Développement des connaissances liées aux types de synesthésie
4. DÉVELOPPEMENT DES CONNAISSANCES LIÉES AUX TYPES DE SYNESTHÉSIE ÉTUDIÉS
dues à la confusion entre des lettres symétriques. Cette difficulté a aussi été mise en avant chez des enfants en Cours Préparatoire (CP) lorsque les enfants avaient pour consigne de reproduire un mot de six lettres à partir de neuf lettres présen-tées dans un ordre aléatoire. Les enfants sont pourtant bien capables de dire que les lettres symétriques ne sont pas orientées de la même façon, mais cette infor-mation ne leur paraît pas encore pertinente pour distinguer deux mots (Foureaux,
1988, cité dans Ecalle et Magnan, 2003). La fréquence d’occurrence des lettres à
l’écrit paraît jouer un rôle dans la performance des enfants de Grande Section de Maternelle lorsqu’il leur est demandé de dénommer et de reconnaître les lettres
présentées sous leur forme graphique (Bouchière et al., 2010). Les lettres les plus
fréquemment rencontrées sous leur forme graphique sont mieux dénommées et re-connues. Cela paraît en revanche n’avoir aucune influence sur leur récitation. De même, les lettres présentes au début de l’alphabet paraissent être mieux reconnues
et dénommées, tout comme les premières lettres du prénom de l’enfant (Ecalle et
Magnan,2003).
4.1.2 Le nom des lettres
L’apprentissage du nom des lettres peut, dans un premier temps, se faire
in-dépendamment de celui de leur forme (Bouchière et al., 2010; Helal, 2012). Dans
l’enseignement, il est accordé beaucoup d’importance au lien entre le nom de la lettre et le son qui lui est majoritairement associé. En France, l’élève en fin de GS doit être capable de « faire correspondre avec exactitude lettre et son pour quelques voyelles et quelques consonnes, quand la forme sonore est bien repérée », et, « après avoir appris le son qui est transcrit par une lettre, tracer cette lettre en
écriture cursive » (de l’éducation Nationale, 2015). L’apprentissage de
l’identifica-tion des lettres par leur nom commencerait vers 2-3 ans, s’accélèrerait vers 4-5 ans
et se finirait vers 6-7 ans (Bouchière et al.,2010). Certains enfants sont cependant
capables d’écrire une lettre sans en connaître le nom ou de réciter l’alphabet sans
en associer les formes graphiques (Bouchière et al.,2010;Helal, 2012). Il existerait
donc une discordance entre rythme d’enseignement et rythme d’acquisition des
noms des lettres (Ecalle et Magnan, 2003; Leroy-Boussion, 1967). L’ordre
4.1. ACQUISITION ET CONNAISSANCE DES LETTRES 113
forme sonore (Helal, 2012; Leroy-Boussion, 1967). La connaissance du nom des
lettres serait plus influente que celle de leur son sur la facilité d’acquisition de la
lecture (Hillairet de Boisferon et al., 2010). Le nom des lettres permettrait aux
enfants de faire le lien entre l’oral et l’écrit, et de se sensibiliser au caractère pho-nologique de l’écrit. Les plus jeunes auraient en effet plus de facilité à donner la première lettre d’un mot lorsque sa forme parlée contient le nom de la lettre (e.g. les jeunes enfants anglais détecteraient plus facilement que "beach" commence par
/bi/ que "bone" ; Treiman, 1996 cité dansHillairet de Boisferon et al.,2010). Après
les premiers apprentissages, le lien écrit-oral prendrait de plus en plus appui sur les connaissances des sons des lettres, et mêmes des phonèmes correspondant aux mots écrits.
4.1.3 Le son des lettres
En France, les enfants connaissent moins bien le son des lettres que leur nom (Helal, 2012). L’apprentissage de la correspondance graphème-phonème, acquisi-tion clef pour la reconnaissance des mots, paraît être alors particulièrement
dépen-dant de la connaissance qu’ont les enfants du nom des lettres (Justice et al.,2006).
