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Perception : L2LP)

Le modèle de perception linguistique en L2 développé par Escudero et ses collègues (2005, 2009; van Leussen & Escudero, 2015) s’inscrit dans la théorie de l’optimalité stochastique (Boersma & Hayes, 2001) qui est une extension de la théorie de l’optimalité (Prince & Smolensky, 1993). Le modèle s’attache à expliquer l’acquisition, la perception et la lexicalisation d’une L2, c’est-à-dire le processus par lequel un mot est intégré au lexique mental. Escudero est la seule à prendre en compte explicitement le rôle de la perception de la parole L2 sur les représentations lexicales. Contrairement au SLM qui concerne

particulièrement les apprenants avancés et à PAM-L2 qui se concentre sur les apprenants débutants, le L2LP s’intéresse au processus développemental de la perception dans son ensemble, incluant ainsi les apprenants débutants, naïfs, non-natifs, jusqu’aux apprenants avancés.

Le modèle prédit des trajectoires d’apprentissage qui sont basées sur l’hypothèse de perception optimale. Selon cette hypothèse, l’appariement perceptif du signal de parole dépend des caractéristiques acoustiques de la production de la parole dans l’environnement du locuteur. Ainsi, les apprenants en début d’apprentissage vont percevoir les sons de la L2 de façon similaire à la production de ces mêmes sons dans leur environnement L1. Autrement dit, le résultat de l’acquisition de la L1 est représenté explicitement comme le point de départ de l’apprentissage de la L2. Le développement de l’acquisition de la L2 est prédit en fonction des différences et similitudes acoustiques entre les phonèmes de la L1 et de la L2. Trois scénarios sont proposés :

1. Le scénario « son nouveau » (new sound) : il apparait lorsqu’il y a moins de catégories dans la L1 que dans la L2. Ce scénario est caractérisé par une équation phonémique entre deux sons L2 et un seul son L1. C’est le cas, par exemple, du /i/ et du /ɪ/ anglais qui sont assimilés au [i] espagnol.

2. Le scénario « son similaire » (similar sound) : il apparait lorsqu’il y a le même nombre de catégories en L1 et L2, mais ces catégories recouvrent des espaces phonémiques différents. Par exemple, les canadiens anglophones et francophones ont les phonèmes /ɛ/ et /æ/. Cependant, les canadiens anglais apprenant le canadien français, vont percevoir le phonème /æ/ soit comme [æ], soit comme [ɛ].

3. Le scénario « sous-partie » (subset) : il apparait lorsqu’il y a moins de catégories en L2 qu’en L1. Par exemple, les /i/ et /ɪ/ hollandais L1 vont couvrir l’espace phonémique du /i/ espagnol L2.

Apprendre à percevoir les sons de parole en L2 nécessite des appariements perceptifs et des représentations phonologiques optimales. Le processus d’apprentissage passe par différentes étapes avant d’atteindre une perception optimale : un stade initial, un stade de développement dans lequel le système perceptif se rapproche de la perception optimale sans y être identique, et un stade final où le système perceptif se stabilise.

Ainsi, pour expliquer l’acquisition, la perception et la lexicalisation d’une L2, cinq principes sont explicités dans le modèle, chacun correspondant aux étapes du processus d’acquisition d’une L2. Ils sont représentés dans la Figure 4 ci-dessous :

Nous allons décrire les cinq principes du modèle d’Escudero pour le scénario « son nouveau », qui est le scénario le plus répandu, mais aussi et surtout celui qui s’applique à notre étude. Nous rappelons que le scénario « son nouveau » concerne les cas dans lesquels le nombre de catégories L1 est inférieur au nombre de catégories L2. C’est le cas des apprenants arabes de français L2 : le système vocalique arabe est constitué de trois voyelles de timbres différents, doublé par la durée, alors que le système vocalique français est constitué de 16 voyelles.

Le scénario « son nouveau » est caractérisé par une équivalence phonémique entre deux catégories L2 et une seule catégorie L1 et, en conséquence, par un appariement perceptif entre la majorité des occurrences des deux catégories L2 et la même catégorie L1. Ainsi, les deux catégories L2 sont perçues comme une seule catégorie L1. Escudero (2005) distingue deux cas pour le scénario « son nouveau ». Le premier s’applique aux sons L2 qui

Figure 4 Les 5 principes du modèle L2LP. D’après Escudero (2005, p.95)

possèdent des dimensions déjà catégorisées dans la L1, c’est le cas des phonèmes français L2 /i/ et /e/, dont le /i/ partage des dimensions catégorisées avec le /i/ arabe. Le deuxième cas concerne les sons L2 qui ne possèdent aucune dimension déjà catégorisée en L1, c’est le cas des deux voyelles nasales de notre étude. En effet, la nasalité n’est pas catégorisée en arabe puisqu’elle n’existe pas.

Principe 1 : comparer la L1 et la L2

La première étape pour expliquer la perception des sons d’une L2 est de décrire la perception optimale de chacune des langues concernées. La description de la perception optimale en L1 permet de déterminer le système de perception que l’apprenant transfère en L2, autrement dit, cela permet de prédire le stade initial du processus d’apprentissage de la L2. Escudero (2005, p. 161) explique que la description de la perception optimale implique de mesurer acoustiquement les productions natives du contraste L1 en question. Décrire la perception optimale en L2, permet de déterminer la nature des mécanismes d’apprentissage que l’apprenant devra réaliser de manière à atteindre une perception optimale de la L2.

