• Aucun résultat trouvé

Trois exemples de synesthésie

44 2. TROIS EXEMPLES DE SYNESTHÉSIE

Fig. 2.2: Illustration représentant une synesthète Graphème-Personnalité ; la lettre A est blagueuse, le C colérique, et le 4 triste.

Ces premières études, surtout descriptives et exploratoires ont permis de mettre en avant les critères régulant cette condition, ses différents inducteurs et concurrents. La synesthésie Graphème-Personnalité fait partie d’une catégorie plus large dont le nom diverge en fonction de l’objet sur lequel le chercheur met l’accent, à savoir

l’inducteur ou le concurrent : Calkins (1893;1895) et Flournoy (1893) insistent sur

le caractère particulier du concurrent en considérant ce type de synesthésie sous les termes de Dramatisation (le drame, ici pris dans le sens classique du terme, comme étant l’art de créer des relations entre les choses, d’inventer des person-nages avec leur propre caractère et façon d’être) ou de Personnification. Les études plus contemporaines ont d’abord employé le terme de séquence linguistique

per-sonnifiée (ou O.L.P.), en référence à l’écriture conventionnelle de type inducteur-concurrent et afin d’accentuer l’idée que les inducteurs des Personnifications sont

majoritairement lexicaux et organisés en séquences ordonnées (e.g. les lettres, les

chiffres, les jours de la semaine,. . . ;Simner et Holenstein,2007), avant de convenir

du terme plus générique de Séquence-Personnalité puisque certaines études ont

2.2. LA SYNESTHÉSIE GRAPHÈME-PERSONNALITÉ 45

et al., 2007; Sobczak-Edmans, 2013). Avant de considérer les critères permettant de considérer l’association Graphème-Personnalité comme une synesthésie, il est important de s’attarder un moment sur les éléments définissant l’inducteur.

2.2.1 Le concept de personnification

Le concept de personnification (ou de personnalité) employé dans le cadre de la synesthésie Graphème-Personnalité a fait référence à différentes caractéristiques au fur et à mesure que les recherches sur cette condition émergeaient. Dans les

études de Calkins (1893; 1895), la Dramatisation pouvait regrouper à la fois le

concept d’appréciation (l’inducteur est alors décrit comme étant apprécié ou au contraire déprécié, comme agréable ou désagréable) et des traits de personnalités plus élaborés (e.g. d’après le témoignage d’un des synesthètes interrogés par cette auteur, le chiffre 3 ne peut pas être digne de confiance, malgré son apparence

plaisante et le 9 est un jeune homme grand et gracieux mais politique ; Calkins,

1893, p. 454). La dichotomie agréable/désagréable serait la dramatisation la plus

courante ; parmi les 83 synesthètes observés, Calkins (1893) en relève 75 qui font

simplement une distinction entre les graphèmes appréciés et les moins aimés, alors que 46 donnent des personnifications plus élaborées. À travers les témoignages

des synesthètes L., E.C. ou encore G.G., Flournoy (1893) détaille un peu plus les

traits de personnalité pouvant être associés à un graphème : L. rapporte différents traits de caractère, types de voix, sexe, âge,. . .pour chacun de ses inducteurs, et va jusqu’à définir des liens entre eux. Les personnalités attribuées peuvent alors être des qualités matérielles ou morales, des manières d’être. Dans sa thèse,

Sobczak-Edmans (2013) différencie les synesthètes attribuant des genres aux graphèmes des

synesthètes leur donnant des personnalités plus complexes. Elle catégorise le type de personnalité observé chez les 24 synesthètes interrogés dans sa première étude en diverses sous-catégories :

– la première regroupe les traits de personnalités, habiletés cognitives, tempé-rament, attitudes et états mentaux spécifiques.

– la deuxième insiste sur l’apparence humaine donnée aux graphèmes, que ce soit en termes d’âge, de taille, d’origine, de trait du visage, de couleur et de types de cheveux, de carrure ou de vêtements associés.

46 2. TROIS EXEMPLES DE SYNESTHÉSIE – la troisième et dernière sous-catégorie réunit les divers rôles sociaux (travail, études) et les liens entre les graphèmes personnifiés (attitudes qu’ils ont les uns envers les autres, hiérarchie, liens familiaux).

Cette catégorisation des différents types de personnifications fait écho à celle

ef-fectuée par Simner et Hollenstein (2007) qui synthétise les catégories observées

dans la littérature scientifique précédente (à savoir le genre, l’apparence physique, l’activité professionnelle, les attributs cognitifs, les traits de personnalité au sens psychologique du terme, les relations familiales ou les réponses émotionnelles entre les différents graphèmes). D’après l’étude de cas de la synesthète A.P., les relations entre les unités (dans le cas de la synesthésie Graphème-Personnalité, entre les dif-férentes lettres ou entre les différents chiffres) se font entre les unités d’une même séquence (e.g. entre les lettres) mais pas entre les séquences (e.g. il n’est pas observé jusqu’à ce jour de lien entre chiffres et lettres). De plus, ces liens ne se produiraient qu’entre des unités proches dans une même séquence (e.g. M et N sont sœurs, et

O est le neveu de M ;Calkins,1893, p. 454). T.E., la synesthète décrite par Smilek

et ses collaborateurs (2007) pourrait cependant contredire cette règle s’il s’avère

qu’elle n’en est pas l’exception ; elle raconte en effet par exemple que le chiffre 3, faible et jeune, tente de se rapprocher du 8 pour se sentir plus puissant. Flournoy

(1893, p. 224) résume :

« La complexité de l’inducteur n’a d’égale que celle de l’induit. »

2.2.2 Les personnifications comme un type de synesthésie

Du fait de la complexité du concurrent, et de sa nature conceptuelle plutôt que sensorielle (cf. section 1.1.3 page 25) la présence de l’association Graphème-Personnalité, comme de la Forme des nombres (cf. section 2.3 page 59), parmi les différents types de synesthésie a été débattue. Les auteurs se sont donc ici encore appuyés sur les différents critères considérés comme fondamentaux dans la définition de la synesthésie pour attester du caractère synesthésique de cette association particulière.

2.2. LA SYNESTHÉSIE GRAPHÈME-PERSONNALITÉ 47