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La tâche de Stroop

30 1. LA SYNESTHÉSIE rogent alors que des synesthètes à partir de réponses à des annonces dans

1.2.2 Chez l’enfant

L’étude de la prévalence de la synesthésie étant fortement reliée à la

ques-tion de ses origines et de son développement (Johnson et al., 2013; Simner et al.,

2006b), il paraît logique d’étudier le nombre d’enfants possédant cette particula-rité. Pourtant, très peu de recherches se sont penchées sur cette question (Tableau

1.3 ;Flournoy, 1893; Galton, 1883; Peabody,1915;Phillips, 1897; Simner et Bain,

2013; Simner et al., 2009a, 2006b), et aucune ne s’intéresse à la prévalence de la synesthésie tous types confondus. Les types de synesthésies analysés dans ces

études sont soit la synesthésie Graphème-Couleur (Simner et Bain, 2013; Simner

et al., 2009a, 2006b) soit la synesthésie Forme des nombres (Galton, 1883; Binet,

1892 dans Flournoy, 1893). Bien que la méthode générale d’investigation reste

si-milaire d’une étude à l’autre (i.e. étude systématique), la procédure expérimentale et la population interrogée varient considérablement. Il n’existe aucune étude sur la prévalence des associations synesthésiques Graphème-Personnalité/Genre.

La synesthésie Forme des nombres

Les premières études chez l’enfant synesthète se sont intéressées à la synesthésie

Forme des nombres9. Galton (1883) fit passer des questionnaires sur le thème

de la visualisation à différents "College" (Winchester, Charterhouse au Royaume-Uni, Princeton et Vassar aux Etats-Unis). Les élèves étaient âgés d’environ 14-15 ans. Sur 337 réponses, dix-huit indiquent que le participant associe de manière synesthésique les nombres à une position spatiale (soit un élève sur vingt). Les établissements sondés étaient des institutions constituées exclusivement d’élèves garçons, exception faite du Vassar College (soit 26 réponses féminines dont un

9. Dans ce type de synesthésie, l’individu se représente la séquence numérique dans l’espace ; Section 2.3, page 59.

34 1. LA SYNESTHÉSIE

Tab. 1.3: Résumé des études de prévalence de la synesthésie chez l’enfant. Toutes ont utilisé une méthode systématique pour calculer le nombre d’en-fants ayant un type particulier de synesthésie (Forme des nombres, FN, ou Graphème-Couleur, GC) dans un échantillon plus ou moins grand (nombre d’enfants en 3ecolonne). Les enfants de chaque étude peuvent avoir des natio-nalités des âges différents (4e et 5e colonnes respectivement).

étude Type(s) de synesthésie interrogé(s) nombre d’enfants Pays de l’étude âge (ans) GC (%) Intervalle de confiance à 95% : [lim.inf ; lim.sup.]% FN (%) Intervalle de confiance à 95% : [lim.inf ; lim.sup.]% Galton (1883) FN 337 Royaume-Uni et Etats-Unis 14-15 5 [3, 29; 8, 46] Binet, 1892 dans Flournoy (1893) 300 France 10-12 3 [1, 47; 5, 81] Phillips (1897) FN, GF, SS 23 Etats-Unis 6-7 8,69 [1, 52; 29, 51] Phillips (1897) FN, GF, SS 974 Etats-Unis 10-16 8,11 [6, 51; 10, 05] Peabody (1915) FN, GF, SS 160 Etats-Unis - de 15 14 [9, 52; 21] Simner et al.(2006b) GC 161 Royaume-Uni 7-11 1,20 [0, 21; 4, 88] Simner et

al.(2009a) GC 615 Écosse 6-7

1,30 [0, 61; 2, 65]

synesthète Forme des nombres). L’auteur ne peut donc rien conclure quant à la prévalence homme-femme dans la population enfantine.

Flournoy (1893) rapporte les observations faites par Binet en 1892 dans des écoles

parisiennes. 300 garçons entre 10 et 12 ans participant à des recherches sur d’autres thématiques ont pu répondre à des questions concernant « les schèmes visuels », l’association synesthésique des nombres à une position spatiale. D’après Binet, 3% d’entre eux seraient synesthètes Forme des nombres (Intervalle de confiance à 95%

(I.C. de 95%) : [1,47% ; 5,81%]). Pour Flournoy (1893) ce nombre est sous évalué

du fait d’une mauvaise compréhension des questions par les enfants. Patrick (1893)

émet l’hypothèse que la prévalence de la synesthésie est difficile à considérer du fait qu’elle est idiosyncrasique ; comme les enfants ont peur du regard des autres sur leur particularité, ils ne dévoilent pas leur synesthésie. De plus, comme leurs nombres prennent certaines fois une forme très simple, l’auteur pense que l’enfant la considère comme banale et n’en parle pas.

