• Aucun résultat trouvé

L’effet d’indiçage, les nombres comme indice pour dé- dé-tourner l’attention spatiale

74 2. TROIS EXEMPLES DE SYNESTHÉSIE

ton, 1883; Sagiv et al., 2006; cette dichotomie est retrouvée dans les descriptions des synesthètes en général, indépendamment du type de synesthésie ; cf. section 1.1.2 page 20). Lorsque la séquence est extériorisée, cette dernière est décrite soit comme étant devant les yeux de l’individu (cf. la partie droite de la Figure 2.5 page 62 pour un exemple), soit comme se répartissant dans son espace environ-nant (cf. la description de la synesthète L. de l’étude de Jarick et collaborateurs

2009; 2011, Figure 2.6 page 66). La façon de visualiser la Forme des nombres en

elle-même change aussi : certains synesthètes vont parcourir la forme à partir du début jusqu’à trouver le membre de la séquence entendu ou vu, quand d’autres auront directement l’ensemble de la Forme sous les yeux (que ce soit l’œil intérieur

ou extérieur ;Galton,1883). Certains synesthètes peuvent changer volontairement

l’orientation de la visualisation de la Forme pour s’en servir (zoomer ou dézoomer,

déplacer la Forme en avant ou en arrière Eagleman, 2009; Galton, 1880; Jarick

et al.,2011;Seron et al., 1992; Simner et al., 2009b).

En résumé, la conscience de la présence d’une Forme des nombres peut varier : – d’un synesthète à l’autre ; certains synesthètes décrivent ne prendre conscience

de l’existence d’une Forme que lorsqu’ils en ont besoin (Seron et al., 1992).

L’introspection de la séquence numérique spatialisée n’est pas possible de la même façon chez tous les participants (e.g. tous ne sont pas capables de

zoo-mer ou de changer de point de vue ; Jarick et al., 2011; Price et Mattingley,

2013).

– d’une partie de la séquence à l’autre ; les nombres en dessous de 100 sont

souvent plus éclatants (Flournoy, 1893; Galton, 1883; Phillips, 1897; Seron

et al.,1992).

Dans les théories impliquant un continuum entre les individus non synesthètes et les synesthètes, le niveau de conscience permet de distinguer l’expérience

synes-thésique des autres expériences (Simner, 2009).

La Forme des nombres est maintenant considérée comme un type de synesthésie. Mais sa proximité avec les mécanismes utilisés dans la population générale pour conceptualiser et utiliser les nombres n’est pas remise en question. Plus que pour les autres types de synesthésie, la théorie considérant qu’il existe un continuum

entre synesthète et non synesthète est très répandue (Jonas et Jarick,2013; Price,

2.3. LA SYNESTHÉSIE DE FORME DES NOMBRES 75

d’après cette théorie, nombre et position spatiale en fonction de la facilité avec la-quelle l’individu génère des images mentales.

2.3.2 La Forme des nombres et l’imagerie mentale

L’imagerie mentale

L’imagerie mentale est définie par Galton (1883) comme la faculté de se

re-présenter des images mentales plus ou moins vives et prolongées et la capacité à pouvoir les explorer et les modifier à sa guise, comme cela pourrait être fait avec de vrais objets. Ce concept est rattaché à des attributs de la mémoire visuelle. Ici l’image mentale est considérée à travers la vision, mais elle peut

s’appuyer sur d’autres sens (Price,2013). Quelle que soit l’intensité ou la

na-ture de l’imagerie mentale, elle paraît s’appuyer sur des mécanismes cognitifs utilisés pour traiter l’information perceptuelle habituelle. Dans le cadre de la synesthésie en général et de la synesthésie Forme des nombres en particulier, c’est l’imagerie mentale visuo-spatiale qui est interrogée.

Les Formes spatiales pourraient utiliser les mêmes processus que l’imagerie

mentale (Price, 2009a,b). La synesthésie Forme des nombres pourrait alors venir

de stratégies visuo-spatiales de mémorisation mises en place pendant l’enfance lors

de l’apprentissage de la suite numérique (Flournoy,1893;Galton,1883;Price,2013;

Sagiv et al.,2006;Seron et al.,1992; cf. section 3.3.3 page 107 pour plus de détails sur les théories relatives à l’apprentissage de la synesthésie). Si la représentation visuo-spatiale de la séquence numérique est une forme d’imagerie mentale chez les synesthètes, ces derniers devraient être meilleurs que les autres individus pour ma-nipuler des objets mentalement du fait de leur capacité à orienter volontairement leur Forme en fonction de la tâche. Cela peut être vu comme un entraînement

quotidien que n’auraient pas les participants non synesthètes (Eagleman, 2009;

Galton, 1880; Havlik et al., 2015; Jarick et al., 2011; Seron et al., 1992; Simner

et al., 2009b). Price (2009a) et Bächthold et ses collaborateurs (Bächtold et al.,

1998) ont observé chez certaines personnes non synesthètes les mêmes réponses

comportementales que les synesthètes lorsque les instructions demandent une cer-taine représentation mentale.