Cela pourrait être lié au fait que la majorité des lettres de l’alphabet (i.e. 23 sur
26) contiennent leur son, le phonème3 qu’il représente, dans leur nom (Hillairet
de Boisferon et al., 2010). Le lien entre nom et son d’une lettre est plus ou moins
transparent (e.g. les lettres B, F, P sont mieux connues que C, G ou H puisque leur
nom comprend leur son ; Ecalle et Magnan, 2015), nom et son sont plus ou moins
identiques. Au niveau orthographique, les enfants pré-lecteurs s’appuieraient sur les connaissances des lettres et particulièrement sur leur nom pour tenter d’écrire des mots ; ils ont plus de facilité à écrire les lettres dont le nom contient le son,
par exemple, « vélo » est écrit « vlo » (Foulin, 2007). Il existe en français
plu-3. Rappelons ici que le phonème est défini dans cette thèse comme étant la plus petite unité
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4. DÉVELOPPEMENT DES CONNAISSANCES LIÉES AUX TYPES DE SYNESTHÉSIE ÉTUDIÉS
sieurs catégories de lettres : les voyelles4 et les consonnes5 elles-mêmes divisées en
plusieurs sous-types en fonction du paramètre considéré pour les catégoriser. Les voyelles seraient les lettres les plus faciles à apprendre du fait de leur lien direct
entre leur nom et leur son6 (Figure 4.1 placé plus bas ; Ecalle et al.,2008;Hillairet
de Boisferon et al.,2010;Leroy-Boussion,1967). En ce qui concerne les consonnes, les sons les mieux connus par l’enfant sont ceux qu’il a appris à prononcer en
pre-mier (Ecalle et al., 2009). Pour le reste des consonnes, les résultats des différentes
études sont contradictoires. Certaines ne remarquent aucune différence entre les
divers types de consonnes et les performances des enfants (Biot-Chevrier, 2007;
Hillairet de Boisferon et al., 2010). D’autres auteurs au contraire notent que le nom des consonnes est mieux connu quand la structure phonologique de leur nom est de type [Consonne + /e/] (i.e. les consonnes B C D G P T V) ; le nom est en revanche moins bien connu quand il s’agit des consonnes de type [/E/ + Consonne] (i.e. les consonnes F L M N R S) et des consonnes dont le nom diffère des deux
autres structures (i.e. les consonnes H J K Q W X Z ; Bouchière et al., 2010;
Ecalle et Magnan, 2003; Helal, 2012). Connaître le nom d’une lettre favoriserait donc l’apprentissage du phonème qu’elle contient, mais ne serait cependant pas
toujours nécessaire (Hillairet de Boisferon et al.,2010). Les enfants apprendraient
plus tôt et plus vite les sons présents dans les noms des lettres que les autres (Helal, 2012). Les enfants auraient plus de difficultés en cours préparatoire (CP) pour retenir les lettres - prononciation, forme graphique, et nom - ayant différentes
valeurs phonémiques (e.g. la lettre C est prononcé /c/ ou /k/ ; Ecalle et Magnan,
2003). Une autre difficulté dans l’apprentissage des lettres et de leur nom vient
de la proximité phonologique ; les lettres qui sont proches par leur prononciation
4. Les voyelles graphiques ne doivent pas être confondues avec les voyelles phonétiques. Il existe en effet six voyelles graphiques (i.e. a e i o u y), et seize phonétiques (i.e. /a A e E i o O u y œ @ ˜A ˜E ˜O ˜œ φ/). Dans cette thèse le terme voyelle renverra aux voyelles graphiques si rien n’est précisé.
5. Les 20 consonnes graphiques ne doivent pas, elles non plus, être confondues avec les 21
consonnes phonétiques. Si rien n’est précisé, le terme consonne fera dans ce document référence
aux consonnes graphiques.
6. Attention, cette remarque est valable entre voyelles graphiques et leurs sons associés, et seulement de leur forme graphique au phonème (e.g. la lettre u produit le son/y/ mais la repré-sentation phonétique en forme de /u/ produit le son obtenu par l’association des deux voyelles graphiques « ou »). Les voyelles phonétiques sont quant à elles plus difficiles à apprendre, puis-qu’elles demandent de combiner plusieurs voyelles graphiques ou une voyelle graphique et une consonne (e.g. o et u forment la voyelle phonétique /u/, o et n la voyelle phonétique /˜O/).
4.2. ACQUISITION ET CONNAISSANCE DES CHIFFRES ET
REPRÉSENTATION DE LA SUITE DE NOMBRES 115
seraient plus difficiles à distinguer et alors à dénommer pour l’enfant (Helal,2012).
L’association d’un mot commençant par le même phonème que le nom de la lettre permettrait à l’enfant d’apprendre ce dernier plus facilement. Il aurait alors plus
de facilité à apprendre le nom et le son de la première lettre de son prénom (Helal,
2012).
Fig. 4.1: Pourcentage de réponses correctes à des tâches de dénomination de lettre (à gauche) et d’association du son de la lettre à sa forme graphique (à droite ; illustration tirée de l’étude d’Ecalle et al., 2008). Les voyelles (Vo) sont mieux reconnues que les consonnes (Co), que ce soit en Grande Section de Maternelle (KG) ou en Cours Préparatoire (FG).
En résumé
Une lettre de l’alphabet est constituée de trois composantes reliées arbitrai-rement par l’apprentissage : une forme, un nom et un son. Ces composantes, et particulièrement le nom de la lettre, constituent un premier pas vers l’ac-cès au principe alphabétique, à la lecture et à l’écriture. La connaissance des lettres est alors considérée comme un prédicteur majeur de la réussite en
lec-ture et de l’acquisition de l’écrilec-ture (Ecalle et Magnan, 2015; Ecalle et al.,
2009).