• Aucun résultat trouvé

Le concept de « choc culturel »

Chapitre III Cadre théorique et conceptuel

3.2 Le concept de « choc culturel »

C’est en 1954, dans les travaux de Kalvero Oberg, qu’apparaît pour la première fois l’expression de « choc culturel ». Pour la comprendre, le concept de culture ne peut être ignoré.

« Les définitions du mot culture [sont] descriptives (énoncés généraux), historiques (tradition sociale), normatives (la règle, les idéaux), psychologiques (ajustement, apprentissage, habitude, modèles) et génétiques (artisanat, idée, symbole » (Messier, 1975,

p.34). Les immigrants amènent avec eux leur vécu, leurs valeurs et un ensemble de comportements acquis par l’apprentissage social, en un mot leur culture. Ayant été habitués à un mode de vie qui leur est propre, ils peuvent se trouver en manque de repères, confrontés à une culture totalement différente de celle du pays dans lequel ils ont grandi. Ce changement radical demande une adaptation qui peut être difficile à vivre. La personne touchée par ce « choc culturel » « se trouve irritable, déprimée et probablement ennuyée par le manque d’attention démontrée par son homologue local. Tout semble aller mal et l’immigrant se convainc de plus en plus des défauts du pays qu’il voulait aimer. Mais rarement il lui arrive de réaliser que le problème réside en lui-même. » (Messier, 1975, p.3) Ce « choc » peut trouver plusieurs réponses.

3.2.1 Quatre types de réactions au « choc culturel »

Faire face à ce conflit intérieur implique de passer par plusieurs stades afin que le changement ne trouve pas écho dans la vie des nouveaux venus. Selon Messier, lors des six premiers mois d’arrivée dans un nouvel environnement, nous sommes fascinés par les nouveautés et l’immigrant « découvre les différences et s’en accommode. » (Messier, 1975, p.38) Pendant cette période, il « passe de l’état de touriste à celui de permanent ». C’est aussi à partir d’ici qu’il « doit faire face à la réalité du sous-développement dans l’exercice de son travail professionnel, dans sa vie familiale […] dans ses contacts avec l’administration locale. » (Ibid.) C’est avec ce deuxième stade que vont apparaître généralement les premiers signes de cette « crise », comme la « fatigue culturelle » qui surgit dans la vie quotidienne. Ce phénomène « prend la forme d’un épuisement physique et émotionnel en dépit de toutes les tentatives quotidiennes de petites adaptations. » (Ibid. p.37)

Confrontée à cette situation de « choc », chaque personne réagit différemment. Dans sa recherche, Messier présente quatre types principaux de réactions au « choc culturel » : « la fuite, la dépendance, le combat et l’adaptation. » (Ibid. p.40) La fuite est représentée par une personne « poussée par son anxiété et son malaise (qui) rejette tout simplement la réalité nouvelle ». En compagnie d’autres personnes, celle-ci sera portée à « critiquer à

loisir les coutumes locales et se rappeler les valeurs de sa propre culture. » (Ibid.) La deuxième attitude est la dépendance qui consiste à « rejeter sa propre identité pour adapter le plus intégralement la culture du pays qui le reçoit. » La troisième réaction sera celle d’un individu qui « adopte une stratégie de combat pour changer ce qui lui apparait comme mauvais […] c’est-à-dire à adapter l’autre à soi plutôt que l’inverse. » (Ibid.) Enfin, il est possible que l’individu « accepte de s’adapter, sans rejeter son identité culturelle [et qui] se rend attentive aux valeurs du milieu pour ajuster sur elles son propre comportement. » (Ibid.) Ce choc est d’autant plus violent et l’adaptation d’autant plus difficile lorsque surgit un obstacle linguistique.

3.2.2 La barrière de la langue

Pour tout nouvel arrivant, maitriser la langue du pays d’accueil apparait indispensable. Le langage est la clé permettant de se faire comprendre et de comprendre l’autre, une clé qui ouvre la porte de la compréhension d’une culture et de la participation à la vie de la société, si on ne comprend pas la langue, comment peut-on en comprendre la culture ? La langue, en tant qu’outil de communication, est liée à la question de l’intégration sociale des immigrants. C’est un critère décisif permettant d’évaluer le degré d’insertion du nouvel arrivant dans la société.

En 1969, le parlement du Canada a adopté la Loi sur les langues officielles concernant le statut et l’usage de celles-ci au niveau national. Cette loi impose le français et l’anglais comme langues officielles. Par la suite, en 1974, la loi 22, adoptée par le Parlement québécois, a fait du français la langue officielle de la province. Au Québec, l’utilisation du français se retrouve dans les institutions, au niveau administratif ainsi que dans le domaine professionnel. Cette langue étant dès lors omniprésente dans la vie courante, sa maitrise devient indispensable ou en tout cas conseillée.

