. La loi d'assurance chômage se transforme donc en loi d'allocation de retraite en 1936, obligeant chaque établissement de 50 ou plus employés à prévoir un fonds d'allocation de retraite pour chaque employé.

Puis le pouvoir politique revient aux mains des militaires.

° La Nouvelle-Zélande, qui n'est pas étudiée dans le cadre de ce travail, adopte, en 1938, un Social Security Act , première vraie application de la sécurité sociale, puisque l'ensemble de la population se voit garantir une protection sociale en cas de besoin : “Cette loi réconciliait pour la première fois la forme et le fond, l'appellation et l'institution, en conférant au nouveau mode de protection une vocation d'universalité et d'intégralité67”.

°

66 Cependant, bien qu'elle omette d'inclure la maladie, l'invalidité et qu'elle ne tienne pas compte d'une partie des salariés et des indépendants, cette législation “marque une étape importante dans l'élaboration du concept de sécurité sociale” (Bonvin, 1998:237).

67 Perrin, in Bonvin (1998:237). Un service national de santé ouvert à toute la population est institué, ainsi qu'un système de garantie de revenu, octroyé sous condition de ressources et assurant la couverture de tous les risques.

Si l'adoption de ces nouveaux principes marque un tournant important sur le plan théorique, il a fallu la Deuxième Guerre mondiale pour que le principe de la sécurité sociale parvienne à susciter un engouement international et une adhésion rapide. La Charte de l'Atlantique, signée le 12 août 1941 par Roosevelt et Churchill, apporte une première consécration internationale au principe de la sécurité sociale. Le point 5 affirme des principes que le Bureau international du Travail prônait depuis longtemps et on ne sera pas étonné qu'il les reprenne à son compte. Il affirme en effet la nécessité de “la collaboration la plus complète entre toutes les nations dans le domaine économique, en vue de procurer à tous de meilleures conditions de travail, le progrès économique et la sécurité sociale”.

Le Directeur du Bureau international du Travail affirme ainsi, lors de la Conférence de New-York68 en octobre 1941, l'attachement du Bureau au principe de la sécurité sociale69. L'intégration des divers champs de l'assurance sociale dans un système est donc recommandée et le Bureau international du Travail collabore à la rédaction du Plan Beveridge.

Lord Beveridge présente en 1942 en Grande-Bretagne son ouvrage intitulé Insurance and allied Services, considéré comme ayant représenté « l’influence la plus profonde dans l’élaboration du système moderne de la sécurité sociale70 ». Jusque-là la protection de la population n’était pas assez efficace car le domaine d’application du système britannique d’indemnisation des risques sociaux était trop limité car il concernait essentiellement des salariés. Parmi les nombreuses critiques émises : les prestations étaient soumises à des conditions trop strictes ou d’un trop faible montant, voire versées durant des périodes de temps trop courtes. Il s’agissait donc de réformer le système britannique ce qui supposait une extension de la législation d’assurances sociales à l’ensemble de la population, une couverture plus systématique des risques sociaux, notamment par la création d’un régime d’allocations familiales, et une amélioration du régime des prestations.

«Toutes ces mesures devaient traduire une idéologie commune consistant à abolir l’état de besoin par une large redistribution du revenu. Tel est le sens profond de la généralisation de la sécurité sociale ; l’extension de la sécurité sociale à tous les éléments d’une population a pour effet d’établir entre eux une solidarité, de supporter plus facilement la charge de la sécurité sociale, et d’opérer la redistribution du revenu national»Rouast, Durand, (1958:24-25).

Par son plan, Beveridge propose la réorganisation de l’assurance nationale assortie de deux autres suggestions : la création d’un service national de santé chargé de la prévention et du traitement des maladies, ainsi que de la réadaptation médicale à l’emploi et l’élaboration d’une politique de plein emploi. « Ainsi se trouvaient annoncés deux nouveaux rapports, qui devaient compléter sur des points essentiels la définition de la politique de sécurité sociale 71». Ce plan vise donc la garantie du minimum vital. D'aucuns considèrent ce Plan comme “la source d'inspiration principale de la conception moderne de la sécurité sociale. Ce document énonce diverses propositions de réforme de la législation

68 “Rapport du Directeur”, in Conférence Internationale du Travail, BIT:Montréal (1941:43).

69 La Conférence adopte une Résolution qui appuie la Charte de l'Atlantique.

70 Rouast A., Durand, P. (1958 :23).

71 Rouast A., Durand, P. (1958 :26).

sociale anglaise, qui reposent sur deux piliers, le principe d'universalité72 et le principe d'unité73”.

Plusieurs pays s'engagent sur la voie de la sécurité sociale, permettant à l'OIT, lors de la Conférence Internationale du Travail de 1944, d'élargir son mandat et de “l'inscrire résolument dans la perspective des droits de l'homme74”. Ainsi, la Déclaration de Philadelphie, adoptée lors de cette session, évoque la sécurité sociale dans des termes qui annoncent sa prochaine insertion dans la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme.

Dès lors, la prévention sociale ne se limite plus aux droits du travailleur. L'important est que la Déclaration de 1944 ait été incluse formellement dans la Constitution de 1946. L'OIT bénéficie d’une compétence élargie dès cette date.