• Aucun résultat trouvé

acquisition de leur nom

4.3. DÉVELOPPEMENT DE LA PERCEPTION DES COULEURS ET

4.3.1 La perception fait le mot

Le développement de la vision des couleurs

A la naissance, la vision est très peu développée mais va rapidement s’accroître

au cours des six premiers mois (Goldstein, 1999; Maurer et Maurer, 1988). Cela

est dû principalement au fait que le cortex visuel du nouveau-né n’est pas en-core complètement mature et se développe majoritairement entre trois et six mois (Goldstein, 1999).

Au niveau de la rétine, première étape de traitement visuel (Figure 4.4), si sa pé-riphérie ressemble déjà à celle de la rétine adulte, la fovéa (i.e. lieu qui constitue « la vision centrale » et qui permet la précision) en est bien différente. Les deux types de photorécepteurs neuronaux, les cônes et les bâtonnets, n’ont pas la même

fonction et ne se développent pas en même temps (Graven et Browne, 2008). Les

différents types de bâtonnets permettent de voir lorsque la luminosité est faible et transmettent un spectre entier de lumière, mais sans information liée à la couleur. Ils se développent dans les derniers mois de la gestation et sont opérationnels à la naissance. Les cônes se développent plus tard ; ils permettent de discerner la couleur vers trois mois. Le bébé ne peut donc pas discriminer les couleurs avant cet âge ; il est d’abord capable de discerner des différences d’intensité lumineuse avant de discriminer les ondes et les teintes. Deux paramètres distinguent les cônes

des nouveaux-nés de ceux des adultes : leur taille et leur forme (Figure 4.5 ;

Gold-stein, 1999). La petite taille des photorécepteurs coniques des bébés fait qu’ils contiennent moins de pigments visuels (i.e. protéine permettant de capter la lu-mière) et absorbent donc moins bien la lumière que ceux des adultes. Les cônes sont, de plus, chez les bébés, plus larges dans leur structure interne, créant un ré-seau de récepteurs espacés à l’extérieur. La plus grande partie de la lumière entrant sur la fovéa du nouveau-né (le point le plus riche en photorécepteurs coniques) est perdue dans cet espace, et n’est pas utilisée par le système visuel, à l’inverse des cônes de l’adulte qui sont très serrés et permettent un réseau fin capable de détec-ter plus de détails. La vision du bébé est donc sensible à une toute petite fraction de l’information disponible à l’adulte ; à un mois, le bébé ne peut pas discerner de détails fins et ne peut voir que de gros objets avec de forts contrastes. Sa vision est alors proche de la vision de nuit d’un adulte ; sa fovéa non développée l’oblige

128

4. DÉVELOPPEMENT DES CONNAISSANCES LIÉES AUX TYPES DE SYNESTHÉSIE ÉTUDIÉS

à voir par sa rétine périphérique, avec ses bâtonnets (Goldstein,1999).

Fig. 4.4: Illustration des différentes étapes de traitement de l’information vi-suelle, et notamment de la couleur, de la rétine au cortex visuel (Kandel, Schwartz, et Jessell, 2000, cité dans Camors,2015). Les informations concernant la couleur sont traitées par différentes structures en parallèle. De manière générale, lorsque la lumière entre dans l’œil, elle est d’abord traitée par les photorécepteurs placés au fond, sur la rétine. Puis les informations intégrées sont envoyées à différentes parties du cerveau (selon la catégorie d’informations qu’elles contiennent), avant d’être de nouveau réorganisées en un seul ensemble (cette partie du traitement de l’information visuelle fait encore objet de discus-sion dans la littérature actuelle ; les oscillations cérébrales, plus qu’une partie particulière du cortex, pourraient être responsables de l’unification de l’infor-mation traitée ;Engel et al.,2001). L’information ne circule pas en sens unique dans ce système ; un va et vient constant existe entre les différentes aires vi-suelles.

