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La perception catégorielle (Liberman, 1957) est un phénomène qui a été mis en évidence au début des recherches sur la perception de la parole dans les années 1950 (Nguyen, 2005). L’objectif de ces recherches était de caractériser les indices acoustiques à l’origine des oppositions entre phonèmes. La catégorisation se définit comme la discrimination des seules différences entre phonèmes et non des variantes acoustiques d’un même phonème (Liberman, Cooper, Shankweiler, & Studdert-Kennedy, 1967). Autrement dit, la perception catégorielle permet de détecter les différences minimales ([po]-[bo]) qui distinguent un mot d’un autre. Ce processus de bas niveau irrépressible et inconscient a été mis à jour par des expériences d’identification. Lorsque l’on propose à des auditeurs d’écouter deux syllabes (e.g., [ba] - [da]) qui ne diffèrent que par le temps d’attaque vocale (VOT1) et des syllabes intermédiaires synthétisées qui varient en fonction des paramètres de

VOT, les auditeurs ont tendance à attribuer chacune des syllabes à l’une ou l’autre des catégories (Nguyen, 2005). Il apparait alors que la perception phonétique n’est pas continue, puisque les syllabes intermédiaires ont été catégorisées soit comme [ba], soit comme [da]. C’est la mise en évidence de la catégorisation qui a conduit Liberman et ses collègues à considérer que la perception de la parole est spécifique2.

1 Voice Onset Time : laps de temps entre l’explosion de la consonne et le début de voisement.

2 Cependant, un certain nombre de données contredisent ce fait, puisque, par exemple, la perception catégorielle a été

Ainsi, la perception de la parole est envisagée comme une tâche de catégorisation complexe qui s’effectue dans un espace acoustique multidimensionnel (Holt & Lotto, 2010). Il s’agit alors d’un processus qui catégorise des représentations de phonèmes à partir de l’espace acoustique. Ces représentations définissent le phonème. Les locuteurs, lorsqu’ils perçoivent de la parole, doivent déterminer des frontières dans l’espace acoustique leur permettant de catégoriser les phonèmes. Les catégories qu’un locuteur distingue sont spécifiques à la langue maternelle. En effet, « the experience that we have with the sounds

of our native language fundamentally shapes how we hear speech » (Holt & Lotto, 2010, p.

4). Si la catégorisation, médiée par l’expérience linguistique, permet aux locuteurs natifs de percevoir efficacement leur L1 en dépit de la variabilité intrinsèque au signal de parole (Meunier, 2001), elle impacte fortement la perception d’une L2. Ce phénomène est connu sous le terme de surdité phonologique (Troubetzkoy, 1939) en L2. La catégorisation de la parole constitue l’assise scientifique de la métaphore du crible phonologique que nous abordons dans la partie suivante.

Alors que deux courants théoriques s’opposent quant à la nature de la source d’information basique en perception de la parole, articulatoire pour la théorie motrice ou acoustique pour la théorie auditive, ils adoptent la même approche de la perception de la parole, la perception catégorielle. L’expérience linguistique est ainsi fondamentale en perception de la parole puisque la catégorisation des phonèmes est opérée en fonction de celle-ci. Dès lors, les catégories natives diffèrent des catégories non natives et en impactent alors la perception. C’est pourquoi l’expérience linguistique est centrale dans les modèles de perception L2 : les différences entre les catégories natives et non natives, autrement dit, les différences entre les systèmes phonologiques de deux langues, sont le socle sur lequel se basent les modèles de perception L2 pour expliquer et prédire l’émergence des patterns auditifs.