Pourtant, certains immigrants n’ont pas anticipé le contexte linguistique particulier au Québec. Une fois arrivés, ils se sont retrouvés incapables de communiquer et de trouver un emploi par manque de maitrise du français. La plupart ne s’attendaient pas à la contrainte

de devoir apprendre une nouvelle langue pour s’intégrer. Ainsi, les participants aux ateliers ont rapporté qu’ils pensaient, en quittant la Chine, qu’une bonne connaissance de l’anglais serait suffisante pour faire leurs marques à Montréal. Très vite, ils se sont rendu compte que le français était omniprésent dans la vie quotidienne.

Parmi tous les immigrants admis dans la province entre 2004 et 2013,24 les francophones et

les ressortissants européens occupent une place majoritaire. Ceux maitrisant déjà une langue latine, bien que peu familiarisés avec le français, auront plus de facilité à adopter cette nouvelle langue, car ils possèdent au départ une langue maternelle présentant certaines similarités avec le français, à l’opposé des Chinois. Pour ces derniers, la connaissance d’une autre langue, en particulier du français, est en effet un long processus et une barrière préoccupante qui vient compliquer leur intégration dans la société québécoise.

En réalité, au départ pour ceux qui ne parlent ni français ni anglais, ils préfèrent maîtriser d’abord l’anglais puisque c’est une langue plus facile à apprendre, davantage parlée mondialement et souvent utilisée dans le monde des affaires. À Montréal, « la minorité anglophone constitue encore un pôle d’attraction pour les immigrants. Cela s’explique par le fait que l’anglais est la langue “de la mobilité” en Amérique du Nord en plus d’être la principale langue de communication de la société mondialisée, en particulier dans la nouvelle économie. » (Pujolar, 2007, cité par Pagé, 2010, p.5) Rappelons que Montréal, deuxième plus grande ville francophone au monde, est considérée comme le centre de la culture francophone en Amérique du Nord. La langue de Molière y occupe donc une place prédominante et ceux qui ne parlent que l’anglais se retrouvent parfois désavantagés. Bien qu’à Montréal, il existe des quartiers unilingues anglais, sans cette compétence linguistique, de nombreux arrivants ne peuvent se trouver d’emploi correspondant à leurs attentes. La connaissance linguistique semble évidente dans le processus d’intégration : apprendre une langue, c’est apprendre une culture et connaître une société. Elle est un vecteur indispensable pour accéder à la citoyenneté, participer à la vie sociale, suivre la scolarité́ de

ses enfants, ou encore sur le plan professionnel elle permet de multiplier les possibilités d’insertion dans divers milieux.

Comme le décrit Messier : « la reprise en main de sa vie se fera lentement avec l’acquisition de la langue locale qui lui permet une meilleure communication avec le milieu. L’échange devient alors possible et avec lui une redécouverte des personnes, même s’il garde inconsciemment une attitude de supériorité vis-à-vis d’elles. » (Messier, 1975, p.39)

3.2.3 Les effets du changement d’environnement : déracinement

Chacun peut faire l’expérience du choc culturel de différentes façons. Changer d’environnement, de façon de vivre, de culture, de langue et d’entourage peut s’avérer très déstabilisant. Après l’euphorie des débuts, les nouveaux arrivants doivent affronter les difficultés quotidiennes de leur nouvelle vie. Les sentiments de joie et d’enthousiasme se transforment vite en tristesse, en inquiétude, en isolement, en stress ou en insomnie. Du fait de ce nouveau statut social d’immigrés, certains se sentent très dévalorisés, en particulier au regard de leur ancienne vie. À chacun de « s’ajuster », à sa manière, certaines personnes se montrant positives, ouvertes à l’apprentissage d’une nouvelle culture, tandis que d’autres restent dans une certaine appréhension face au changement, et s’enferment dans leur propre communauté.

La plupart des participants de cette recherche ont évoqué, à un moment ou à un autre, cette question récurrente de la solitude. Lors de l’entrevue avec Tian25, il s’agissait de citer un

épisode marquant de sa vie à Montréal et celle-ci a choisi de raconter son premier Noël. Pour elle, ce fut très douloureux puisqu’elle ne s’est jamais sentie si seule et triste. La période des fêtes sans être entourée de sa famille l’a fait se sentir encore plus isolée. La participation du nouvel arrivant à ces situations « intégrantes » (évènements, célébrations, etc.) peut aussi être mal vécue et provoquer solitude, sentiment d’abandon, tristesse, colère, frustration, ou peur. En particulier durant la période des Fêtes, la distance avec la famille et

25 Il s’agit d’un nom fictif ainsi que ceux qui suivent dans ce mémoire dans le but de préserver l’anonymat des

les amis restés au pays se fait particulièrement ressentir, au-delà de la question de la barrière de la langue et de l’écart culturel.