4.3. DÉVELOPPEMENT DE LA PERCEPTION DES COULEURS ET

ACQUISITION DE LEUR NOM 129

(a) Représentation d’un cône selon l’âge

(b) Réseau de cônes selon l’âge

Fig. 4.5: Représentation d’un photorécepteur conique et de son réseau, au niveau de la fovéa, tirée de (Goldstein,1999). La structure du cône et de son réseau va évoluer en fonction de sa place sur la rétine. Au niveau de la fovéa, les cônes seront particulièrement fins et longs à l’âge adulte, ce qui permettra la précision.

Chez l’homme, les cônes sont de trois types, en fonction de la longueur d’onde à laquelle ils répondent. Les cônes répondant aux basses fréquences traitent majori-tairement de l’onde que les individus percevront comme bleue (pic à 430 nm), aux moyennes fréquences ils traitent majoritairement de l’onde perçue comme verte (pic à 530 nm) et aux longues fréquences ils traitent majoritairement de l’onde

perçue comme rouge (pic à 560 nm ; Bear et al., 2007). C’est l’activation plus

ou moins importante de ces trois types de photorécepteurs coniques qui va per-mettre de percevoir un large spectre de couleurs. L’information chromatique est ensuite envoyée aux corps genouillés latéraux (LGN ; Figure 4.4) puis au cortex

130

4. DÉVELOPPEMENT DES CONNAISSANCES LIÉES AUX TYPES DE SYNESTHÉSIE ÉTUDIÉS visuel primaire (V1 ; Figure 4.4) par des voies différentes selon les cônes activés (les informations du cône de basse longueur d’onde sont traitées dans des parties des LGN et de V1 différentes de celles des deux autres cônes), avant d’être toutes acheminées vers les aires visuelles secondaires V2 puis V4 (Figure 4.4). Selon la voie employée, l’information transmise par les cônes n’est pas traitée de la même façon : la voie magnocellulaire additionne les informations des cônes de moyennes et de longues fréquences (c’est l’axe qui permet de discerner le blanc et le noir), la voie parvocellulaire soustrait les informations des cônes de moyennes et de longues fréquences (ce qui permet un continuum perceptuel rouge-vert), et enfin la voie ko-niocellulaire soustrait l’information des cônes de longues et de moyennes fréquences à celles des cônes de basses fréquences (permettant la perception du continuum

bleu-jaune ; Ruiz,2014).

Le système visuel de l’enfant étant encore en formation, que ce soit au niveau de

la rétine ou des aires cérébrales plus tardives (Goldstein,1999;Graven et Browne,

2008), il est difficile de savoir ce que perçoivent exactement les nouveaux-nés et

les bébés. Leurs cônes seraient fonctionnels un mois après la naissance, et répon-draient de façon très semblable à ceux des adultes à partir de quatre mois, d’après

des études psychophysiologiques (Bornstein,2006;Franklin et Davies,2006;

Gold-stein, 1999; Maurer et Maurer, 1988). Leur capacité plus développée à distinguer les nuances de luminance empêche de savoir ce qui permet au bébé de distinguer

deux stimuli de couleurs différentes8. Les basses longueurs d’onde seraient perçues

vers deux mois, les moyennes et les grandes vers trois mois (Franklin et Davies,

2006; Goldstein, 1999; Maurer et Maurer, 1988; mais voir Bornstein,2006).

La catégorisation des couleurs à partir de la perception

Il faut donc attendre quatre mois pour que l’appareil neuronal du bébé soit prêt à percevoir les couleurs. Mais que perçoit-il exactement ? Distingue-t-il des

8. A cette difficulté physiologique s’ajoute une difficulté méthodologique. Pour interroger psy-chophysiquement les bébés, les chercheurs utilisent des tâches d’habituation. Il a été observé que les bébés regardent moins longtemps quelque chose qu’ils connaissent et inversement, donc après habituation à un stimulus particulier, si le bébé regarde plus longtemps un stimulus que celui auquel il a été habitué, c’est qu’il devrait percevoir une différence. Mais avec cette technique, il est difficile de savoir si les résultats obtenus ne seraient pas dus à de la mémorisation. Cette différence de méthodologie pose aussi question concernant la continuité des résultats entre les bébés et les enfants plus âgés qui sont interrogés verbalement.