Principe 2 : stade initial

Au début de l’apprentissage de la L2, c’est-à-dire lorsque les apprenants n’ont aucune connaissance préalable de la L2, ils réutilisent de manière totalement inconsciente et automatique les catégories L1 qui sont considérées comme équivalentes aux sons L2. Cette stratégie de « copie » de la perception L1 est expliquée par l’hypothèse de copie totale1 (Full

Copying Hypothesis). Les apprenants utilisent les mêmes appariements perceptifs qu’en L1 au tout début du processus d’acquisition L2. Ce phénomène est problématique car il conduit à des non-correspondances perceptives et lexicales. Escudero (2005) donne l’exemple des voyelles anglaises /i/ et /ɪ/ qui sont catégorisées comme une seule voyelle espagnole /i/ par un locuteur espagnol optimal. Cette non correspondance perceptive conduit à une non

1 Selon Escudero (2005) cette hypothèse est une interprétation dans le cadre de la perception de la parole de l’hypothèse « Full

correspondance lexicale car les locuteurs espagnols vont alors réutiliser une seule représentation phonologique L1 pour stocker deux mots L2 qui ont deux représentations phonologiques dans le lexique d’un locuteur anglais. Par exemple, un locuteur espagnol ne possèdera qu’une seule représentation phonologique /ʃip/ pour les mots anglais ship [ʃɪp] et sheep [ʃip] (Escudero, 2005, p. 172).

Principe 3 : tâches d’apprentissage L2

Les mécanismes d’apprentissage L2 sont prédits à partir des différences entre le stade initial L2 (copie de la perception optimale L1) et la perception optimale L2. Les mécanismes d’apprentissage L2 représentent les différences entre la perception optimale L1 et L2. Les apprenants L2 doivent donc modifier leur perception L2 initiale de manière à ce qu’elle corresponde à la perception optimale L2.

Le modèle distingue le niveau perceptif du niveau représentationnel, conduisant à deux mécanismes d’apprentissage : une tâche perceptive et une tâche représentationnelle. Escudero précise que la tâche perceptive doit obligatoirement précéder la tâche représentationnelle. En effet, l’apprenant doit d’abord apprendre à percevoir la différence entre les deux voyelles L2 avant de pouvoir créer deux représentations phonologiques dans son lexique mental, qui pour le moment, n’en contient qu’une seule.

L’apprenant doit créer une nouvelle catégorie pour une des deux voyelles L2. Pour ce faire, il y a deux possibilités. Soit il divise la catégorie L1 existante, soit il crée une nouvelle catégorie sur la dimension acoustique qui n’est pas encore catégorisée. Selon le modèle, la deuxième solution est à préférer à la première, puisque c’est la solution la plus écologique. En effet, la création d’une nouvelle catégorie sur la base d’une dimension acoustique non catégorisée peut être rapprochée du processus par lequel un enfant apprend à catégoriser les sons de sa L1. Par exemple, les apprenants arabophones n’ont pas catégorisé la dimension acoustique de nasalité, puisqu’elle est inexistante en L1.

Ainsi, les tâches d’apprentissage consistent pour l’apprenant à créer de nouveaux appariements perceptifs de manière à créer de nouvelles représentations phonologiques ou

bien à ajuster les appariements perceptifs existants, de façon à ajuster les représentations phonologiques existantes.

Principe 4 : stade de développement

Le modèle prédit que le développement de la perception des apprenants L2 utilise exactement les mêmes mécanismes d’apprentissage que pour l’acquisition de la perception optimale L1. De manière à réaliser les tâches perceptive et représentationnelle pour atteindre une perception L2 optimale, les apprenants introduisent des contraintes dans leur système, par exemple la contrainte de nasalité. La création de contraintes leur permet de percevoir les deux catégories L2 et de créer deux représentations phonologiques distinctes.

Principe 5 : stade final

Escudero, défend l’idée que les apprenants L2, même adultes, peuvent atteindre une perception L2 optimale. Cependant, cela n’est possible que si la quantité et la qualité de l’input est suffisante. Dans le L2LP, le rôle de l’input est plus important que la plasticité cérébrale évoquée par de nombreuses études sur l’apprentissage de la L2 (e.g., Flege et al., 1995).

Dans le cadre de notre étude, il semble que ce soit le scénario « son nouveau » qui corresponde le mieux à la perception des quatre voyelles cibles de notre étude. La perception du contraste français /i/-/e/ par des arabophones correspond au sous- scénario du « son nouveau », dans lequel les catégories L2 possèdent des dimensions déjà catégorisées : le /i/ français et arabe partagent des dimensions déjà catégorisées. La perception du contraste /ɑ̃/-/ɔ̃/ correspond au deuxième sous- scénario du « son nouveau », dans lequel les catégories L2 ne possèdent pas de dimensions déjà catégorisées : la nasalité n’existe pas en arabe.

Comparaison des modèles de perception