II. L

ES MODELES DE PERCEPTION DE LA PAROLE EN

L2

Polivanov (1931-1974) a été le premier à décrire l’influence de la L1 sur la perception et la production des sons de la L2. À sa suite, Troubetzkoy (1939) a employé le terme de surdité phonologique (Dupoux & Peperkamp, 2002) pour illustrer l’influence de la L1 et l’idée que la phonologie de cette dernière filtre les propriétés du signal de parole L2 qui ne sont pas pertinentes pour le système phonologique maternel. De nombreuses études ont démontré l’influence de la L1 sur la perception de la L2, notamment, la difficulté à discriminer des paires minimales. En effet, dans le cas où les deux phonèmes spécifiques ne sont pas contrastifs dans le système phonologique de la L1, la perception et la production des contrastes L2 est difficile. Par exemple, la paire minimale anglaise « beat-bit » est problématique pour des locuteurs espagnols (Flege, Bohn, & Jang, 1997) puisque les phonèmes anglais /i, ɪ/ ne sont pas contrastifs en espagnol. De même, la paire minimale anglaise « bet-bat » est source de difficulté pour des locuteurs hollandais (Broersma, 2005). Il semble ainsi que les apprenants de L2 sont dépendants des caractéristiques de leur L1 lorsqu’ils apprennent à percevoir et à produire les sons de la L2. Les modèles de perception de la parole en L2 font des hypothèses et des prédictions en fonction des différences entre les systèmes phonologiques de la L1 et de la L2.

Les modèles les plus influents et les plus cités dans la littérature sont le Native

Magnet Language (NLM) de Kuhl (1992, 1994), qui a ensuite été étendu (NLM-expanded,

Kuhl, Conboy, Coffey-Corina, Padden, Rivera-Gaxiola & Nelson, 2008), le Perceptual

Assimilation Model L2 (PAM-L2) de Best (1994, 1995; Best & Tyler, 2007), le Speech Learning Model (SLM) de Flege (1995) et le Second Language Linguistic Perception (L2LP)

d’Escudero (2005, 2009; van Leussen & Escudero, 2015). Bien que ces modèles divergent sur plusieurs points que nous décrirons plus loin, ils s’accordent tous sur le fait que la perception des sons L2 est influencée par l’expérience linguistique en L1. Ainsi, la discrimination des contrastes non natifs dépend systématiquement du système phonologique

de la L1 : les sonorités de la L2 sont assimilées à la catégorie la plus proche en L1, ayant pour conséquence la création de représentations phonologiques erronées. De la même manière que l’expérience linguistique avec la L1 conduit à l’établissement de prototypes pour le Native Magnet Language (NLM) et à un processus d’assimilation perceptive pour le

Perceptual Assimilation Model L2 (PAM-L2), elle conduit à un classement par équivalence

dans le cadre du Speech Learning Model (SLM). Selon ces modèles, les propriétés de la L1 filtrent les sons de la L2. Il est alors question pour l’apprenant de créer de nouvelles catégories L2 pour les sons inexistants dans la L1. Cependant, aucun de ces trois modèles ne décrit les mécanismes spécifiques qui sont en jeu dans la création de nouvelles catégories. Le modèle L2LP est le seul qui propose des mécanismes d’apprentissage spécifiques.

Excepté le modèle de Kuhl (NLM), les modèles de Best (PAM-L2), Flege (SLM) et Escudero (L2LP) proposent des scénarios différents pour l’acquisition d’un nouveau son L2 (c’est-à-dire un son absent du système phonologique L1) et pour l’acquisition d’un son L2 similaire. Le modèle Second Language Linguistic Perception (L2LP) d’Escudero (2005) propose en plus différents stades d’acquisition, avec des prédictions différentes en fonction des scenarios de perception.

Nous présentons ces modèles de perception qui prédisent et expliquent les difficultés de perception des locuteurs L2 en référence à leur L1. Pour chaque modèle, nous mettons en relief les prédictions quant à la perception des quatre voyelles cibles de notre étude. La comparaison des modèles que nous proposons ensuite nous permet de sélectionner celui qui est le plus adapté à notre étude.

La théorie de l’aimant perceptif (Native Language Magnet : NLM et