4.3. DÉVELOPPEMENT DE LA PERCEPTION DES COULEURS ET

ACQUISITION DE LEUR NOM 131

différences de teinte dans ses expériences chromatiques ? Malgré les difficultés mé-thodologiques, plusieurs auteurs ont tenté de répondre à ces deux questions. Chez l’adulte, la couleur et sa perception font l’objet d’un champ entier de la lit-térature scientifique, à partir de différentes approches (e.g. les neurosciences, la physique, la biologie, etc.). Cet objet d’étude est en effet complexe, notamment du fait de sa nature : la couleur n’est pas une simple mesure physique mais une inter-prétation de la lumière par un être vivant ; c’est une construction psycho-biologique

(Ruiz, 2014). Wuerger, Atkinson et Cropper (2005) démontrent que les couleurs

prototypiques au niveau biologique (rouge/cyan et violet/citron vert ; Ruiz, 2014;

Stoughton et Conway, 2008) ne correspondent pas aux couleurs prototypiques au niveau perceptuel (i.e. rouge/vert et bleu/jaune). La perception chromatique (qui est physiquement continue) paraît être organisée en catégories sémantiques non

arbitraires (Rosch-Heider, 1973, cité dans Jraissati, 2009).

Pour les bébés de plus de quatre mois, certains auteurs (Franklin et Davies,2006;

Goldstein, 1999) considèrent que les catégories bleu, rouge, jaune et vert seraient déjà formées et que les termes de couleurs viendraient se calquer sur la réponse des cônes aux longueurs d’ondes. Les couleurs secondaires (e.g. orange, turquoise, violet, rose, etc.) seraient acquises plus tard que les couleurs précédemment citées, grâce à l’expérience, mais ne dépendraient pas, elles non plus, du langage. Les enfants de quatre mois seraient ainsi capables de différencier le rose et le violet du

rouge et du bleu (Franklin et al.,2005;Franklin et Davies, 2006).

Un autre moyen d’étudier la catégorisation des couleurs est de s’intéresser aux différentes cultures et langues et de comparer leur façon de classer les couleurs (études principalement effectuées chez l’adulte). Si les catégories sont les mêmes, alors les prototypes chromatiques sont universels, innés et par là-même

indépen-dants du langage. Berlin et Kay (1969) utilisent cette technique pour introduire

leur théorie. Ces auteurs considèrent qu’il existe onze catégories de base qui se-raient acquises dans un ordre précis mais qui sese-raient communes à tous :

1. noir et blanc, 2. rouge,

3. vert et jaune, ou jaune et vert, 4. bleu,

132

4. DÉVELOPPEMENT DES CONNAISSANCES LIÉES AUX TYPES DE SYNESTHÉSIE ÉTUDIÉS 5. marron,

6. violet, rose, orange et gris.

Les autres catégories de couleurs seraient extraites de ces catégories principales (Gérard et al.,1989). Kay (2002) actualise ses propos avec les nouvelles recherches effectuées en comparant les réponses d’individus parlant différentes langues (dans des tâches de dénomination de couleur mais aussi de mémoire de couleurs et d’ap-prentissage demandant des réponses parfois non verbales) : il existerait une ten-dance statistique à utiliser des catégories de couleurs « de base » dans différentes langues, à savoir le noir, le blanc, et les quatre teintes mises en opposition pour la première fois par Hering (en s’appuyant sur une étude phénoménologique) et qui correspondent aux canaux post-récepteurs (soit au niveau perceptuel, les

conti-nuums rouge-vert et jaune-bleu) (Jraissati, 2009; Kay, 2002). Les frontières entre

les diverses catégories seraient cependant dépendantes du contexte culturel (Kay,

2002). Mais cette organisation des couleurs a été et est toujours très sujette à

controverse. Roberson, Davies et Davidoff (Roberson et al., 2000) ont décrit un

peuple de Nouvelle-Guinée qui ne ferait pas de différence entre vert et bleu, cou-leurs pourtant physiologiquement différenciables dès quatre mois chez l’Homme.