L’expérience d’imagerie mentale en général paraît effectivement plus forte chez les

76 2. TROIS EXEMPLES DE SYNESTHÉSIE Les 15 synesthètes de Séquence-Spatiale (i.e. synesthètes associant des jours, des mois, des lettres ou des nombres à une position spatiale) de l’étude de Havlik

et collaborateurs (Havlik et al., 2015) ont un score plus élevé que les 15 sujets

contrôles (d’après les résultats à un questionnaire d’intensité d’imagerie mentale appelé SUIS, de Kosslyn, Chabris, Shephard et Thompson, 1998, composé de 12 questions, chacune évaluée sur une échelle de 1 à 5) ; ils considèrent avoir une plus forte imagerie mentale. Ces résultats sont-ils dus à de réelles capacités supé-rieures ou les syneshètes sont-ils plus à même de sonder leur capacité d’imagerie mentale ? Cette différence entre les auto-évaluations des synesthètes et des

partici-pants contrôles est aussi interrogée dans la recherche de Price (2009a). Trois

ques-tionnaires sont utilisés pour interroger 12 synesthètes de Séquence Spatiale et 24 contrôles ; deux d’entre eux focalisent sur l’imagerie mentale visuelle, et le dernier sur les images mentales spatiales. En plus du SUIS utilisé dans l’expérience décrite ci-dessus, deux sous-parties du "Object-Spatial Imagery Questionnaire" (OSIQ ;

Blajenkova et al., 2006), qui sont composées de quinze questions évaluées sur une échelle de 1 à 5, sont utilisées ; chacune est spécialisée dans un des deux types d’imagerie mentale d’intérêt (i.e. visuelle et spatiale). Les synesthètes auto-évalués donnent plus de force à leur imagerie mentale visuelle que les contrôles (quel que soit le questionnaire), mais considèrent leur imagerie spatiale de la même manière. Il semblerait alors possible que la synesthésie de Séquence-Spatiale soit liée à l’ima-gerie mentale mais seulement visuelle. Les séquences pourraient être considérées non pas comme la somme de leurs membres positionnés dans l’espace mais comme une représentation visuelle unie. Utiliser un test comportemental objectif plutôt qu’un questionnaire d’auto-évaluation permettrait de vérifier ces hypothèses. Price (2009b) a demandé à 5 synesthètes organisant les mois dans l’espace de naviguer dans la séquence mensuelle, et de dire le nom du mois qui est soit à une certaine position après celui qui est présenté, soit avant, et de retenir simultanément la localisation et l’ordre d’une série de points présentés à l’écran après la première tâche. Cette seconde tâche servait à impliquer la mémoire spatiale afin de vérifier son implication dans la synesthésie Séquence-Spatiale. Les synesthètes n’étaient pas meilleurs que les participants-contrôles à cette double tâche mais n’étaient pas non plus plus mauvais que les contrôles lors de leurs réponses. L’auteur en conclut que les meilleures réponses des synesthètes ne sont pas liées à une meilleure

ima-2.3. LA SYNESTHÉSIE DE FORME DES NOMBRES 77

gerie spatiale mais pourraient être dues à une meilleure imagerie visuelle. Havlick

et ses collaborateurs (2015) ont utilisé une tâche de rotation mentale (Shepard et

Metzler,1971) afin de tester plus spécifiquement le niveau d’imagerie mentale chez les synesthètes. Le participant avait pour consigne de comparer le plus rapidement possible les deux formes en trois dimensions apparaissant à l’écran et de décider si ces formes étaient les mêmes mais orientées différemment ou bien des images en miroir dont l’une était disposées autrement. Les synesthètes étaient meilleurs que les contrôles à cette tâche, sans pour autant être moins rapides. Au niveau des synesthètes, les participants se décrivant comme projecteurs (par l’intermé-diaire du questionnaire dédié aux synesthètes de Séquence-Spatiale développé par

Rouw et Scholte, 2007) avaient de meilleures performances à la tâche de rotation de formes que les individus associateurs et disaient avoir une meilleure imagerie mentale. La rotation mentale peut être considérée comme une faculté de l’imagerie

mentale spatiale (Havlik et al.,2015). Si c’est vraiment le cas, les résultats de cette

dernière étude remettent en cause les hypothèses de la précédente (Price, 2009a).

Mais cette tâche pourrait aussi être reliée à une forte imagerie mentale visuelle

(Logie, 2011, cité dansSimner,2013b). Le lien entre imagerie mentale et la

synes-thésie de formes de nombres en particulier reste encore à préciser et à généraliser aux autres types de synesthésie, en lien avec l’avancée des connaissances, toujours