1.2. PRÉVALENCE : TAUX DE SYNESTHÈTES DANS LA

POPULATION 35

Worcester). Après une courte introduction, les enfants avaient pour consigne de dessiner la façon dont ils se représentaient les nombres, les jours de la semaine ou les mois de l’année. L’auteur faisait en sorte que seuls les synesthètes dessinent une forme, sauf dans cinq classes dans lesquelles il donnait la possibilité aux élèves de recopier ou d’inventer une forme en leur présentant des dessins et en rentrant dans des explications plus approfondies. Cette expérience était d’abord effectuée en classe entière, puis chaque élève transcrivant une forme était interrogé à part, notamment pour que l’investigateur puisse observer la réaction des enfants lors des explications : un enfant synesthète montrerait, d’après Phillips, plus d’intérêt et comprendrait mieux ce que l’interrogateur explique. Les enfants alors considérés comme synesthètes étaient réinterrogés quelque temps plus tard. Les formes de ces élèves sont restées les mêmes d’une fois sur l’autre, incitant l’auteur à penser que ses critères de sélection étaient corrects. D’après cette étude, un enfant sur douze associerait les nombres à une position spatiale. Dans les cinq classes où l’imitation était possible, le nombre de formes n’était pas tout à fait aussi élevé que dans les autres classes et les dessins ne montraient aucun signe d’imitation. L’auteur donnant un niveau de prévalence générale de la synesthésie Forme des nombres pour les enfants entre 10 et 16 ans, il ne nous permet pas d’en avoir le détail par tranche d’âge et de pouvoir alors comparer le taux d’enfants synesthètes obtenus ici à celui des autres études.

Dans un intervalle d’âge plus restreint, sur vingt-trois enfants de CP (1st grade)

interrogés par Phillips (1897) individuellement, deux présentaient clairement une

synesthésie de Forme des nombres. Ces deux enfants donnaient avec certitude la localisation de leur nombre dans l’espace, et la réitéraient de la même façon à la deuxième interrogation.

Peabody (1915) utilisa comme Galton (1883) la technique du questionnaire. Il en

transmit 500 à ses collègues membres de "l’American Anthropological Association" et de "l’American Folk-Lore Society" pour que ces derniers puissent interroger les enfants de moins de quinze ans qu’ils connaissent, et environ 200 au directeur d’un lycée (Phillips Academy). Sur tous les questionnaires transmis, 160 réponses ont pu être incluses dans l’étude. Différentes séquences étaient interrogées et notamment la suite de nombres de 1 à 50. Sur les 160 retours, l’auteur considère que 23 associent les nombres à une position spatiale, soit 14% (I.C. à 95% : [9,52% ;

36 1. LA SYNESTHÉSIE 21%]). L’auteur note que cette proportion pourrait être sous-évaluée du fait que les enfants n’ont pas forcément les capacités pour exprimer leurs sensations. La méthode du questionnaire lui parait entraîner différentes difficultés ; il est ardu de ne pas induire les réponses attendues, de persuader les personnes qui n’ont pas la particularité interrogée que ce n’est pas un problème et en même temps d’inciter les synesthètes à passer outre leur possible timidité à se révéler. Cependant le fait de ne considérer que les réponses et non pas l’ensemble des questionnaires envoyés entraîne un biais possible d’auto-déclaration ; les enfants les plus intéressés par la

question sont aussi plus susceptibles de posséder cette particularité (Simner et al.,

2006bpour cette même réflexion chez l’adulte). Si les sept cents questionnaires de départ sont considérés dans le calcul de la prévalence de la synesthésie Forme des nombres, alors le taux de synesthètes tombe à 8% (I.C. de 95% : [5,89% ; 10%] ;

cette méthode de passation et de calcul est aussi employée chez l’adulte parChun

et Hupé, 2013). Certes ce nombre part du postulat que tous les synesthètes ont répondu, ce qui est peu probable, mais il permet tout de même d’avoir un niveau de prévalence minimale possiblement plus proche de la réalité de cette condition. La méthodologie utilisée pour tester la prévalence de la synesthésie doit donc être réfléchie et évaluée tout autant que chez l’adulte, et même plus (du fait des difficultés d’expression que peuvent avoir les enfants du fait de leur jeune âge). Le simple recueil phénoménologique ne paraît pas suffisant pour attester de l’étendue de cette particularité dans la population enfantine.

La synesthésie Graphème-Couleur

Dans une première recherche étudiant le nombre de synesthètes dans la

popu-lation générale, Simner et ses collaborateurs (2006b) ont pu interroger 161 enfants

de 7 à 11 ans sur la base d’une méthode plus expérimentale. Les enfants visitaient le Musée des Sciences de Londres. Chacun a pu passer un test individuel sur un ordinateur : chaque graphème (i.e. toutes les lettres de l’alphabet et les chiffres de 0 à 9) était présenté à l’écran dans un ordre aléatoire avec une palette de 13 cou-leurs (noir, bleu foncé, marron, vert foncé, gris, rose, violet, orange, rouge, blanc, bleu clair, vert clair, et jaune). L’ordre des couleurs était lui aussi affiché de ma-nière aléatoire à chaque essai. Le participant avait pour consigne de sélectionner

