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Le bilan des ateliers artistiques

CHAPITRE V — RÉSULTATS

5.4 Synthèse

5.4.2 Le bilan des ateliers artistiques

L’analyse des données a été faite en s’appuyant notamment sur les théories de Gosselin et al. Pour eux, il existe trois phases dans le processus de création : l’ouverture, l’action productive et la phase de séparation qui correspondent au commencement, au développement et à la conclusion des ateliers, le tout échelonné ici sur trois semaines. Le travail de Sonia Basile Martel (2014) fut aussi une source d’inspiration pour la présente étude, ayant comme elle eu l’occasion de travailler au sein d’une communauté ethnique et de traiter la question l’identitaire. Dans son analyse, elle évoque elle aussi trois phases : la réalisation, l’intervention, et l’affirmation identitaire. Cette structure a été retenue pour l’analyse des données à travers les ateliers.

Le processus de création est réalisé par les participants et constitue un premier stade de production et de réflexion. Le procédé d’intervention se concentre quant à lui sur l’artiste- chercheure. L’affirmation identitaire met l’accent sur le groupe, autrement dit sur les participants et l’artiste-chercheure. Ainsi, l’analyse s’est réalisée de façon globale sur le développement du processus identitaire du groupe.

a. Le processus de création

Dans le processus de création, le stade initial est une période « d’accueil de l’idée inspiratrice. » (Gosselin, Gingras, Potvin, Murphy, 1998, p. 648) En d’autres termes, cette phase « se caractérise par la réceptivité et par une certaine passivité. » (Ibid. p. 649) Dans le cadre de nos ateliers, ce stade se situe dans la première semaine. Durant cette période, les participants se préparent psychologiquement à « accueillir l’émotion créatrice » (Ibid. p. 650), les premières idées apparaissant graduellement. Cette phase se caractérise par des moments d’incertitude, de crainte, de découverte, d’inspiration et d’engagement. Les participants se trouvaient alors dans un état de perplexité. Ils doutaient de leur créativité et cherchaient dans un premier temps à se familiariser avec le matériel. Cette étape leur a permis de se connecter à leur sens créatif et de prendre conscience de leurs motivations, de

leurs souhaits et de leurs attentes vis-à-vis des ateliers.

À l’étape suivante, celle de l’action productive, l’individu doit passer de l’idée à l’action. « Le créateur prend plus ou moins conscience qu’il est habité par une intention plus précise de projet. Il se centre sur une façon plus particulière de donner forme à l’idée inspiratrice et il passe à l’action, il sort de la phase initiale pour entrer dans la seconde. » (Ibid., p. 651) Dans le cadre des ateliers, le projet de chacun paraissait déjà mieux défini à ce moment-là et plus concret. Les participants semblaient en mesure de maitriser les émotions apparues lors de la phase initiale. Ils communiquaient davantage et ces échanges dynamiques se reflétaient au niveau des débats. Leurs réalisations commençaient à mettre en lumière leur vécu et leurs sentiments, faisant ainsi résonner un peu plus leur monde intérieur.

Enfin vient le stade dit de réflexion durant lequel l’individu s’attache à achever sa réalisation et à prendre du recul vis-à-vis de sa création artistique. Il s’agit ainsi de « prendre une distance objective par rapport à elle (la matérialité de l’œuvre) et de s’en détacher de manière concrète. » (Ibid, p. 653) Lors de la dernière semaine, les intervenants ont commencé à préparer l’exposition finale. Les activités et les discussions ont permis à chacun de prendre de la distance. À travers cette étape, ils apprenaient à assumer et à apprécier leurs travaux personnels en prenant conscience des progrès réalisés. L’objectif de l’exposition finale est double. D’une part, il s’agit de « soumettre son œuvre au regard d’autrui, » (Ibid.) pour découvrir le point de vue, les commentaires et les impressions du groupe et, d’autre part, on cherche à susciter chez les participants une certaine fierté et un sentiment d’accomplissement personnel.

b. Le processus d’intervention

Le processus d’intervention centré principalement sur le travail de l’artiste-chercheure sur le terrain s’oriente sur trois axes : l’intention, l’observation et l’implication. Le premier se concentre sur les objectifs et les attentes à atteindre pour la semaine, le deuxième fait référence aux notes prises sur le terrain (changements à apporter et réflexions nées au cours de la semaine), enfin le troisième et dernier axe concerne le rôle de l’artiste-chercheure

comme étant partie prenante dans les ateliers.

