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La photographie : un rôle de révélateur

Chapitre III Cadre théorique et conceptuel

3.3 La dimension relationnelle de l’art

3.3.2 La photographie : un rôle de révélateur

Le processus de création artistique apparaît comme « un miroir où vous pouvez observer le produit de votre expression afin d’en tirer des informations jusqu’alors enfouies dans le monde du dessous. […] L’art sert de révélateur à ce qui échappe au nouveau conscient. » (Jobin, 2010, p. 39)

Cette fonction de représentation de ce qui est caché reste à définir : de quelle manière et avec quelles limites l’image peut-elle révéler une pensée, une culture ou encore une société? Pour tenter d’apporter des éléments de réponse dans le cadre de la présente recherche, le choix de la photographie a servi de support de mémoire, de témoin de la vie et de reflet de l’intime. Une photo est une reproduction du réel, pourtant celle-ci n’est pas totalement objective. En effet, au moment de la prise de vue, d’un élément concret, par exemple, s’ajoute une part de subjectivité rendant perceptible la vision de son auteur.

Cet échange dynamique entre le réel et l’imagination peut se comprendre comme « “une sorte d’harmonie vibratoire” entre la vision intérieure de l’artiste et la vision de l’objet attractif. » (Guillin-Hurlin, 2010. p. 254) La photo « s’inscrit comme le fruit du mouvement intérieur de l’artiste » (Ibid. p.255) et « la vie intérieure de l’artiste devait se sentir fortement dans l’image. » (Ibid. p.254) L’image, à elle seule, ne peut sans doute pas dévoiler tous les éléments cités plus haut, mais elle peut révéler partiellement notre état d’esprit, nos ressenties, et notre vision intérieure. De plus, elle nous permet de « revoir un moment du passé, pour réévaluer des perceptions, ressentir le chemin parcouru, faire la paix avec certains souvenirs, travailler des thèmes ou encore pour entrer en relation avec des personnes ou avec vous-même de façon créative. » (Jobin, 2010, p.158)

L’image comporte bien évidemment une part de réalité et de rationalité en tant que représentation d’objets perceptibles, mais elle évoque également des éléments inconscients en lien avec notre idéologie, notre intellect, nos interprétations, nos désirs et nos expériences. Qu’on ne s’en aperçoive pas ou qu’on tente de les atténuer, il y a toujours quelque chose qui nous échappe et qu’on laisse inconsciemment présent dans l’image. Comme l’écrit Bernas, « l’image est le lieu de charge et de décharge des idéologies qui s’en emparent, » elle « induit un jeu subjectif et moral au sein de notre rapport au voir et à l’aspect curieux de nos projections. » (Bernas, 2009 p 13)

« L’image est chargée de notre subjectivité, » (Bernas, 2009, p.12) elle « est la composante d’une expérience qui se joue sur un double terrain, celui de la camera obscur (la boîte noire) et sur celui de la boîte noire psychique (l’esprit). » (Ibid, p.8) Selon notre métier,

notre culture, notre éducation, nous avons des perceptions variées sur la vie et sur la société. Or, ces différences paraissent également dans la photographie. « L’image est empreinte charnelle du vécu de la vision. […] À travers l’image, l’homme construit “la conception du monde qu’il se fait”. » Elle « possède un pouvoir incarnationnel qui part du visible et qui parvient à créer de l’invisible. » (Ibid, p.185)

L’image parait également comme « le lieu de partage du sensible » et elle « fait émerger, en photographie, un double désir : celui de capturer le visible insaisissable et celui de représenter le perçu et le senti. » (Ibid, p.8) Rapportée à l’échelle des participants, cette analyse de l’image permet de comprendre davantage le groupe étudié, la vision qu’ils partagent de leur vie d’immigrants au Canada, à Montréal plus précisément, leur perception de leur nouvelle identité, leurs idées pour l’avenir et cela révèle aussi certains éléments sur la communauté chinoise locale.

Dans le cadre de cette étude, la photographie n’a pas été réduite uniquement à une activité artistique, mais comportait surtout une utilité sociale et relationnelle comme nous l’avons vu précédemment. Au-delà de l’aspect technique, des appareils utilisés et des lieux visités, les images ont volontairement servi de moyen d’intervention dans la communauté à travers les ateliers, se sont révélées être de puissants outils de communication qui surpassaient largement le stade du langage verbal. La photographie a aussi permis de provoquer un réel échange teinté d’intimité et de convivialité, parallèlement à l’échange verbal. Ce moment de partage a permis d’explorer une réalité intérieure allant au-delà du contenu présenté dans l’image. Pendant les ateliers, les photographies ont levé le voile sur des aspects que les participants n’auraient pas abordés d’emblée oralement.

Les moyens et les outils mis en place lors de ces ateliers devaient servir de prétextes à l’établissement de relations humaines. Par le biais des échanges ainsi générés par les activités ludiques et le support photographique, l’expression créative aura permis d’identifier les éléments caractérisant la vie d’immigrants chinois de Montréal. Par leur participation, leur réalisation, leur créativité, leur enthousiasme, ils ont contribué à mettre en valeur des aspects riches et colorés de leur réalité.

3.3.3 Le processus de création

La recherche fait souvent référence à la théorie, alors que la création est plutôt associée à la pratique. Ce projet a comme particularité d’établir une relation interactive entre ces deux éléments : la recherche se présentant comme « un processus intellectuel qui conduit à l’analyse, au démembrement, tandis que l’autre (création) sollicite un “mettre ensemble”, un travail de synthèse. » (Jean, 2006, p. 34)

Gosselin et son équipe décrivent la création comme un processus qui concilie « l’idée de succession avec l’idée d’interaction. » (Gosselin, Gingras, Potvin, Murphy, 1998, p. 648) Selon eux, la création est composée de trois phases : phase d’ouverture, phase d’action productive et phase de séparation. Chaque phase s’apparente à « un phénomène qui se déroule dans le temps et qui comporte un début, un développement et un aboutissement. » (Ibid.) La phase d’ouverture favorise l’accueil d’idées potentielles : inspirations ou émotions. Puis, ces idées se concrétisent dans la phase suivante, l’auteur passe d’idées abstraites à une action dite productive qui se traduit par une forme d’élaboration entre les concepts et les matériaux. Le travail de création s’ébauche progressivement et prend forme. Vers la fin de la deuxième phase s’impose le besoin de terminer l’œuvre bien que des doutes et des interrogations surviennent. Puis, arrive la dernière phase où un recul s’impose vis-à-vis de l’œuvre. Les réactions et les commentaires des autres aident la personne qui crée à réfléchir et à apporter des modifications sur son œuvre parfois radicale.