1.2. PRÉVALENCE : TAUX DE SYNESTHÈTES DANS LA

POPULATION 37

la meilleure couleur pour chaque graphème, en évitant de choisir plusieurs fois de suite la même. Puis ce même test était effectué une nouvelle fois, directement après, par surprise. Dans cette deuxième partie d’expérience, l’ordre de présentation des graphèmes était de nouveau randomisé. Sont considérés comme synesthètes les enfants dont le nombre d’associations similaires entre le test 1 et le test 2 est supérieur à la moyenne du groupe de 2 déviations standard. Ce seuil est calculé sur la base des scores obtenus à partir du même protocole expérimental par un groupe contrôle composé de 20 synesthètes et de 40 non synesthètes adultes d’une précédente étude. Deux enfants ont rempli ce critère, soit 1,2% de l’échantillon (I.C. de 95% : [0,21% ; 4,88%]). Ces données donnent une première idée du taux de prévalence de la synesthésie Graphème-Couleur chez l’enfant avec un test sys-tématique et objectif (i.e. test de constance des associations), mais ne permettent pas de conclure quant aux origines de cette particularité. L’étude plus récente de

Simner et ses collègues(2009a, et prolongée par Simner et Bain, 2013) interroge

la prévalence de la synesthésie Graphème-Couleur chez l’enfant de manière plus

approfondie. Dans cette étude (Simner et al., 2009a), chaque enfant inscrit dans

21 écoles primaires du Royaume-Uni a été interrogé de manière systématique, soit un total de 650 enfants entre 6 et 7 ans (299 garçons et 316 filles). Chaque élève devait associer un à un chaque graphème (toutes les lettres de l’alphabet et les chiffres de 0 à 9) à une des 13 couleurs présentées dans un ordre aléatoire à l’écran d’un ordinateur, dans deux sessions identiques effectuées l’une après l’autre. Cette procédure expérimentale était répétée dans sa totalité un an après pour tout enfant ayant obtenu un score supérieur à la moyenne de l’échantillon total (i.e. si l’enfant avait plus d’associations similaires entre ses deux sessions que les autres). Si l’en-fant continue après douze mois à être meilleur que ses pairs (dont les sessions sont séparées d’environ 10 secondes), alors il est considéré comme étant synesthète. Les auteurs estiment que 1,30% (I.C. de 95% : [0,61 ; 2,65]%) des enfants interrogés ont cette particularité. Ce niveau de prévalence peut être une sous-estimation du fait d’une méthodologie stricte basée sur l’idée que les associations synesthésiques sont par définition constantes dans le temps, alors que cette même étude montre une évolution du nombre d’associations synesthésiques avec l’âge. Simner et al. (2009a) avancent donc l’idée que les associations synesthésiques entre graphèmes

38 1. LA SYNESTHÉSIE

et Bain,2013 avec les enfants synesthètes à 10-11 ans). Mais s’il existe une évolu-tion dans le nombre d’associaévolu-tions fixes, alors certains enfants synesthètes peuvent ne pas être encore assez constants pour être considérés comme tels au moment où ils sont interrogés ; c’est le cas d’une enfant qui était considérée comme ayant une

bonne mémoire dans la première étude (Simner et al.,2009a) et qui est considérée

trois ans après comme synesthète (Simner et Bain,2013). Les auteurs pensent que

l’enfant a pu être distraite lors de sa seconde session puisque ses associations sont très similaires entre les premières sessions des trois différents tests mais complè-tement différentes dans la seconde session (session immédiate) lors du deuxième test, induisant les auteurs de l’étude à la considérer faussement comme une élève à forte mémoire. L’estimation de la prévalence de la synesthésie chez l’enfant est donc, comme chez l’adulte, dépendante de la méthodologie employée et des cri-tères utilisés pour considérer une personne comme synesthète (cf. section 1.1, page

3). Simner et Bain (2013) ne réinterrogent pas les enfants sur leur vécu ; la prise

de conscience de cette particularité est, selon les auteurs, trop difficile à aborder avec des enfants de moins de 15 ans. Il serait intéressant d’observer l’évolution du nombre de synesthètes à différentes tranches d’âge avec la même méthodologie pour savoir si le nombre d’enfants synesthètes augmente avec l’âge ou s’il reste constant et que ce sont les associations synesthésiques en elles-mêmes qui se déve-loppent et augmentent.

En résumé

La prévalence de la synesthésie dépend certes du type d’associations synes-thésiques pris en compte, de la méthode employée pour recruter les parti-cipants, mais surtout du critère utilisé pour considérer un individu comme synesthète. Tant que les mécanismes cognitifs et développementaux n’auront pas été identifiés, il ne pourra pas y avoir de définition précise et consensuelle de la synesthésie. Chez l’enfant, le nombre d’études traitant du sujet est très restreint (cinq études avant 1915, deux études depuis 2006).

L’objectif principal de notre thèse va donc être d’étudier le taux d’enfants synesthètes, à différentes tranches d’âge, pour interroger le développement de cette particularité, en s’appuyant sur l’étude de Simner et collaborateurs (2013; 2009a). Nous allons à cet effet tenter de reproduire et d’approfondir cette recherche en interrogeant des enfants français de différentes tranches d’âge et en examinant différentes formes de synesthésie.

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