Tout d’abord, l’intention se situe dans la description des attentes et des objectifs définis pour la semaine et qui doivent être atteints par le biais des activités. À partir de l’observation des comportements, des réactions et des travaux du groupe, la chercheure a dû ajuster son implication et sa manière d’intervenir auprès des participants. Les notes prises jouent en effet un rôle important dans le processus, à travers ce qu’elles peuvent révéler et dans les ajustements qu’elles suscitent. Regroupées dans un journal de bord, elles retracent le déroulement de chaque atelier ainsi que certaines réflexions personnelles sur les séances en groupe. La stratégie d’intervention a évolué grâce à ces notes réflexives et descriptives. Elles ont, par exemple, provoqué une évolution dans les fonctions de la chercheure. Au départ, son rôle devait se concentrer sur l’organisation et l’observation, mais l’attitude passive des participants a fait apparaître la nécessité de réduire la distance avec eux. Repositionnée ensuite comme participante à part entière, il devenait plus facile de communiquer avec le groupe sans délaisser pour autant l’observation et l’accompagnement.

Le terme « accompagnement » peut recouvrir différentes réalités. Il permet notamment de « faire écho au travail, questionner, provoquer, encourager dans les moments difficiles, être à l’écoute, informer, faire des liens, relancer, analyser, transmettre, guider, etc. » (Chaîné, 2011) Cette fonction d’accompagnante, assumée dès la deuxième rencontre, se voulait centrée sur l’écoute, le dialogue et la confiance. Elle a permis de faire le lien avec les autres participants en leur laissant par exemple une plus grande marge de manœuvre autour du thème choisi. Les participants se sont montrés davantage en confiance et les échanges avec eux se sont multipliés.

c. Le processus de l’affirmation identitaire

Selon Mucchielli, « l’identité n’existe que par le sentiment d’identité » qui « regroupe largement la conscience de soi » (Mucchielli, 2013, p. 65). La pratique sur le terrain et plus précisément l’apprentissage artistique devaient permettre de développer une conscience de soi, en tant qu’individus, mais aussi en tant que groupe. Le choix des thèmes des rencontres

étant lié aux questions d’identité, il a fallu commencer par les rapprocher de notions comme le moi, les autres, et enfin le nous. Ce processus correspond à « l’identification d’autrui » et « l’identification à autrui. » (Ibid. p. 56)

Lors de la première semaine, des activités telles que « les six dessins », « les impressions » ou « les moments et les objets de ma vie quotidienne » ont permis de créer une relation interactive et une communication dans le groupe. Les membres du groupe apprenaient à se connaitre et se rapprochaient, leur participation prenant une connotation affective. Le thème de la relation à l’objet a montré que le lien que « l’individu développe avec son environnement » (Hallé, 2005 p. 30) constitue un moyen de se reconnaître lui-même. La deuxième semaine était centrée sur la question de la différence culturelle. Ce fut l’occasion pour les participants d’offrir leur regard et leurs réflexions sur leur statut individuel et collectif. La discussion qui a suivi la participation aux Francofolies et à la visite de la pagode Huyen Khong a aussi mis en lumière leurs points de vue sur leur communauté. Le sentiment de faire partie d’un ensemble est progressivement apparu. Les participants s’affirmaient de plus en plus positivement et reconnaissaient la valeur des opinions et perceptions des autres membres du groupe. Ce procédé d’identification des autres est essentiel puisque « percevoir autrui, nous rappelle […] de prendre conscience de son statut et de son rôle. » (Mucchielli, 2013, p. 57)

Lors de la dernière semaine sur le terrain, les efforts se concentraient sur la préparation de l’exposition finale qui devait avoir lieu à la dernière rencontre. Chacun s’est investi et le groupe a fait preuve d’une grande solidarité. L’aspect solennel de cette exposition renforçait leur estime personnelle au point qu’ils semblaient vouloir travailler davantage de manière autonome. C’est une autre facette du sentiment d’appartenance : « un sujet ne peut affirmer son identité individuelle que s’il peut à la fois se sentir appartenir à un groupe de ses semblables […] et se sentir autonome par rapport à l’emprise collective de ce groupe. » (Ibid. p. 73)